Rapport de la LADH sur la situation en Algérie
RAPPORT DE LA LIGUE ALGERIENNE DES DROITS DE LHOMME (LADH) SUR LA SITUATION DES DROITS DE LHOMME EN ALGERIE
(9 DECEMBRE 2002)
Chaque année, le 10 décembre, lhumanité tout entière célèbre la journée internationale des droits de lHomme, pour tout ce qui peut symboliser cette journée, comme valeurs humaines et valeurs libératrices.
La Ligue algérienne de doits de lHomme (LADH), encore une fois, célèbre cette journée dans la douleur. Cet anniversaire intervient à un moment ou sélargit le fossé entre les préceptes de la déclaration universelle des droits de lHomme et la réalité des droits de lHomme en Algérie.
Apres 12 ans dun conflit qui a déjà causé la mort de dizaines de milliers de personnes, des milliers de disparus, de blessés physiquement et moralement, la situation des droits de lHomme en Algérie est extrêmement délabrée. Chaque jour, des civils, des militaires, des agents de divers corps de sécurité sont assassines dans des conditions atroces.
La conclusion, en juillet 1997, dans des circonstances peu claires entre les autorités et lArmée islamique du salut (AIS) na pas permis, à ce jour, de mettre définitivement fin aux affrontements dont la population civile reste la principale victime. Si le terrorisme semble avoir été maîtrisé dans les grandes villes, il nen va pas de même dans de nombreuses autres régions de pays.
La politique de concorde civile est un facteur qui na pas été exploité par le pouvoir pour recouvrer la stabilité de la société et assurer une vie paisible aux citoyens.
Les actes terroristes nont pas fait lobjet denquêtes et les victimes du terrorisme nont pas été véritablement prises en charge ; les discours de compassion et de solidarité à leur endroit nont pas été suivis de mesures concrètes suffisantes pour leur réhabilitation.
Alors que tout laisse croire que le nombre de disparus dépasse les sept milles, les autorités continuent de nier le phénomène répandu de la disparition forcée – et « involontaire, selon la version officielle » -. La plupart des disparitions seraient, selon elles, le fait denlèvements par des groupes armes ou concerneraient des personnes qui auraient rallié les maquis, se cacheraient pour échapper à leurs obligations militaires ou auraient émigré clandestinement.
Pour les familles, la responsabilité des forces de sécurité peut être établie de diverses manières, notamment par le témoignage des membres de la famille, de voisins ou de collègues de travail. Certains cas ont été reconnus par la sûreté de wilaya de Constantine à travers létablissement dattestations aux familles.
Ladministration de la justice
Lappareil judiciaire est incapable dassurer la protection des droits et des libertés des citoyens et même lexécution de ses propres décisions, exception faite des décisions privatives de liberté.
La justice est exercée comme une fonction dans un cadre ou sentrecroisent des influences et des pressions directes ou indirectes faisant du juge un simple comptable de décisions rendues.
En réalité, le pouvoir politique na jamais voulu dun pouvoir judiciaire indépendant qui échapperait à son emprise, ce qui explique le gel de la loi portant Conseil supérieur de la magistrature et également la non-application des recommandations de la Commission nationale de reforme de la justice (CNRJ).
Par décret exécutif du 24 octobre 1992, la loi du 12 décembre 1989 portant statut de la magistrature a été remaniée pour donner au ministre de la Justice des prérogatives en matières de nomination et de titularisation des magistrats. Ce décret a modifié sensiblement la composition et les attributions du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) et aussi les droits des magistrats, notamment le droit a linamovibilité.
Le gouvernement a élaboré un nouveau projet de loi relative au statut de la magistrature. Ce projet a été vivement critiqué par le Syndicat national des magistrats (SNM). Après un désaccord entre les deux chambres [du Parlement, NDLR], ce projet a été gelé faute de convocation de la commission paritaire par le Chef de gouvernement.
Le syndicat national des magistrats et la Ligue algérienne des droits de lHomme (LADH) ont demandé, à maintes reprises, la convocation de la commission paritaire ou labrogation pure et simple du décret du 24 octobre 1992, autrement dit le retour à la loi du 12 décembre 1989.
Des années plus tard, le Chef du gouvernement a convoqué la commission paritaire et, après ladoption du projet, le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions du Statut sont inconstitutionnelles. Automatiquement, celles-ci perdent tout effet à compter de la date de cette décision du Conseil.
