Observations d’Al Karama for Human Rights et Algeria-Watch sur le troisième Rapport périodique de l’Algérie au Comité des droits de l’homme de l’ONU

Observations d’Al Karama for Human Rights et Algeria-Watch sur le troisième Rapport périodique de l’Algérie au Comité des droits de l’homme de l’ONU

Audience du 23 juillet 2007

 

L’Algérie devait remettre – selon la demande du Comité des droits de l’homme – son troisième rapport périodique en juin 2000. Elle n’a fait suite à cette obligation que six ans plus tard, le 22 septembre 2006. La période prise en compte par nos observations s’étend donc de 1998 à nos jours.

La situation des droits de l’homme a beaucoup changé durant cette période.

Le fait le plus marquant concerne les massacres qui ne sont plus « généralisés » comme l’avait constaté le Comité en 1998.

La pratique de la disparition forcée, elle aussi systématique dans les années 1993-1997, a quasiment disparu, même si un très grand nombre de personnes arrêtées sont maintenues en détention secrète parfois pendant plusieurs mois, ce qui équivaut à une disparition.

Aussi les violations systématiques des droits de l’homme commises par les agents de l’Etat ne sont plus aussi massives qu’à l’époque couverte par le second rapport périodique, même si elles sont toujours d’actualité. La torture continue d’être couramment pratiquée.

De graves entraves aux libertés publiques sont continuellement enregistrées et d’importantes violations des engagements internationaux s’ajoutent à ce bilan, notamment par l’adoption de deux textes de loi communément désignés « d’amnistie » même si elles ne sont pas définies officiellement comme telles.

Il faut également relever que malgré les recommandations du Comité, les enquêtes indépendantes sur les massacres n’ont jamais été ouvertes comme nous le verrons ci-dessous. De même que les autres recommandations du Comité à propos de la mise en place de « mécanismes indépendants » pour examiner les violations, de « système crédible » permettant de suivre le traitement de détenus, d’organes permettant de retrouver les disparus etc. n’ont pas eu de suites concrètes ou crédibles.

En conséquence, le rapport périodique présenté par le gouvernement algérien nous semble sur un très grand nombre des points qu’il aborde peu conforme à la réalité de la situation dominée par la « lutte contre le terrorisme » qui justifie les abus et dérapages commis. L’action du gouvernement est caractérisée par son manque de transparence à tous les niveaux.

 

I.- Suivi des préoccupations et recommandations du Comité des droits de l’homme au terme du 2ème rapport périodique de l’Algérie

 

Le Comité des droits de l’homme avait adopté des observations finales lors de la séance tenue le 29 juillet 1998 après examen du 2eme rapport périodique de l’Algérie. Dans ces observations le Comité avait relevé « l’insuffisance de données précises sur la crise actuelle en matière de droits de l’homme » et le fait que « la délégation n’ait pas pleinement répondu à nombre de ses questions ». En outre, le gouvernement algérien n’a pas fait suite à plusieurs recommandations du Comité.

1. Les « massacres généralisés » qui ont préoccupé le Comité n’ont pas connu le traitement adéquat de la part des autorités algériennes. Ces massacres continuent d’endeuiller les Algériens jusqu’à nos jours même si le nombre de victimes a baissé d’année en année et n’est plus comparable avec les bilans macabres des années 1996-1998. Durant les années 1999-2002, de nombreuses tueries de villageois ont toutefois été perpétrées, chacune d’entre elles faisant entre 10 et 20 victimes.1 Par la suite le nombre de victimes a baissé mais les massacres n’ont jamais cessé. Des attaques de groupes armés non identifiés notamment à des faux-barrages ont encore été enregistrés ces deux dernières années. Présentés régulièrement comme des actes commis par des terroristes, aucune enquête crédible ne permet d’en identifier les véritables auteurs et/ou commanditaires.

Parmi ces massacres il faut compter ceux commis durant des offensives militaires où les responsabilités sont clairement établies. Nous rappelons à titre d’exemple l’attaque de l’armée dans les monts de Seddat, dans la wilaya de Jijel: Un groupe composé de nombreuses femmes et d’enfants s’était réfugié dans une grotte pour échapper à cette offensive militaire qui a débuté le mois de mars 2006 dans la région. Le 9 mai, la grotte a été prise d’assaut, et des témoignages de membres de la protection civile font état de l’usage d’armes chimiques. » Les corps étaient rigides, pétrifiés dans des positions qui font dire à ces agents que des gaz toxiques ont été à l’origine de leur mort. Ils rapportent par exemple avoir vu une femme assise donnant un biberon à son enfant, avec à ses côtés deux enfants assis, tous les quatre figés dans le mouvement où la mort les a surpris. ». L’opération finale qui a duré quelques jours s’est soldée, selon le bilan officiel, par la mort de cinquante-deux personnes (dont vingt-deux enfants, sept femmes et vingt-trois terroristes présumés dont seulement trois ont en définitive été identifiés comme faisant partie de groupes armés).2

Les autorités algériennes n’ont pas procédé à des « enquêtes appropriées » par « une instance indépendante » dans la majorité des cas de massacres. Les allégations du gouvernement contenues dans le point 80 devraient faire l’objet d’enquêtes approfondies et indépendantes car beaucoup de témoignages et d’éléments les contredisent. Il est vrai que parfois des coupables ont été désignés, jugés et condamnés au cours de procès expéditifs comme celui du massacre de Bentalha (l’un des plus grands massacres commis en septembre 1997) début août 2004 qui n’aura duré en tout qu’une journée. L’un des présumés responsables, Fouad Boulemia, clame son innocence et affirme avoir fait des aveux sous la torture. Il avait d’ailleurs déjà été condamné à mort pour l’assassinat en novembre 1999 de Abdelkader Hachani, un des leaders du FIS. Aucune confrontation entre les 9 suspects jugés ce jour là et les rescapés du massacre n’a eu lieu.

La réponse du gouvernement aux préoccupations et recommandations formulées par le Comité ne nous semble pas conformes à ses engagements internationaux en tant qu’Etat partie du Pacte. Affirmer que les informations présentées sont authentiques ne garantit pas leur véracité si elles ne procèdent d’aucune enquête publique et transparente. Constater que ces crimes ont été perpétrés par des terroristes ne soustrait pas le gouvernement à l’obligation d’enquête indépendante et de recherche de vérité, ni, en tout état de cause, à son devoir de protection de la population. Le rôle joué par les forces armées n’a jamais fait l’objet d’un examen. Il a toujours été affirmé que l’armée était intervenue « dès que possible » et avait limité ainsi le nombre des victimes. De nombreux éléments troublants contredisent cette version parmi lesquels, dans certains cas, la proximité immédiate de casernes militaires importantes avec les lieux de massacres.

 

2. Les « groupes de légitime défense » à propos desquels le Comité souhaitait obtenir de plus amples informations afin d’en évaluer l’importance, la fonction et le contrôle auquel ils sont soumis, sont effectivement une source d’inquiétude. La mise en place de ces groupes ne s’est pas faite d’une manière transparente. Il y a bien des textes de loi les régissant mais ceux-ci ont été adoptés bien après la constitution d’un grand nombre de « milices ». Le cadre légal n’a été établi qu’en janvier 1997, alors que ces groupes de civils constitués en milice, agissaient dès 1993 en Kabylie, dans les régions de Lakhdaria, Chlef, Relizane, etc.

Le gouvernement algérien affirme dans son rapport (point 84) que « ces groupes n’ont pas eu pour mission la lutte antiterroriste qui relève de la compétence exclusive des forces constituées de l’Etat. » Ils n’auraient eu qu’un rôle « essentiellement préventif » de protection d’infrastructures. Or à travers de très nombreux témoignages et rapports il est clair que les « groupes de légitime défense » ont constitué un pilier de la lutte contre le terrorisme, notamment dans les régions dans lesquelles l’armée n’était pas fortement implantée.

Une partie de ces « groupes de légitime défense » avaient effectivement un caractère défensif mais parallèlement se constituaient des groupes de « patriotes » composés notamment d’anciens membres du Front de libération nationale (FLN) qui connaissaient bien la région. Mais surtout ces milices étaient dirigées par des potentats locaux, devenus de véritables « seigneurs de guerre », liés et aux responsables militaires et aux milieux politico-économiques. Ces milices avaient un caractère franchement offensif, menant la chasse aux familles de ceux qui s’étaient engagés dans la lutte armée. De nombreux hommes ont été contraints par les autorités à prendre des armes, des villages ont subi des blocus pour accepter de former une milice.

