« La police a jeté ma famille dans la rue et a dynamité ma maison »

 » La police a jeté ma famille dans la rue et a dynamité ma maison « 

Je me nomme Ichalalen Abderrahmane. Je suis âgé de 55 ans et habite à Zeghara, commune de Bologhine à Alger. Nous avons été arrêtés par la police, mon fils âgé de 20 ans et moi, le 19 novembre 1994 à 2 heures du matin. Après avoir fracassé la porte de mon domicile et nous avoir ligotés et jetés à terre, ils ont fouillé de fond en comble la maison sans rien trouver.

Avant de nous embarquer dans leur véhicule, ils nous ont roués de coups avec leurs bottes et nous ont bandé les yeux avec nos propres tricots de peau. Ils nous ont emmenés vers un lieu qui s’est avéré être le nouveau centre de détention et de torture d’El Madania.

Le lendemain, un dimanche, après la prière du maghreb, on m’a allongé sur un banc en bois et ligoté les cuisses et les jambes après m’avoir menotté les poignets sous le banc. Puis on m’a mis un chiffon sur la figure et fait ingurgiter de force de l’eau avec un tuyau en me bouchant le nez. Mon ventre a enflé et est devenu douloureux. On m’a détaché et on m’a fait retourner sur le côté pour me vider l’estomac. J’ai alors été bastonné, de la poitrine aux pieds. Ces opérations ont été renouvelées trois fois de suite. Après cela, on m’a ramené à la cellule et alors a commencé la torture de mon fils, avec le même procédé, jusqu’à ce qu’il ait inventé de toutes pièces des faits imaginaires sous l’effet de la torture. On m’a emmené à nouveau dans la salle de torture pour écouter ce que disait mon fils. Lorsque j’ai démenti tous ses propos, les tortionnaires ont procédé à nouveau à ma torture, mais cette fois-ci avec plus d’ampleur et d’acharnement, jusqu’à ce que tout mon corps soit couvert d’ecchymoses.

Le lendemain, j’ai été torturé d’une autre manière, dans une pièce où il y avait de nombreux barreaux métalliques scellés aux murs. J’ai été menotté et fixé, suspendu, à l’une des barres. Je ne touchais le sol qu’avec la pointe des pieds. Le supplice a duré plus de quatre heures, jusqu’à ce que mes articulations, extrêmement douloureuses, m’apparaissent comme luxées. Dans cette situation inconfortable, j’ai été menacé de tortures plus intenses si je ne confirmais pas les dires extorqués à mon fils sous la torture. Ne pouvant supporter ces sévices cruels et les douleurs insupportables, et devant les menaces, j’ai acquiescé malgré moi.

Après qu’on m’a arraché ces faux aveux, j’ai été remis dans ma cellule, en état de véritable loque humaine. J’ai été maintenu en garde à vue pendant vingt jours. Les tortionnaires m’ont fait signer un PV, les yeux bandés. Je ne savais pas ce qu’il contenait. J’ai été transféré au commissariat central pour être fiché. J’y ai passé deux jours. J’ai été ensuite présenté au juge d’instruction de la cour spéciale d’Alger, le 10 décembre 1994. Je lui ai fait part des supplices inhumains que la police m’a infligés. Il a consigné cela dans un PV puis a signé mon incarcération à la prison d’El Harrach.

J’ai appris plus tard que mon domicile de deux pièces-cuisine a été dynamité par la police quelques jours après mon arrestation, et que ma famille est actuellement hébergée par des voisins L’opération d’évacuation de ma famille, avant le dynamitage, n’a duré que dix minutes, temps donné par les policiers à mon épouse pour ramasser les affaires.

Je tiens également à signaler que durant mon séjour au centre d’El Madania et suite aux tortures infligées, trente et une personnes ont été arrêtées, deux personnes sont mortes sous la torture et vingt-six personnes ont été présentées à la justice.

Ichalalen Abderrahmane.

Prison d’El Harrach, le 26 janvier 1995.

(N° d’écrou 74744)

Source: CAMLDHDH, Livre blanc sur la répression en Algérie (1991-1995), tome 2, Hoggar 1996.

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