Entre-temps, le bureau national du SNM a approuvé linstallation du CSM, dont le boycott de son élection, à lappel du SNM, a été suivi à 98%.Devant cette situation, le ministre de la Justice garde toujours les prérogatives quénonce le décret du 24 octobre 1992 et a, à ses cotés, un CSM sans légitimité.
Lordonnance du 25 février 1995 a supprimé les cours spéciales. Il nen demeure pas moins que les règles dexception ont été incorporées dans le code pénal et le Code de procédure pénale.
Lenquête préliminaire
Bien que lautorité administrative compétente ait nie que certaines autorités recourent à la violence et à la torture, des allégations persistantes de traitement cruel, inhumain ou dégradant et de torture, les juges semblent admettre couramment les aveux obtenus sous la contrainte, alors même qu il existe des preuves médicales attestant que des actes de torture ont été perpètres.
Par ailleurs, et a leffet déviter que la garde à vue ne soit assimilée une mise au secret, il faut que le contrôle de la garde à vue soit effectué de manière systématique et généralisée, conformément aux lois de la République, que les familles soient informées immédiatement et que les personnes qui font lobjet de cette mesure aient le droit de passer une visite médicale.
La détention provisoire
La détention provisoire est une mesure exceptionnelle. Si les obligations du contrôle judiciaire sont insuffisantes, la détention provisoire peut être ordonnée, lorsque cette détention est nécessaire pour protéger linculpé, mettre fin à linfraction ou prévenir son renouvellement, ou lorsquelle est lunique moyen de conserver les preuves et les indices matériels et dempêcher soit une pression sur les témoins ou les victimes, soit une concertation entre linculpé et son complice risquant dentraver la manifestation de la vérité.
Malheureusement, la détention provisoire en Algérie est la règle et la liberté provisoire est une mesure exceptionnelle, malgré les nombreux problèmes qui découlent de cette mesure :
– Elle expose la personne détenue à des risques de mauvais traitements.
– Elle aggrave le problème de la surpopulation dans les prisons.
– Elle touche à certains droits du détenu, notamment le droit dêtre jugé dans un délai raisonnable et, surtout, à la présomption dinnocence.
– La détention provisoire prolongée équivaut souvent a une exécution anticipée de la peine.
– Les personnes en détention provisoire sont souvent soumises à une énorme tension émotionnelle. Les conséquences de leur statut ambigu ils sont soupçonnés mais pas coupables et de leurs conditions de détention sont nombreuses.
– La séparation avec la famille.
– Lincertitude sur la durée dincarcération et sur lavenir du détenu.
– Dans lattente du jugement, les problèmes financiers sont réels : dans la majorité des cas, le détenu perd son travail, ce qui a des conséquences économiques graves pour toute la famille. Même innocente une personne qui aura été détenue aura plus de difficultés à retrouver un travail.
La situation des prisons
La population carcérale est estimée à 35000 personnes. Le taux de surpopulation dans les prisons a atteint des limites inhumaines. Il y a un manque certain dhygiène, lalimentation est insuffisante en qualité et en quantité, laccès aux soins est difficile. Les détenus manquent dactivités, ne reçoivent pas de formation et sont souvent dans lincapacité de maintenir les liens avec leurs familles.
Ces conditions de vie ont causé des émeutes ayant secoué de nombreux établissement a travers le territoire national et qui ont fait 52 morts et autant de blesses. La gestion de la catastrophe a été marquée par limprovisation et le manque de réactivité. Les enquêtes menées par les services compétents sont restées sans résultat.
La condition féminine
Notre pays a signé et ratifié, en 1996, la convention sur lélimination de toutes les formes de discrimination à légard des femmes, mais a émis des réserves qui découlent du Code de la nationalité et, surtout, du code de la famille.
Le Code de la famille organise la vie de la femme de manière quelle soit subordonnée à lhomme. Les femmes ne peuvent divorcer que dans des conditions très restrictives. Protégées théoriquement contre la polygamie, elles ne peuvent en pratique empêcher leurs maris dépouser dautres femmes. Le père, seul, exerce la tutelle sur les enfants. Le domicile conjugal revient à lhomme après le divorce même si la femme a la garde des enfants.
Les femmes ont été, de manière de plus en plus systématique, victimes de la violence terroriste que connaît le pays. Cette violence sajoute à dautres formes de violence domestique et sociale.