La milice dirigée par un certain Zidane El Mekhfi à Bouderbala, dans la wilaya de Bouira, s’est constituée dès 1994 et a fait l’objet d’ une grande publicité médiatique tant à travers la télévision d’Etat que de la presse privée proche du gouvernement. Habib Souaidia, membre des forces spéciales, stationné dans la région de Lakhdaria en 1994 rapporte: « A partir de 1995, les villageois de Bouderbala ont commencé à mener leur propre guerre dans toute la région. (…) Au départ, ils avaient à leur disposition trois ou quatre cents hommes. Composée de villageois n’ayant aucune expérience dans la lutte antiterroriste, cette milice ne s’est pas contentée de protéger les villages : elle a aussi traqué les terroristes dans les maquis avoisinants. El Mekhfi et ses hommes se sont attaqués à tous les villages où des jeunes avaient rejoint le maquis, semant la mort et la désolation sur leur chemin. »3

Dans son rapport de 1997, Amnesty international notait bien ce caractère offensif, encouragé publiquement de surcroît: « Les autorités, qui avaient eu tendance dans un premier temps à nier l’existence des milices ou à minimiser leur rôle, ont encouragé ouvertement la population civile, à partir de la fin de l’année 1995, à prendre les armes et à s’organiser en milices. La télévision nationale a rapporté les activités des milices, saluant leur rôle dans « le combat pour l’élimination du terrorisme » et elle est allée jusqu’à diffuser des annonces « publicitaires » encourageant les hommes à créer des milices, sous la devise « rijal khuliqu lil watan » (« des hommes nés pour la patrie »). » L’organisation constate notamment: « il est apparu clairement qu’outre la garde des villages et la protection des communautés contre les attaques, les miliciens participaient de plus en plus souvent à des opérations militaires de grande ampleur, menées dans leur région ou ailleurs. Les milices ont pratiquement remplacé les forces de sécurité dans certaines zones-dont, selon la population locale, ces dernières étaient absentes et ne la protégeaient pas contre les attaques des groupes armés d’opposition, installant des barrages routiers et des postes de contrôle et organisant des embuscades et des opérations «anti-terroristes ». Les miliciens se sont par ailleurs mis à participer de plus en plus souvent à ces opérations aux côtés de l’armée et des forces de sécurité. »4

Ce qu’il faut relever c’est que selon des articles de presse, certains « groupes d’autodéfense » ont été dissous et leurs membres recyclés dans des sociétés de gardiennage. De nouvelles milices auraient cependant été créées pendant la période couverte par le rapport périodique5. En septembre 2005, le ministre de l’intérieur disait que le démantèlement des « groupes de légitime défense » n’était pas « à l’ordre du jour »6

Le corps de la garde communale a lui aussi été créé dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Les 50 000 à 80 000 hommes enrôlés ont reçu une formation rudimentaire de deux mois assurée par la gendarmerie et portent des uniformes. Ils sont stationnés à l’intérieur des agglomérations. Il semblerait que là aussi un démantèlement ne soit pas prévu.

3. Le décret du 9 février 1992 portant état d’urgence a été prorogé le 6 février 1993 mais il est toujours en vigueur. Il continue de fournir le cadre légal justifiant les entraves aux principes du droit constitutionnel et international. La première observation à ce sujet est que l’état d’urgence prévu pour la durée d’une année a été reconduit une seule fois en 1993 pour une durée indéterminée ; depuis, il ne fait pas l’objet ni de débat ni de reconduction par décret. Le Prof. Mohand Issad, professeur de droit international public à l’université d’Alger, mandaté par le Président Bouteflika pour diriger une commission d’enquête suites aux graves dérives qui ont bouleversé la Kabylie en 2001, a analysé décrets et arrêtés (non publiés) établissant les responsabilités et compétences en matière de maintien de la sécurité. Il établit que « la chronologie des textes permet de constater un glissement subtil de l’état d’urgence vers ce qui s’apparente plutôt à l’état de siège. Les pouvoirs donnés par l’arrêté de 1993 aux commandants des régions militaires sont des pouvoirs propres, ce qui est caractéristique de l’état de siège ».7

S’ajoute donc à cet état de siège qui ne dit pas son nom la loi relative à la « subversion et au terrorisme » promulguée le 30 septembre 1992. Celle-ci a été abrogée en février 1995 mais ses plus importantes dispositions ont été intégrées dans le Code pénal. Le gouvernement algérien affirme dans son rapport périodique que « certaines dispositions de cette loi » auraient été incorporées. Il faudrait plutôt demander lesquelles de ses dispositions n’ont pas été incorporées. Le Comité a relevé que parmi les dispositions intégrées figurent l’extension de la définition des « crimes qualifiés d’actes terroristes ou subversifs », la prolongation de la garde à vue et l’abaissement de la majorité pénale à 16 ans. S’ajoutent entre autre, le doublement de la peine dans les affaires qualifiées de terrorisme, l’autorisation pour les officiers de police judiciaire d’effectuer toutes perquisitions ou saisies, de jour comme de nuit, et en tout lieu sur toute l’étendue du territoire national.

 

Questions: Quels sont les arrêtés ou autres textes législatifs ou réglementaires qui régissent le traitement de la situation sécuritaire et qui n’ont pas été publiés? L’arrêté interministériel (Défense nationale/Intérieur), du 25 juillet 1993 auquel se réfère la commission susmentionnée a-t-il été rendu public?

 

Le gouvernement affirme (point 7 et 8) que la durée de garde à vue ne dépasserait les 48h qu’exceptionnellement. Or en réalité, il est possible de dire que les personnes suspectées de terrorisme ou de soutien au terrorisme sont gardées à vue pendant une période beaucoup plus longue qui dépasse très souvent les 12 jours et pouvant atteindre plusieurs mois, durant laquelle elles sont gardées au secret sans contact avec le monde extérieur et souvent torturées. Nous reviendrons sur ce point plus bas.

4. Les disparitions forcées restent une grave préoccupation malgré le temps passé depuis les dernières observations du Comité. L’Etat n’a pas réagi de manière appropriée aux recommandations de ce dernier puisque rien de sérieux n’a été fait pour connaître le sort, ouvrir des enquêtes ou initier des poursuites contre les auteurs présumés des milliers de cas reconnus de disparitions forcées, ni pour condamner les responsables de ce grave crime. Le gouvernement a développé une activité accrue pour éluder cette question. Sans reconnaître une quelconque culpabilité dans ce drame – il a lancé le « slogan »: l’Etat est responsable mais pas coupable – il prétend se charger du volet social des familles, souvent dans une précarité absolue après la disparition de leurs seuls soutiens, en prévoyant de les indemniser.

Un instrument ad-hoc a bien été mandaté par le Président de la République pour répertorier les disparus et leurs familles. Celui-ci n’avait pas vocation d’enquêter et ne pouvait en fait que se baser sur les éléments fournis par les familles, les bureaux d’enregistrement installés dans toutes les wilayas selon les recommandations notamment du Comité et s’adresser aux forces de sécurité pour un complément d’information. Le président de l’instrument ad hoc, Farouk Ksentini, qui est aussi président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’homme (CNCPPDH), installée par décret présidentiel et succédant à l’Observatoire national des droits de l’homme, a remis son rapport en mars 2005 au président de la République sans que l’opinion publique ait pu en prendre connaissance. Il rapporte à la presse que le nombre de disparus est de 6146. Est ce le nombre indiqué dans le rapport?

La question est permise puisque M. Ksentini a affirmé plus tard que parmi les disparus, donc s’agissant théoriquement de cas examinés et confirmés, la moitié serait en réalité des faux-disparus.8 Ils seraient soit montés au maquis pour rejoindre les groupes armés ou se seraient enfui à l’étranger.

M. Ksentini a annoncé ensuite le 23 juin 2006 à la radio nationale que « 183 personnes portées disparues avaient été retrouvées vivantes et avaient été rayées de la liste ». A la question d’un journaliste du quotidien arabophone Al Khabar, M. Ksentini précisait le 25 juin suivant que ces cas « avaient été radiés des listes sous leurs propres demandes ou après des requêtes présentées par leurs parents et proches », lesquels auraient « présenté des documents prouvant qu’ils sont toujours en vie ».

Ni la liste des 6146 cas de disparitions imputables aux forces de sécurité recensés par la CNCPPDH, ni celle des 183 personnes qui auraient été retrouvées, n’ont été rendues publiques en dépit des demandes formulées par les associations de familles de disparus et des ONGs.  

Questions: Le traitement de la question des disparus ne constitue-t-il pas une violation du Pacte? Pourquoi le rapport de Me Ksentini n’a-t-il pas été publié?

 

II. Observations et questions relatives à certains points traités dans le 3ème rapport périodique de l’Algérie

1. Article 4

A propos de l’état d’urgence

Le gouvernement algérien affirme que l’état d’urgence a été instauré en parfait respect de l’article 4 du Pacte, c’est à dire que cette mesure d’exception qui dure depuis plus de 15 ans « n’interrompt pas la poursuite du processus démocratique, de même que continue à être garanti l’exercice des droits et libertés fondamentaux ». Pour étayer cette affirmation, le gouvernement soutient que les mesures les plus coercitives décidées dans le cadre de l’état d’urgence auraient été levées. Parmi les exemples donnés nous trouvons les perquisitions et les gardes à vue, les limitations des libertés de réunion, d’association, d’expression.

Or les instruments permettant de réduire le champ d’action de la société civile ont en partie été mis en place avant la promulgation de l’état d’urgence. La participation de l’armée dans l’accomplissement de missions relevant de la sauvegarde de l’ordre public, hors des situations d’exception prévues par la Constitution est décidée dès fin 1991. L’armée peut être mobilisée, sur décision du chef du gouvernement, après consultation préalable des autorités civiles et militaires compétentes, pour répondre à des impératifs de protection et de secours aux populations, de sûreté territoriale et de maintien de l’ordre.9 Cette loi a été précisée par un décret du 21 décembre 1991, notamment à propos de la définition des autorités civiles et militaires. Les autorités civiles sont représentées par le ministre de l’Intérieur et des collectivités locales et les autorités militaires par le ministre de la Défense et le chef d’état-major de l’ANP.10 Ces textes sont encore en vigueur de nos jours.

Au lendemain de la promulgation de l’état d’urgence, le 10 février 1992, un arrêté interministériel (défense et intérieur) a été pris, portant « organisation générale des mesures de préservation de l’ordre public dans le cadre de l’état d’urgence ». Pour reprendre les constatations de Prof. Mohand Issad qui avait présidé une commission d’enquête sur les évènements qui ont bouleversé la Kabylie au printemps 2001: L’arrêté « maintient les pouvoirs du ministre de l’Intérieur comme « responsable du maintien de l’ordre à l’échelon national », qui « assure la direction générale de la mise en œuvre des mesures de préservation et de maintien de l’ordre public… » (Article 1er). Il est assisté d’un état-major composé de représentants des forces participant au maintien de l’ordre (article 2). Les commandants des régions militaires et le commandant des forces terrestres pour la wilaya d’Alger, « sont les autorités militaires délégataires chargées de la direction des opérations de rétablissement de l’ordre public… conformément à l’article 9 du décret 92/44 du 9 février 1992 » (article 3). Le wali exerce les prérogatives en matière d’ordre public « prévues par les dispositions de l’article 4 du décret n°92/44 susvisé… » Il « actionne » les services de police et de gendarmerie nationale implantés sur le territoire de la wilaya relevant de son autorité (article 6).

Or, l’article 4 du décret du 9 février 1992 vise aussi bien les mesures de préservation que les mesures de rétablissement de l’ordre public, qui relèvent de la compétence du ministre de l’Intérieur, pour tout ou partie du territoire national, et du wali pour sa circonscription. On ne trouve pas dans l’arrêté du 10 février 1992 les compétences du ministre pour le rétablissement de l’ordre. Cet arrêté introduit une distinction entre, d’une part, la préservation et la sauvegarde de l’ordre public et, d’autre part, le rétablissement de ce même ordre public, les premiers relevant de l’autorité civile, le second de l’autorité militaire. Distinction extrêmement difficile à observer sur le terrain.

Par ailleurs, il introduit une double compétence, de l’autorité civile pour la préservation et la sauvegarde de l’ordre public, et de l’autorité militaire pour le rétablissement de cet ordre public, soit sur délégation du ministre de l’Intérieur (première lecture) soit en vertu de l’article 3 de l’arrêté du 10 février 1992 (deuxième lecture). Il semble que c’est la deuxième lecture qui a prévalu, autrement cet arrêté n’aurait pas beaucoup de sens. Mais celui-ci est contraire au décret, ce qui constitue une violation de la règle de la hiérarchie des normes. Immédiatement se pose la question de savoir quelle est l’autorité qui apprécie et décide s’il s’agit d’une situation de préservation de sauvegarde de l’ordre public ou de rétablissement de l’ordre public. »11

Cette confusion entre les compétences civiles et militaires permet de passer sous silence l’intervention du pouvoir exécutif dans la vie politique et sociale.

En réalité, tout un arsenal juridique a précédé la promulgation de l’état d’urgence, réduisant déjà considérablement les libertés publiques. Dès décembre 1991 par exemple une loi relative aux réunions et manifestations publiques a été promulguée qui est toujours en vigueur.12 Elle modifie les dispositions de la loi de 1989 régissant ce sujet. Alors que la notion de réunion publique y est redéfinie, c’est l’administration centrale (wali) et non plus locale (maire) qui autorise ces manifestations.

Les restrictions qu’entraîne cette situation d’exception sont omniprésentes même si elles sont souvent insidieuses. N’oublions pas que le ministre de l’intérieur et le wali compétent territorialement peuvent selon le décret d’état d’urgence « restreindre ou interdire la circulation des personnes et des véhicules sur des lieux et selon des horaires déterminés » et ordonner par arrêté « la fermeture provisoire des salles de spectacle, de lieux de réunion de toute sorte et d’interdire toute manifestation susceptible de troubler l’ordre public ».

En vertu de ces dispositions légales exceptionnelles, les marches pacifiques ou toute forme de manifestations publiques sont interdites à Alger depuis le 18 juin 2001. Aussi nombre de réunions publiques dans d’autres régions n’ont pas été autorisées. Les demandes d’autorisation pour des manifestations de protestation contre la guerre en Irak en 2003 et au Liban en 2006 n’ont pas été accordées. Un séminaire international sur le thème de « la vérité, la paix et la conciliation » devant réunir experts, ONG internationales et algériennes, familles de victimes le 8 février 2007 a été empêché à la dernière minute alors qu’intervenants et participants se trouvaient sur les lieux. Des experts étrangers n’ont pas été autorisés à se rendre en Algérie, à l’instar de M. Roberto Garretón, invité à cette occasion en qualité d’expert de la justice transitionnelle, rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des Droits de l’Homme en République Démocratique du Congo et membre de l’organisation chilienne de défense des familles des prisonniers politiques (ODEP).

Le projet de charte pour la paix et la réconciliation nationale promulgué en août 2005 et soumis au référendum le 29 septembre n’a connu aucun débat en raison du verrouillage des autorités publiques. Ceux qui ont critiqué ce texte ont été réduits au silence. La police a interpellé ceux qui collaient des affiches. La radio et la télévision les ont totalement ignorés. Les partis politiques ou associations qui ont tenté de louer des salles pour organiser des meetings à ce propos les ont vues refusées.

Trois experts de DRI – Democracy Reporting International – voulant se rendre en Algérie en 2006 pour leur mission d’évaluation du cadre électoral en Algérie n’ont pas obtenu de visa. Même une marche prévue à Annaba le 8 novembre 2006 par le MSP, un parti politique membre de l’alliance présidentielle, pour protester contre l’insécurité dans la ville, n’a pas été autorisée. La réunion publique sur la problématique de la paix et de la réconciliation nationale, prévue à Illilten début septembre 2005 par la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme n’a pu avoir lieu parce que les pouvoirs publics ne lui ont pas octroyé de salle. Le chanteur raï cheb Azzedine ainsi que son éditeur ont été condamnés à une peine de prison de 12 mois pour « diffamation et outrage à corps constitués » suite à sa chanson « Chouf el hogra chouf ». Les deux ont été graciés en juillet 2005 après avoir passé 4 mois en prison. Ce ne sont là que quelques exemples d’une longue liste de restrictions et interdictions.

La majorité des partis politiques, y compris ceux constituant la « coalition gouvernementale » et associations réclame la suppression de l’état d’urgence.

Question: Si cet état d’urgence n’a plus raison d’être, la restauration de l’ordre public et de la sécurité ayant été restaurés comme semble le suggérer le rapport périodique, alors pourquoi n’a-t-il pas été levé?

 

2. Article 5

A propos de la loi sur la « concorde civile » et « l’ordonnance portant mise en oeuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale ».

Le gouvernement algérien se défend de la critique que ces textes restreignent ou dérogent aux droits fondamentaux. Nous rappelons ici succinctement les points essentiels contenus dans ces deux instruments juridiques.