Aucun article des deux décrets 94-91 et 94-86 – complétés par le décret 97-49 – relatifs à lindemnisation des victimes du terrorisme, ne traite des femmes violées. Aucun bilan circonstancié sur la prise en charge matérielle et morale de ces femmes na été publié par les autorités.
La participation de la femme à la vie publique reste en deçà du rôle qui aurait dû être le sien, en labsence de toute planification qui intégrerait les femmes dans le développement, comme actrices et bénéficiaires. Le champ politique demeure masculin.
Liberté de la presse
La presse a accueilli avec satisfaction la suppression des comites de lecture dans les imprimeries, les directives interdisant la publication dinformations non autorisées touchant les questions sécuritaires. Elle note, cependant, que de nombreuses restrictions subsistent en pratique en ce qui concerne la liberté dexpression, surtout celles qui touchent à la diffusion dinformations portant sur les allégations de corruption, détournements des fonds, sur la critique des autorités. Les médias doivent se soumettre à des dispositions très sévères formulées du Code pénal.
Liberté de réunion
Le décret sur létat durgence donne au ministre de lIntérieur et aux walis des pouvoirs considérables leur permettant dinterdire toutes manifestations et dexiger de leurs organisateurs lobtention dune autorisation. Bon nombre de manifestations interdites par les autorités étaient annoncées comme étant des activités pacifiques.
La liberté dassociation
Une large interdiction frappe des catégories particulières de partis politiques et dassociations. Cette restriction empêche, en fait, des militants politiques et activistes de la société civile dexercer leur droit de sassocier librement.
Le comite des droits de lhomme de lONU a recommandé que les conditions requises par le pacte international relatif aux droits civils et politiques en ce qui concerne les restrictions à la liberté dassociation soient respectées et que la législation en vigueur soit modifiée de manière à être conforme aux exigences du Pacte et aux obligations auxquelles lAlgérie a souscrit lorsqu elle y a adhéré.
Les droits sociaux économiques et culturels
Malgré le plan de soutien la relance économique – annoncé en avril 2001 -, les perspectives en matière de pouvoir dachat ne sont guère réjouissantes. Le salaire national minimal garanti (SNMG) ne compense que très partiellement lérosion du pouvoir dachat. Les produits de base sont plus que jamais inaccessibles à la grande majorité de la population.
Selon les statistiques, 23% de la population vivent en deçà du seuil de pauvreté (un revenu quotidien inférieur à un dollar). Ce taux monte à 40% si on considère les revenus quotidiens inférieurs à deux dollars.
La classe moyenne de ce fait rejoint le lot des plus démunis. Seule une couche minoritaire de nouveaux riches a vu sa situation saméliorer sur fond de spéculation commerciale et financière. La fraude et lévasion fiscale nont jamais aussi importantes.
Le chômage est devenu endémique et touche au moins un Algérien sur trois. Même les diplômés en sont victimes : plus de cent mille sont chaque année à la recherche dun emploi.
Lallocation forfaitaire de la solidarité (AFS), versée aux personnes âgées et handicapées, est dérisoire. Lindemnité versée à toute personne sans revenu est de 120 dinars par mois alors que la baguette de pain coûte 7.50 dinars et le litre de lait 25.
Un profond fossé sépare les sexes en matières daccès a lemploi en dépit du fait que les femmes au travail jouissent de droits identiques à ceux des hommes en matière salariale comme en matière de protection sociale – en plus des avantages spécifiques au profit de la femme mariée.
Les femmes représentent environ 12% de la population active. Le taux dactivité des Algériennes est ainsi un des plus faibles au monde. Lajustement structurel a des conséquences négatives sur le travail des femmes, déjà très marginalisées sur le marché du travail.
La liberté syndicale
En raison du fait quelle existait avant la promulgation de la loi 90-14 du 2 juin 1990 relative aux modalités de lexercice du droit syndical (modifiée et complétée par la loi 91-30 du 21.11.91), l UGTA, fonctionne, de fait, comme un syndicat unique.
Il est extrêmement difficile de créer un syndicat vu les restrictions pour la reconnaissance des syndicats, et de leur représentativité. Les organisations syndicales sont tenues de communiquer à lautorité administrative compétente les éléments permettant dapprécier leur représentativité au sein de lorganisme employeur. Ces exigences constituent en pratique un moyen dintimidation des syndicalistes et des adhérents des syndicats autonomes.