La loi sur la concorde civile qui a été promulguée le 13 juillet 199913 ne concerne que les combattants impliqués « dans des actions de terrorisme ou de subversion » et accorde à ceux qui se rendent aux autorités dans un délai de six mois à partir de la promulgation du texte de loi soit l’exonération des poursuites, soit la mise sous probation, soit une réduction de peine. L’exonération des poursuites pénales, constitutive en elle-même d’impunité, est proposée à ceux qui n’ont pas commis de massacres collectifs, viols et attentats à l’explosif dans des lieux publics. L’exonération est soumise à l’appréciation des « autorités compétentes »14, sans que ces dernières ne soient spécifiées. Il faut donc supposer en raison de la sensibilité du sujet qu’il s’agit de responsables de l’armée nationale. Une déchéance des droits civiques pour une période de dix ans est toutefois prévue pour cette catégorie de personnes.15

La probation, elle, gèle les poursuites pénales durant une période probatoire de trois à dix ans.16 Ne sont concernés, là aussi que ceux qui n’ont pas commis de crimes de sang, exceptions faites pour ceux qui servent l’Etat dans la lutte contre le terrorisme.17 La mise sous probation est accompagnée de la privation des droits civiques durant la période de probation, sauf si le concerné est « admis à servir l’État dans la lutte contre le terrorisme ».18 Le comité de probation est composé de représentants des organes sécuritaires de l’État (Armée, parquet, gendarmerie, police) et d’un représentant de l’ordre des avocats.19

La dernière mesure concerne la réduction de peine de moitié notamment pour ceux qui ont commis des crimes sang.

Karim Kettani, juriste marocain constate que « l’exonération et la probation suivent une procédure administrative d’où est exclu le judiciaire. La publicité des délibérations et des décisions n’est pas non plus assurée. Les victimes des faits reprochés aux personnes bénéficiant de ces deux mesures ainsi que de la réduction de peine n’ont pas le droit d’être entendues, et ne peuvent se porter partie civile contre les personnes exonérées ou ayant passé avec succès leur mise sous probation. Enfin, seule la réduction de peine se fait dans un cadre judiciaire. Le tout dans un contexte d’impunité de fait des membres des forces de l’ordre et des miliciens dits ‘patriotes’. Ce cadre peu transparent est ainsi propice à la prise en considération, par les autorités « compétentes » en matière d’exonération de probation, de facteurs politiques, pouvant ainsi vider les dispositions de la loi de concorde de leur contenu restrictif, notamment pour ce qui est des conditions à remplir pour obtenir l’exonération ou la probation. Il faut également noter que l’absence d’enquête sérieuse et indépendante menée sur de très nombreux massacres collectifs et attentats rend pour le moins aléatoire la détermination de la participation ou non d’un candidat à ces faits, participation qui, comme nous l’avons vu, exclut le bénéfice de l’exonération ou de la probation. ».20

Dans le cadre de cette « concorde civile », un décret présidentiel accorde une « grâce amnistiante » aux combattants de l’Armée islamique du salut (AIS) qui sont de fait exonérés. La liste nominative des bénéficiaires de cette mesure aurait du être annexée au décret, ce qui n’a pas été fait, du moins publiquement. Aussi la suspension des droits civiques n’est pas prévue pour cette catégorie de personnes. Il faut ajouter que selon des articles de journaux et les déclarations de politiciens algériens, les dispositions de cette loi ont été appliquées au delà du délai de six mois. Mais là aussi les critères d’admission des candidats à l’exonération ou la probité n’ont pas été rendus publics.

L’ordonnance de mise en œuvre de la charte pour la paix et la réconciliation nationale a été promulguée en février 200621. Elle prévoit l’extinction de l’action publique contre toute personne qui s’est rendue aux autorités entre la fin du délai prévu par la loi précédente correspondant au 13 janvier 2000 et la date de promulgation de cette ordonnance22, pour celles qui se rendent dans un délai de six mois23, ou celles détenues non condamnées définitivement à condition de ne pas avoir commis de massacres collectifs, attentats à la bombe et de viols.24 Dans ces cas l’exonération des poursuites peut être décidée par le procureur de la République.25 Des commutations ou remises de peines sont prévues dans certains cas.26

Dans le cadre de « mesures destinées à consolider la réconciliation nationale » sont abrogées les mesures de privation de droits instaurées à l’encontre de personnes ayant bénéficié des dispositions de la loi sur la concorde civile.27 Cependant l’ordonnance prévoit l’interdiction de toute activité politique pour ceux qui « sont responsables de l’instrumentalisation de la religion ayant conduit à la tragédie nationale ».28 Cette définition est si vague qu’il est difficile de ne pas y voir une restriction de certaines libertés fondamentales.

En plus du traitement de personnes suspectées d’activités terroristes ou de complicités, sont évoquées dans ce texte pour la première fois les forces de l’ordre. Alors que dans le texte relatif à la « concorde civile », il était possible de voir implicitement une volonté de laisser impunis les violations commises par les membres de corps constitués, dans ce dernier texte, l’impunité est explicitement énoncée sous forme de texte de loi.

L’article 45 prévoit qu' »aucune poursuite ne peut être engagée, à titre individuel ou collectif, à l’encontre des éléments des forces de défense et de sécurité de la République, toutes composantes confondues, pour des actions menées en vue de la protection des personnes et des biens, de la sauvegarde de la Nation et de la préservation des institutions de la République algérienne démocratique et populaire. »29 Se pose tout de même la question de savoir qui sont ces  » forces de défense et de sécurité de la République, toutes composantes confondues »? Les « gardes communales » et les « groupes de légitime défense » sont-ils comptés parmi ces forces?

Cet article de loi pouvant être assimilé à une décision d’amnistie générale pour ces forces, est incompatible avec le droit international des droits de l’homme. Malgré son manque de clarté qui peut susciter de nombreuses questions, l’alinéa 2 semble suggérer que la validité de cet article s’étend aussi aux violations commises par ces forces après la promulgation du texte puisqu’il stipule:  » Toute dénonciation ou plainte doit être déclarée irrecevable par l’autorité judiciaire compétente. » Or l’amnistie, non seulement n’est pas opposable aux victimes des crimes commis, mais en outre est contraire aux obligations internationales de l’Etat qui la promulgue. Le gouvernement explique à propos de « l’irrecevabilité de dénonciation ou de plainte » à l’encontre des forces de sécurité qu’il s’agit là d’une disposition « plébiscitée par le peuple le 28 septembre 2005 ». Il faut se souvenir que dans le texte de la charte sur la paix et la réconciliation nationale30 n’est nullement mentionnée la volonté d’amnistier cette catégorie de personnes même si un hommage appuyé est adressé aux forces de sécurité et à leurs auxiliaires. Et la question sur laquelle devaient se prononcer les Algériens lors de ce référendum était: « Etes-vous pour ou contre la paix et la réconciliation nationale ». La réponse est dans ces conditions fixée d’avance d’autant plus que les voix critiques n’ont pas eu le droit de s’exprimer.

Il faut rappeler qu’une partie des crimes commis en Algérie depuis 1992 constituent en vertu du droit international des crimes continus s’agissant de « disparitions forcées » à caractère massif et systématique et de massacres assimilables à des crimes contre l’humanité. S’ajoute à ceux-là les crimes de torture et de détention arbitraire sur lesquels nous reviendrons.

Mais le législateur algérien est allé encore plus loin puisqu’il a non seulement voulu barrer la voie aux poursuites judiciaires contre les auteurs de crimes mais aussi marquer du sceau du délit passible de poursuite pénale et de peine de prison toute critique contre la position du gouvernement algérien relative au drame vécu par l’Algérie depuis plus de 15 ans:  » Est puni d’un emprisonnement de trois (3) ans à cinq (5) ans et d’une amende de 250.000 DA à 500.000 DA, quiconque qui, par ses déclarations, écrits ou tout autre acte, utilise ou instrumentalise les blessures de la tragédie nationale, pour porter atteinte aux institutions de la République algérienne démocratique et populaire, fragiliser l’Etat, nuire à l’honorabilité de ses agents qui l’ont dignement servie, ou ternir l’image de l’Algérie sur le plan international. »31 En cas de récidive, la peine est doublée.

Cette disposition constitue une véritable menace pour tout défenseur des droits humains, chercheur, journaliste, victime des violations des droits de l’homme etc. qui ne s’accommoderait de la version officielle des faits et s’engagerait dans un travail de recherche de vérité et de justice.

Questions: Les dispositions de loi sur la concorde civile et de l’ordonnance d’application de la charte pour la paix et la réconciliation nationale sont elles compatibles avec les principes de droit international auxquels l’Algérie a souscrit?

Est ce que les plaintes déposées par des victimes contre des agents des forces de sécurité ont été classées sans suite? Est ce que des plaintes soumises après la promulgation du dernier texte sont recevables?

 

3. Article 6

Droit à la vie :

Les évènements de Kabylie: Le 18 avril 2001, un lycéen de 19 ans est arrêté à Béni Douala et gardé à vue à la brigade de gendarmerie. Il est grièvement blessé d’une rafale de kalachnikov par un gendarme à l’intérieur de la brigade. Il succombe à ses blessures le lendemain à l’hôpital Mustapha d’Alger. La gendarmerie parle de mort accidentelle, suite à une malencontreuse manœuvre d’une Kalachnikov par un gendarme. Son père parle d’assassinat. Ses amis dénoncent son exécution sommaire. Des émeutes secouent toute la Kabylie et se propagent au-delà de cette région et ce durant des mois. La gendarmerie, en violation du principe de proportionnalité, tire à balles réelles sur les manifestants et fait près de 120 morts et des milliers de blessés. De nombreuses personnes arrêtées sont torturées. Une grande manifestation a été organisée en protestation le 14 juin 2001 qui a été violemment réprimée. C’est dans ce contexte d’ébullition généralisée que le gouvernement a interdit les marches dans Alger, interdiction en vigueur à ce jour. Le gouvernement avait promis de mener des enquêtes sur les violations commises par les forces de sécurité et de juger les coupables, en particulier les gendarmes accusés d’avoir commis des exécutions sommaires.

 

Questions: Les membres des forces de sécurité auteurs d’exécutions extrajudiciaires et de tortures ont ils été jugés et condamnés? Les victimes et leurs familles ont elles été indemnisées comme l’avait promis le gouvernement?

4. Article 7

4.1 Tortures et peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Dans son rapport périodique le gouvernement algérien souligne que le droit pénal a été révisé et que l’infraction de la torture a été redéfinie sur la base de la Convention contre la torture. Dorénavant, l’acte de torture commis par tout fonctionnaire est passible de 10 à 20 ans de réclusion, de même que le fait de ne pas dénoncer ce crime est puni de 5 à 10 de réclusion.

La pratique de la torture reste largement répandue en Algérie, les témoignages de victimes et les rapports des organisations de défense des droits de l’homme font état de son caractère systématique. Dans les années 90 tous les corps constitués ainsi que les « groupes de légitime défense » pratiquaient la torture. Ces dernières années, particulièrement depuis le 11 septembre 2001, c’est le Département du renseignement et de la sécurité qui est le principal corps de sécurité chargé des personnes suspectées d’activités terroristes.

Les personnes arrêtées sont généralement transférées dans les locaux du DRS, très souvent à Alger (centre Antar). Elles disparaissent dans un premier temps dans un lieu de détention secret pendant une période variant de quelques jours à plusieurs mois et elles sont généralement soumises à des tortures pendant la première phase de cette détention au secret, laquelle constitue en soi une forme de torture. Les méthodes les plus couramment employées à côté des coups, sont le chiffon, la suspension, l’électricité. Les tortures ont pour but de faire avouer au suspect son appartenance à un groupe terroriste ou une activité de soutien à celui-ci.

Les aveux soutirés sous la torture sont consignés dans des procès-verbaux que les concernés doivent signer sans pouvoir les lire. Très souvent à leur sortie du lieu de détention secret, elles sont contraintes de signer une attestation dans laquelle elles confirment avoir été bien traitées. Rares sont les victimes qui osent ensuite faire état des tortures même devant le juge d’instruction. Malgré les menaces pesant sur elles, certaines ont tout de même témoigné. Ici quelques exemples:

Mohamed Sebbar, arrêté le 27 décembre 2002, avait séjourné en Bosnie au début des années 90 où il a combattu dans les rangs de l’armée bosniaque. Il avait obtenu la nationalité bosniaque. En 2001, ayant reçu des garanties du président algérien, il décide de rentrer en Algérie avec sa famille. Six mois plus tard, le 27 décembre 2002, il est arrêté par des agents du DRS. Il est détenu au secret pendant plus de 9 mois avant d’être présenté fin septembre 2003 devant le juge d’instruction. Mais auparavant ses tortionnaires l’ont contraint à signer un document attestant qu’il avait été bien traité et qu’aucun objet n’avait disparu de son domicile. Il signe un procès-verbal d’interrogatoire, truffé d’aveux extorqués sous la torture parce que l’officier le menaçait de mort. Il lui fit comprendre qu’il avait déjà exécuté plusieurs personnes et qu’il n’avait aucune chance de sortir de prison parce que le procureur et le juge d’instruction appartenaient à leur appareil. Arrivé au tribunal, M. Sebbar informe les deux magistrats de sa volonté de porter plainte contre les agents du DRS. Tous deux lui dirent que s’il ne connaissait pas les noms de ses tortionnaires, il ne pourrait porter plainte.32

M’hamed Benyamina, algérien résidant en France, a été arrêté le 9 septembre 2005 à l’aéroport d’Oran alors qu’il voulait rentrer en France après un séjour d’un mois en Algérie. Les agents du DRS qui ne se sont pas identifiés l’ont informé qu’il était arrêté sur demande des autorités françaises. Il a été détenu au secret dans un centre de l’armée à Alger pendant 5 mois. Il n’a été présenté devant le juge d’instruction que le 6 février 2006. Durant toute cette période de détention au secret, il n’a pas eu le droit de voir un avocat, et sa famille ne connaissait pas son lieu de détention. Quand il a été présenté devant le juge d’instruction, il s’est plaint des tortures subies et d’avoir été contraint de signer le procès-verbal d’interrogatoire sans avoir pu prendre connaissance de son contenu. Depuis il est emprisonné sans avoir été jugé. Le Groupe de travail sur la détention arbitraire saisi du cas a constaté le 21 novembre 2006 que sa détention est arbitraire.

Nouamane Meziche qui a la double nationalité algérienne et française et qui réside en Allemagne a été arrêté lors d’un voyage en Algérie le 5 janvier 2006, à son arrivée à l’aéroport d’Alger. Aucun mandat d’arrêt n’avait été émis et il n’avait pas été condamné par défaut. Il a été détenu au secret pendant 43 jours dans le centre « Antar » du DRS où il a subi des tortures. Ce n’est que le 19 février qu’il a été présenté à un juge d’instruction qui l’a inculpé d’ »appartenance à un groupe terroriste agissant à l’extérieur ». Dans le cadre des dispositions de l’ordonnance d’application de la charte l’action publique à son encontre a été annulée et il a été libéré le 4 mars 2006.

L’affaire de Ain-Taghrout: Plus d’une dizaine de personnes ont été enlevées par les agents du DRS dans le petit village de Ain-Taghrout (Wilaya de Bordj Bou Arreridj) entre le 20 et le 23 décembre 2006. Tous ont été systématiquement torturés dans les locaux du DRS de Constantine avant de se voir inculpés « d’apologie au terrorisme » et placés en détention provisoire.

Mounir Hammouche est décédé sous la torture. Enlevé sur la voie publique à Ain Taghrout, Wilaya de Bordj Bou Arreridj, par plusieurs personnes en tenue civile le 20 décembre 2006, il avait été conduit dans un centre du DRS. Il lui avait été reproché « de ne pas faire la prière dans la mosquée la plus proche de son domicile » et « de porter une barbe ainsi qu’une tenue vestimentaire islamique ». Libéré le lendemain, il avait de nouveau été enlevé dans les mêmes conditions le 23 décembre suivant ainsi qu’une dizaine d’autres personnes dans le même village parmi lesquelles, Antar Zaibet, Mourad Zaibet, Fares Messahel, Walid Laggoune, Mahmoud Belaid et Mounir Rezazga. Tous ont été torturés dans un centre du DRS de Constantine et portaient des traces visibles de tortures au moment de leur présentation devant le juge d’instruction.