En réaction aux atteintes à la liberté syndicale, un mouvement de contestation sest enclenché, afin de dénoncer le monopole de fait de lUGTA.
Le droit de grève
Les travailleurs ne peuvent faire grève quaprès une phase de médiation, conciliation ou arbitrage. Le droit de grève est sévèrement réprimé. De nombreux cas de violence policière ont pu être relevés.
Le droit au logement
Le taux doccupation moyen par habitation est denviron huit personnes. Des familles nombreuses continuent de sentasser dans des espaces exigus.
La construction des logements est très faible comparée à lampleur des besoins. Le plan de relance savère, lui aussi, insuffisant. Lopération vente- location connaît dénormes difficultés
Malgré les campagnes pour éradiquer les habitats précaires, on compte environ trois millions de personnes vivant encore dans des bidonvilles.
Le droit à la santé
Le cercle de la pauvreté et de la misère sélargit. Il est constaté une prolifération de maladies que lon pensait éradiquées en labsence dune prise en charge de celles-ci par le secteur sanitaire public de plus en plus dépourvu de moyens. Parallèlement, il y a lieu de noter une évolution du secteur privé doté de moyens conséquents mais en totale inadéquation avec les moyens des citoyens.
Le droit à lalimentation
Leau est un bien rare en Algérie. La population dispose en moyenne de 75 litres deau potable par jour quand il en faudrait au moins 150 litres pour répondre aux normes minimales internationales.
La question de leau se répercute sur celle de la terre. Lagriculture subit de plein fouet la sécheresse. LAlgérie est entrée dans un processus de dépendance alimentaire de plus en plus fort. La balance commerciale agricole est négative, les importations alimentaires atteignent le tiers des importations annuelles.
Le droit à léducation
La politique déducation poursuivie a permis un accroissement des effectifs mais les résultats obtenus en termes defficacité et de qualité sont insuffisants. La grande faiblesse de notre système éducatif tient autant à ses nombreux dysfonctionnements quà la qualité de la formation dispensée.
Le développement de la scolarisation des enfants saccompagne dune importante déperdition scolaire, en particulier dune déperdition précoce qui est à lorigine dun alphabétisme dit « de retour ». Cette forme danalphabétisme est liée à loubli des connaissances de base, censées avoir été acquises au cours de la scolarité, à un abandon de la scolarité avant que ne soient rendues irréversibles les connaissances permettant de savoir lire, écrire et compter. Quant à lanalphabétisme des adultes, il demeure trop élevé.
En plus de linégalité entre les filles et les garçons, les manuels scolaire donne une image dévalorisante des femmes en maintenant chaque genre dans ses rôles traditionnels.
La crise en Kabylie
La crise dans cette région est le résultat de la fragilisation de la capacité de notre système politique de créer, dans le respect et la reconnaissance de la diversité des cultures, une identité commune. Cette fragilité de la capacité dintégration de lEtat révèle une forme dépuisement dun mode de gestion, dorganisation et dadministration. Elle appelle à une réflexion de fond pour ladapter aux réalités et exigences de lheure.
LAlgérie et les mécanismes de lONU
De nombreuses voix se sont élevées – dont celles du secrétaire général des Nations Unies et du Haut commissaire de lONU pour les droits de lhomme – appelant les autorités algériennes à une plus grande coopération avec les mécanismes de lONU.
– LAlgérie a présenté le rapport périodique au Comité des droits de lHomme (attendu pour décembre 1995, déposé en mars 1998).
– Elle a présenté le rapport initial au comité sur lélimination de la discrimination a légard des femmes1999.
– Elle a présenté, en novembre 2001, un rapport au comité des Nations Unies sur les droits économiques, sociaux et culturels.
– Elle a accepté la visite du rapporteur spécial sur la tolérance religieuse 2002.
Mais, lAlgérie a refusé et refuse encore la visite des rapporteurs spéciaux chargés des exécutions extrajudiciaires et de la torture.
Conclusion
Les éléments dappréciation sus-énoncés sur létat des droits de lhomme en Algérie ne peuvent avoir un caractère exhaustif.
La LADH, consciente de la gravite de la situation qui prévaut en Algérie, réaffirme son engagement à poursuivre son action pour lédification dune Algérie où les droits de lHomme et la démocratie trouveraient leur pleine expression.
Maître Boudjema Ghechir
Président de la LADH