Le corps de Mounir Hammouche a été remis à ses parents le 29 décembre au soir. Il leur a été déclaré « qu’il s’était suicidé ». Ses parents qui ont constaté que son corps portait de nombreuses traces de tortures, dont une blessure au niveau de la tête ainsi que des ecchymoses au niveau des mains et des pieds ont demandé qu’une autopsie soit effectuée avant l’enterrement. Ils se sont vus répondre « qu’une autopsie avait de toute façon été pratiquée ». Malgré les protestations de la famille, l’enterrement a eu lieu le lendemain sous surveillance policière. Le rapport d’autopsie n’ayant jamais été communiqué à la famille, celle-ci s’est adressée au procureur de la république du tribunal de Ras El Oued et au Procureur général de la Cour de Borj Bou Arreridj pour en demander une copie. Elle n’a pas obtenu de réponse à ce jour. Son cas a été communiqué à M. le Rapporteur spécial sur la torture le 16 janvier 2007 et à M. le Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires le 18 janvier 2007.

4.2 Les familles de disparus sont également soumises à une forme de torture

Nonobstant les autres droits protégés par le Pacte qui sont violés en matière de disparitions forcées, cette pratique généralisée dans les années 1993-1997 continue de produire des effets dramatiques dans la société et en particulier sur les proches des victimes toujours dans l’ignorance du sort des leurs et sans accès au droit à la vérité.

Ces disparitions sans explications officielles et sans volonté politique de faire la lumière sur ces évènements continuent à constituer pour les parents des victimes une épreuve douloureuse et angoissante et les maintiennent dans un état d’incertitude et de souffrance profonde assimilables à la torture.

Même pour les familles des personnes enlevées par les services de sécurité et disparues qui ont été informées officiellement du décès de leurs proches, les autorités refusent de les informer sur les circonstances de leur mort et sur le lieu où le corps aurait été enterré.

Questions: L’article 45 de l’ordonnance de mise en œuvre de la charte pour la paix et la réconciliation est-il compatible avec les dispositions du code pénal punissant le crime de torture?

Le procureur de la république entreprend-il des inspections des lieux de garde à vue, y compris les locaux du DRS pour vérifier qu’il n’y a pas violation de l’article 7 ?

5. Article 9

Droit à la liberté et la sécurité

Le gouvernement algérien affirme dans son rapport périodique que la garde à vue serait, en vertu de la loi, limitée dans le temps en fonction des besoins de l’enquête préliminaire. Or il prétend que celle-ci, fixée à 48h, n’est que rarement dépassée pour atteindre les 12 jours « avec l’accord des autorités judiciaires ». En réalité, la durée de garde à vue de 48h est dépassée systématiquement, même dans le cas de délits mineurs, et le délai de 12 jours, fixé selon les dispositions de la loi contre le terrorisme intégrée dans le code pénal est lui aussi très souvent dépassé dans les affaires dites de terrorisme.

Plus grave, pendant cette garde à vue excessivement longue, les détenus n’ont pas l’autorisation de contacter un avocat ou leur famille qui ignorent le plus souvent le lieu de la garde à vue si celle-ci se déroule dans les locaux du DRS comme cela est le cas dans ce type d’affaire. Ils ne passent pas de visite médicale. Souvent, les victimes sont présentées à un juge d’instruction au terme des 12 jours de garde à vue mais dans de nombreux cas, elles sont maintenues au secret pendant des périodes pouvant aller de quelques semaines à plusieurs mois. Dans le cas par exemple de Harizi Mohamed, arrêté au domicile familial à Mehdia (Tiaret) par des agents du DRS le 15 décembre 2002, il a été détenu au secret au Centre Antar pendant deux ans et 46 jours avant d’être présenté devant un magistrat le 02 février 2004.

Plusieurs subterfuges ont été constatés pour masquer cette violation de la loi notamment en procédant à la falsification de la date d’arrestation dans les procès verbaux établis dans le cadre de la procédure préliminaire.

Ainsi dans les cas de Youssef Belmouaz, 22 ans, et Brahim Abed, 23 ans, enlevés tous deux sur la voie publique par des agents du DRS à Tiaret, respectivement les 26 novembre et 27 novembre 2006 et détenus au secret au centre Antar de Ben Aknoun (Alger) ils n’ont été présentés devant le juge d’instruction du tribunal d’Alger que le 04 mars 2007 soit 97 et 98 jours après leur arrestation.

Leurs parents respectifs avaient pourtant avisé les procureurs généraux près les cours de Tiaret et Alger dès le mois de décembre 2006, sans que ceux-ci ne requièrent l’ouverture d’une enquête pour enlèvement et séquestration comme la loi les y oblige. Ces magistrats ne pouvaient ignorer que les victimes étaient en fait détenues par le DRS. La date d’arrestation mentionnée cependant dans la procédure est celle figurant dans les procès verbaux établis par le DRS soit le 25 février 2007.Tous deux ont fait l’objet d’appels urgents au Groupe de travail sur les disparitions forcées et au rapporteur spécial sur la torture.

Dans certains cas où la garde à vue dure des semaines voire des mois, les détenus sont officiellement « assignés à résidence » par le ministère de l’intérieur. Dans ces ordres d’assignation, qui constituent de facto des détentions administratives sans contrôle judiciaire, il est indiqué que la personne ne peut quitter la wilaya sans mention de l’adresse exacte à laquelle elle est assignée et la durée de cette mesure. En réalité les détenus sont maintenus au secret dans des centres du DRS.

Ces centres du DRS sont tenus secrets, ils ne sont mentionnés sur aucun document, les procès-verbaux d’audition mentionnent les locaux de la police mais non du DRS. Les familles des détenus ne savent pas où ces derniers se trouvent.

 

6. Article 14

Droit à la Justice

Bien que garanti constitutionnellement comme le réaffirme le gouvernement dans le point 299 de son rapport et que le déni de justice soit passible de sanctions pénales (Art. 136 du code pénal), de graves atteintes à ce droit sont courantes en Algérie.

Il paraît évident que dans les exemples que nous avons cité ci-dessus, les concernés n’ont pas eu accès à la justice pour que, dans un délai raisonnable, leur cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial.

Abbassi Madani, avait été jugé en 1992 par un tribunal militaire pour « atteinte à la sûreté de l’Etat et au bon fonctionnement de l’économie nationale » sans que l’Etat algérien n’ait alors justifié le recours à ce tribunal ni démontré que les tribunaux civils ordinaires ou  » d’autres formes alternatives de tribunaux spéciaux ou de haute sécurité  » n’étaient pas en mesure d’entreprendre ce procès. « Le Comité a conclu dans ses observations du 28 mars 2007 que le procès et la condamnation de Abbassi Madani par un tribunal militaire relèvent une violation de l’article 14 du Pacte ».

Dans d’autres cas encore plus révélateurs, les personnes arrêtées font l’objet d’une procédure légale mais sont ensuite détenues au secret sans qu’elles ne soient traduites en justice pour être jugées.

C’est notamment le cas de Amari Saifi, alias “El-Para”, émir de la zone 5 du GSPC, accusé de l’enlèvement de 32 touristes européens dans le Sahara algérien début 2003. Il a été remis aux autorités algériennes par la Libye le 27 octobre 2004. Devant être jugé pour « appartenance à un groupe terroriste », son affaire a été enrôlée pour la deuxième session du tribunal criminel d’Alger le 16 juin 2005, après un premier report à l’audience du 24 avril précédant, au cours duquel le président du tribunal avait demandé au procureur général de procéder à l’extraction du détenu de la prison de Constantine où il était censé être détenu. Le président du tribunal ayant constaté de nouveau la carence du Procureur général à présenter le détenu à l’audience de jugement, est passé outre, et l’a condamné à la réclusion criminelle à perpétuité par contumace, alors que légalement, cette procédure n’est applicable qu’aux accusés en état de fuite. L’affaire de l’enlèvement des touristes en 2003 devait faire l’objet d’un procès durant la session criminelle débutant début mai 2007. Selon la presse algérienne: Il « sera jugé par contumace ‘car les procédures judiciaires engagées dans le cadre de cette affaire ont débuté avant qu’’El Para’ ne soit remis aux autorités algériennes et, donc, considéré comme étant en fuite’, explique une source judiciaire selon laquelle ‘la loi stipule que ces procédures doivent être menées à terme’. »33

Dans le cas de Medjnoun Malik, enlevé à Tizi-Ouzou le 28 septembre 1999 par des agents du DRS, torturé et détenu au secret au Centre Antar de Ben Aknoun durant plus de huit mois, l’instruction de la procédure a été clôturée par un arrêt de renvoi devant le tribunal criminel de Tizi-Ouzou le 10 décembre 2000 et son affaire fixée devant la juridiction de jugement le 5 mai 2001. Elle a été renvoyée sine die depuis cette date.

Le cas de Malik Medjnoun a fait l’objet d’une communication au Comité des droits de l’homme le 11 juin 2004 (Affaire 1297/2004) qui a rendu ses constatations le 9 août 2006.

Dans le cours de la procédure, les autorités algériennes avaient informé le Comité le 28 décembre 2004 « que l’affaire devait être soumise incessamment devant le tribunal criminel de Tizi-Ouzou pour y être jugée ». Depuis cette date 08 sessions criminelles, dont 02, au moins, depuis le mois de juillet 2006 se sont tenues à la Cour de Tizi-Ouzou sans que son affaire n’ait été programmée par le ministère public.

En dépit des constatations du Comité, violation par l’Etat algérien des articles 7, des paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 9 et des paragraphes 3 a) et c) de l’article 14 du Pacte, Malik Medjnoune n’est, à ce jour, pas encore jugé après presque 8 années de détention dont 8 mois au secret dans un centre du DRS.

Questions: Quelles sont les mesures prises par le gouvernement dans de tels cas de déni de justice établis ? Les fonctionnaires et magistrats responsables de telles violations de la loi font-ils l’objet de poursuites judiciaires conformément à l’article 136 du code pénal ?

7. Article 19

Liberté d’expression, d’opinion et d’information

L’ordonnance d’application de la charte pour la paix et la réconciliation nationale menace dans son article 46 cité ci-dessus de punir ceux qui dénoncent publiquement des atteintes aux droits humains ou défendent une interprétation de la situation des 15 dernières années qui ne concorde pas avec celle codifiée par le législateur.

Question: Cet article n’est il en contradiction avec l’article 19 du Pacte?

S’il est vrai qu’après 1990 une véritable avancée dans le domaine de la liberté de la presse était enregistrée, celle-ci a rapidement été restreinte après 1992. Les méthodes du gouvernement étaient diverses et souvent subtiles, lui permettant de donner l’image d’une presse plurielle et libre. Le code pénal a été amendé pour introduire des dispositions durcissant la législation sur la presse et la diffamation (voir articles 144 bis et 146 du Code pénal).

Le 14 octobre 2002, un avant-projet de loi sur l’information était publié sur le site du ministère de la Communication, constituant d’après Khaled Bourayou, avocat spécialisé dans les affaires de presse, « un verrou supplémentaire pour bâillonner la presse, après le code pénal ». « Le plus grave [dans ce texte] est la remise en cause de l’article 14 de la loi de 1990. La nouvelle disposition stipule désormais que toute publication est soumise […] à une déclaration préalable à la parution du premier numéro auprès des services du ministère chargé de l’Information ; […] un récépissé est délivré dans un délai n’excédant pas trente jours à compter de la date du dépôt du dossier. Le silence de l’administration au-delà de ce délai vaut refus. »34 La loi reviendrait donc à un régime d’autorisation, alors que l’article 14 de la loi sur l’information de 1990 stipulait que « l’édition de toute publication est libre. Elle est soumise aux fins d’enregistrement et de contrôle de véracité, à une déclaration préalable, trente jours avant la parution du premier numéro. La déclaration est enregistrée auprès du Procureur de la République ».

En réalité, ce nouvel article, qui parle clairement de « refus », codifie ce qui était déjà pratiqué. Depuis longtemps la loi en vigueur était contournée pour imposer l’interdiction de facto de certains nouveaux journaux. En 1998, le journaliste Abed Charef écrivait que « les procureurs ont commencé à ne plus délivrer ce récépissé, ce qui entraîne une violation évidente de la loi. Plus tard, c’est le ministère de la Justice qui s’est imposé pour donner son avis préalable à la délivrance de ce récépissé, devenu agrément. La presse a rarement évoqué ce dérapage« .35 Ahmed Kaci qui projetait de créer deux journaux rapporte de son côté en janvier 2002: « J’ai déposé mon dossier d’agrément au niveau du tribunal de Sidi M’Hamed, à Alger en août 2000, et depuis, il est resté sans suite. […] L’obtention d’un agrément obéit ainsi à des règles clandestines et à une volonté délibérée d’interdire des titres avant même leur parution. »36

8. Article 22

Liberté d’association

Avec le processus démocratique enclenché en 1989, la liberté d’association a été introduite dans la Constitution et une loi définissant les modalités et la mise en oeuvre de ce droit a été promulguée en 1990. Une multitude partis et d’associations se sont créées. Après janvier 1992, la vie associative a connu un véritable déclin dû à la volonté du gouvernement de restreindre et contrôler les libertés publiques. Les autorités ont considérablement réduit le champ d’action des associations par différents moyens. Le plus subtil est celui décrit plus haut en rapport avec la presse et qui se situe en amont de la création de structures issues du dynamisme d’une société civile.

Dès août 1992, le ministre de l’Intérieur avait pouvoir de suspendre par décret administratif des associations dont les activités étaient jugées susceptibles de « porter atteinte à l’ordre public, à la sécurité de l’État, au fonctionnement normal des institutions ou aux intérêts supérieurs de la nation »37

Les associations

Toute association nouvellement créée est tenue de répondre à une demande d’agrément, de récépissé et de dépôt de dossier. Mais avec l’installation au niveau des commissariats de police d’un bureau chargé des « associations à caractère politique et social », les associations subissent des restrictions et des intimidations avant l’obtention de leur agrément, comme ce fut le cas des associations des familles de disparus ou du syndicat des enseignants, le CNAPEST : « La loi sur les associations, dont certains articles sont ambigus, est ainsi devenue un système de filtrage et de sélection pour le pouvoir. Beaucoup d’associations n’obtiennent pas ce récépissé, seule preuve officielle de dépôt de la demande d’agrément. Elles se trouvent alors livrées à une sorte de “chantage” de la part des services de la wilaya (préfecture) ou du ministère de l’Intérieur qui violent ouvertement la réglementation : elles sont poussées à revoir les statuts et les objectifs initiaux définis par leur assemblée générale. Une fois les objectifs et les statuts revus et “corrigés” par l’administration, avec la coopération forcée des associations, les membres fondateurs sont convoqués individuellement au commissariat de leur arrondissement pour une enquête, avant l’obtention du précieux récépissé de dépôt. À travers ces pratiques, les services chargés des associations ne sont pas tenus de répondre à une demande d’agrément dans les délais, comme définis par la loi de décembre 1990. Des associations, selon leur degré de coopération, n’ont pas obtenu de dossier d’agrément ou de récépissé de dépôt après une année de tracasseries administratives. »38

Aucune association des familles de disparus n’a officiellement été reconnue, elles agissent, à ce jour, dans un cadre où elles sont tolérées mais non légales. Human Rights Watch écrivait dans son rapport de 2001 à ce sujet: « L’Association Nationale des Familles de Disparus (ANFD) a organisé des manifestations toutes les semaines devant les bureaux de l’ONDH pour demander que le gouvernement fournisse des informations sur leurs proches portés disparus mais n’a pas réussi à obtenir une autorisation officielle de fonctionner. L’Association des Familles de Disparus de Constantine a connu le même problème et a indiqué que les autorités étaient intervenues à plusieurs occasions lors de manifestations qu’elle organisait habituellement devant les bureaux du gouvernement. Ali Mrabet, l’un des fondateurs de Soumoud (Ténacité), qui recommande que l’on enquête sur les meurtres et les enlèvements, a affirmé que le Ministère de l’Intérieur ignorait depuis trois ans la demande d’enregistrement sans laquelle le groupe ne peut obtenir l’autorisation de se réunir ou d’ouvrir un compte bancaire. »39

Les partis politiques

Le 6 mars 1997, la nouvelle loi sur les partis entraîne la suspension de deux partis politiques. Par la suite, il n’y a pratiquement plus eu de légalisation de nouveaux partis en dépit des demandes d’agrément formulées. Comme pour les associations de défense des droits de l’homme et la création de journaux, le gouvernement procède à une interdiction de facto en ne traitant pas les dossiers d’agrément. En 1999 le Mouvement de la fidélité et de la justice (WAFA), sous la direction de l’ancien ministre des Affaires étrangères, candidat à la présidence de 1999, Ahmed Taleb Ibrahimi, tente de faire enregistrer son parti. Bien que le délai des soixante jours après l’enregistrement se soit écoulé sans que le gouvernement ne rejette formellement la demande de WAFA, ce qui équivaut à une reconnaissance du statut de parti, le ministre de l’Intérieur n’a pas fait publier la notification de l’enregistrement au Journal Officiel, nécessaire pour obtenir l’autorisation de se réunir et d’organiser des conférences. Deux autres partis ont subi le même sort, il s’agit du Front démocratique (FD) de Sid Ahmed Ghozali, et l’UDR de Amara Benyounès.

Syndicats

La loi 90.14 du 2 juin 1990 relative aux modalités d’exercice du droit syndical a ouvert la voie à la création de syndicats appelés « autonomes ». Le droit de grève entre désormais dans les prérogatives des syndicats. La liberté d’adhérer aux organisations syndicales internationales de leur choix ainsi que la possibilité d’adhésion individuelle des membres des syndicats à des partis politiques sont garanties. Plusieurs amendements de lois font que dès 1991, à la suite de la grève déclenchée par le FIS, le droit de grève a été limité. La participation à un arrêt de travail, « en violation des dispositions législatives en vigueur » a été défini dans la loi du 21/12/91 modifiant la loi précédente relative aux relations de travail, comme une faute professionnelle grave. D’autres amendements de la loi portant exercice du droit de grève renforcent le pouvoir de l’employeur puisque celui-ci peut se prononcer sur la légalité ou l’illégalité de la grève (la loi le lui permet expressément). Auparavant, seul le juge avait le pouvoir de statuer sur le caractère licite ou illicite de la grève, de prononcer des mesures disciplinaires comme le licenciement ou de procéder à la dissolution d’un syndicat.

De nombreux syndicats autonomes n’ont pas obtenu l’agrément demandé. Comme pour les partis politiques et autres associations, l’organisation syndicale n’est déclarée constituée après le dépôt d’une déclaration de constitution auprès de l’administration concernée qu’à la délivrance d’un récépissé d’enregistrement qui doit être délivré au plus tard dans les trente jours. Les autorités ne délivrent pas ce récépissé d’enregistrement et empêchent ainsi la création de nouvelles représentations de travailleurs.

La loi prévoit en outre que les syndicats soient consultées dans les domaines d’activité qui les concernent lors de l’élaboration des plans nationaux de développement économique et social, qu’ils négocient les conventions ou accords collectifs, soient représentés dans des conseils d’administrations des organismes de sécurité sociale, etc. En réalité ils sont exclus de tous ces domaines et sont réduits de facto à la seule fonction de porte parole des revendications, en particulier dans le domaine salarial.

En 1994, le syndicat autonome des travailleurs de l’éducation et de la formation (SATEF) ainsi qu’une dizaine d’autres syndicats ont vu leur demande de création d’une confédération rejetée sans motif. En septembre 2000, le SNAPAP, voulant créer une confédération syndicale dénommée « Syndicat national autonome des travailleurs algériens » (SNATA) a vu sa demande rejetée par les autorités au motif de sa non conformité avec les articles 2 et 4 de la loi n° 90-14 du 2 juin 1990. Selon l’avis du Bureau international du travail (BIT), saisi par le SNAPAP le 17 septembre et 15 octobre 2001, le législateur entreprend une lecture si restrictive de cette loi de 1990 qu’il devrait en conséquence interdire le syndicat national, l’UGTA, qui regroupe en son sein des travailleurs de toutes les branches sans être une confédération puisque les travailleurs y adhèrent individuellement. Des sections syndicales n’ont pas pu être créées, notamment dans les hôpitaux.

Les poursuites judiciaires et restrictions dont sont victimes les syndicalistes autonomes ne se comptent plus. La loi prévoit que l’employeur mette des locaux à disposition des syndicats, or ceux-ci ne disposent souvent même pas de siège central. Ils ne reçoivent pas ou très peu de subventions. Des syndicalistes sont suspendus en raison de leurs activités, leurs salaires bloqués, ils sont poursuivis devant les tribunaux, leurs locaux sont fermés. La tenue d’assemblées générales des syndicats affiliés est souvent empêchée.

Pour ne citer que les dernières entraves aux libertés syndicales: Depuis le 6 juin 2007, le Secrétaire National chargé des relations et des libertés syndicales au sein du SNAPAP, Mr Sadou Sadek a été suspendu de ses fonctions de fonctionnaire du service de l’Inspection générale, en raison de ses activités syndicales, et il a été interdit de rejoindre le bureau de la section syndicale du siège de la wilaya de Bejaia, lieu de son travail. Les services de police viennent d’interdire encore un rassemblement de dénonciation des travailleurs de la Wilaya de Bejaia et le Wali a déposé une plainte devant le juge des référés pour bloquer la protestation des travailleurs prévue le dimanche 08/07/2007 devant le siège de la wilaya de Bejaia.

Question: Est ce que la pratique de l’administration et le refus de délivrer des récépissés d’enregistrement ne constituent pas une violation de l’article 22 du Pacte?

III. Le suivi des constatations du comité des droits de l’homme

Les affaires Salah Saker, Riad Boucherf, , Malik Medjnoune et Abbassi Madani.

Le Comité des droits de l’homme a relevé dans ses constatations adoptées à l’occasion des affaires citées des violations par l’Algérie de plusieurs articles du Pacte.

Questions: Le gouvernement a-t-il fait suite aux recommandations du Comité des droits de l’homme en lui répondant et en indiquant quelles mesures ont été prises pour donner effet aux constatations de Comité? Le gouvernement a-t-il rendu publique les constatations du Comité?

Notes

1 Chronologie des massacres en Algérie (1994 – 2002), http://www.algeria-watch.org/mrv/2002/bilan_massacres.htm

2 Le massacre de Seddat : les armes chimiques au service de la « lutte antiterroriste » ?, Algeria-Watch, 31 mai 2006, < http://www.algeria-watch.org/fr/aw/massacre_seddat.htm >

3 Habib Souaïdia, La sale guerre, Editions La Découverte, Paris 2001, p. 150 .

4 Amnesty international, Algérie: La population civile prise au piège de la violence, 1997.

5 Dans la région de Tipaza, les habitants qui avaient fui la violence se réinstallent et créent des milices. El Khabar, 15 novembre 2006.

6 Le Jeune Indépendant, 26 septembre 2005.

7 Dernier rapport de la Commission nationale d’enquête sur les événements de Kabylie, Le Jeune Indépendant, 30 décembre 2001.

8 Le Quotidien d’Oran, 8 décembre 2005

9 Loi n°91-23 du 6 décembre 1991 relative à la participation de l’armée à des missions de sauvegarde de l’ordre public en dehors des situations d’exception.

10 Décret présidentiel n° 91-488 du 21 décembre 1991 relatif à la participation de l’armée à des missions de sauvegarde de l’ordre public en dehors des situations d’exception.

11 Dernier rapport de la Commission nationale d’enquête sur les événements de Kabylie, Décembre 2001, Publié dans Le Jeune Indépendant, 30 décembre 2001

12 Loi n°91-19 du 2 décembre 1991.

13 Loi n° 99-08 du 13 juillet 1999 relative au rétablissement de la concorde civile.

14 Articles 3 et 4.

15 Article 5.

16 Articles 6 et 12.

17 Article 8.

18 Article 13.

19 Article 15.

20 Karim Kettani, Algérie: concorde civile, impunité et droit international, Sanabil, Journal électronique pour un Maghreb des droits de l’Homme, Numéro 1 – Mars 2001, http://www.maghreb-ddh.sgdg.org/sanabil/numero1 et http://www.algeria-watch.org/farticle/kettani.htm

21 Ordonnance n°06-01 du 28 Moharram 1427 correspondant au 27 février 2006 portant mise en oeuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale.

22 Article 4.

23 Articles 5-8.

24 Article 9.

25 Article 15.

26 Articles 18-20.

27 Article 21.

28 Article 26.

29 Article 45 alinéa 1.

30 Projet de charte pour la paix et la réconciliation nationale, Décret présidentiel n° 05-278 du 14 août 2005 portant convocation du corps électoral pour le référendum du jeudi 29 septembre 2005 relatif à la réconciliation nationale.

31 Article 46.

32 ODHA, Témoignage de torture: « Je t’abats et tu rejoindras la liste des ‘disparus' », Mohamed Sebbar, 2003 http://www.algeria-watch.org/fr/mrv/observatoire/torture_sebbar.htm

33 Le Jour d’Algérie, 1 avril 2007.

34 Brahim Brahimi, enseignant à l’Institut des sciences de l’information et de la communication d’Alger, cité par Reporters sans frontières, 25 novembre 2002, http://www.rsf.org/article.php3?id_article=4367

35 Abed Charef, Autopsie d’un massacre, L’Aube, La Tour d’Aigues, 1998, p. 166-167.

36 El Watan, 24 février 2002.

37 Décret présidentiel n° 92-320 du 11 août 1992.

38 Abdelhaq Illeli, « Des associations sous contrôle », algeria-interface.com, 9 février 2001.

39 Human Rights Watch, rapport mondial 2001.

18