Lettre d’algeria-watch adressée aux membres de la mission de l’ONU en Algérie

Lettre d’algeria-watch adressée
aux membres de la mission de l’ONU en Algérie

 

 

Mesdames et Messieurs membres de la mission de l’ONU en Algérie

 

Nous avons appris avec intérêt votre intention de vous rendre le 22 juillet 1998 en Algérie pour « une mission d’information ». Il est extrêmement difficile d’accéder à des informations concernant la situation des droits humains dans ce pays. Les ONG internationales ne peuvent que rarement effectuer des visites, les ONG nationales sont massivement gênées dans leurs investigations sur le terrain et les médias locaux sont muselés et manipulés par les différents centres de pouvoir algériens.

C’est dans le contexte d’une meilleure compréhension de la situation en Algérie que s’effectue votre mission et nous nous en réjouissons car nous espérons qu’une telle délégation aura la compétence et l’autorité d’éclaircir un certain nombre de questions qui se posent à tout observateur attentif des événements dans ce pays.

Nous nous permettons en tant qu’organisation de défense des droits humains en Algérie avec siège en Allemagne de vous proposer une série de questions qui nous sont régulièrement adressées par des citoyens et citoyennes de toutes les nationalités, par des organisations de défense des droits des réfugiés, des journalistes ou des politiciens locaux qui répètent qu’ils ne saisissent pas la complexité du « drame algérien ». Nous mêmes ne pouvons répondre à toutes ces interrogations et espérons que grâce à votre visite en Algérie certaines questions, abordées sur place, trouveront une réponse convaincante.

Nous vous souhaitons un grand succès dans votre entreprise.

 

QUESTIONS:

 

Questions d’ordre général

Le conflit qui déchire l’Algérie depuis janvier 1992 a fait de nombreuses victimes parmi la population civile. Depuis cette date une « guerre » des chiffres a lieu: les uns parlent de 25 000 victimes tuées, d’autres de 80 000, encore d’autres de plus de 120 000. Les mêmes remarques peuvent être faites au sujet des victimes blessées, des orphelins, des déplacés…

  • Quel est le nombre exact de personnes tuées?
  • Quel est le nombre exact de personnes blessées?
  • Quel est le nombre exact de personnes déplacées à l’intérieur du pays?
  • Quel est le nombre de personnes ayant fuit l’Algérie?
  • Quel est le nombre d’orphelins?

Les massacres

Depuis 1992 des massacres sont perpétrés en Algérie. La version officielle colportée par les médias algériens et internationaux est que des groupes armés d’obédience islamiste seraient responsables de ces crimes.

  • Pourquoi les populations touchées sont celles connues pour leur sympathie pour le parti interdit et dissous FIS (Front Islamique du Salut)?
  • Des enquêtes ont elles été faites pour établir l’identité exacte des assaillants?
  • Qu’en est il des soupçons à l’égard de la responsabilité de milices dans certains massacres comme dans le cas des révélations faites au sujet des deux maires, ex-chefs de milices, de la région de Relizane? Pourquoi ces deux personnes ont elles été relachées et réintégrées dans leurs fonctions de maires, alors que la justice a été dessaisie du dossier?
  • Pourquoi dans de nombreux cas de massacres collectifs, les forces de sécurité stationnées à proximité ne sont elles pas intervenues?
  • Qu’advient il des populations déplacées? Est-il vrai que dans de nombreux cas les maisons de ces personnes ont été investies par des membres des gardes communaux ou groupes de légitime défense (GLD)?
  • Quels sont les critères que les rescapés des massacres doivent remplir pour être pris en charge par l’Etat (protection, indemnisations, logement, scolarité, soins)?
  • Quel est le nombre exact de victimes des massacres de Bentalha, Rais, Relizane, Sidi-Hamed, Sidi Youcef et autres perpétrés entre l’été 1997 et début 1998?
  • En février 1995 a eu lieu un massacre dans la prison de Serkadji à Alger. Quelles sont les circonstances exactes de cette tuerie? Pourquoi une enquête officielle n’a-t-elle été engagée? Quel est le nombre exact de victimes? Quelle est leur identité? Pourquoi certaines victimes ont elles été enterrées anonymement avec un « X algérien »? Pourquoi le gouvernement algérien n’a jamais autorisé à une organisation internationale telle la croix rouge internationale ou amnesty international à venir enquêter sur les lieux?
  • En novembre 1994 a eu lieu un massacre dans la prison de Berouaghia. Quelles son les circonstances exactes de cette tuerie? Quel est le nombre et l’identité des victimes?

Abus dans le cadre de la lutte contre le terrorisme

Différentes sources (témoignages de victimes, d’ONG de droits de l’Homme, médias nationaux et internationaux) font état d’un certain nombres de mesures prises dans le cadre de la lutte contre le terrorisme qui prêtent à des questionnements:

  • Les opérations de ratissages effectuées souvent la nuit ont mené à de nombreuses exactions de la part de membres de sécurité. Est ce vrai qu’un grand nombre de personnes auraient été tuées sommairement et les corps soit emmenés pour être enterrés anonymement, soit abandonnés sur place?
  • De nombreuses victimes ont témoigné que dans le cadre de ces opérations, elles auraient été arrêtées et emmenées dans des centres de torture?
  • Est il vrai que dans ces centres de tortures les membres de services de sécurité violent les femmes arrêtées?
  • Pourquoi les plaintes des victimes de tortures sont elles restées sans suite?
  • Des milliers de familles font état de la « disparition » d’un ou de plusieurs de leurs proches. Où sont ces personnes? Sont elles encore vivantes? Qu’entreprend l’Etat pour connaître leur lieu de détention?
  • De nombreuses victimes font état de dynamittage de leur maison par les forces de l’ordre. Par ailleurs, il est question d’incendies de forêts, bombardements de villages ainsi que d’utilisation de Napalm par des membres de services de sécurité. Le gouvernement a-t-il effectué des enquêtes pour identifier les individus ou services responsables de telles exactions?
  • Est il vrai que dans de nombreux cas un permis d’inhumation n’est délivré aux parents d’une personne tuée que si ces derniers certifient que le mort est un « terroriste »?
  • Est il vrai que de nombreuses perquisitions et arrestations à domicile se font sans mandat et que les forces de sécurité maltraitent tous les habitants de la maison perquisitionnée, cassent et pillent?
  • Est il vrai que lors d’arrestation à domicile des femmes, sours ou mères des suspects ont été violées?
  • Est il vrai qu’il existe des lieux de détention secrets?
  • Dans quels cas est utilisée la torture et quelles sont les méthodes employées? Y a-t-il eu des poursuites judiciaires contre des membres des services de sécurité qui utilisent la torture pour arracher des aveux aux personnes arrêtées? Est il vrai que la torture a pris un caractère systématique?
  • La garde-à-vue est fixée par le décret 92-03 relatif à la lutte contre la subversion et le terrorisme et ne doit dépasser 12 jours. Pourtant nombreux sont les témoignages de personnes dont la garde-à-vue a duré bien plus longtemps, parfois plusieurs mois sans qu’elles aient pu prendre contact avec un avocat et sans que leur famille sache où elles se trouvent. Que prévoit le gouvernement pour que de tels excès cessent?

Situation dans les prisons

  • Quel est le nombre exact de détenus dans les prisons algériennes?
  • Quel est le nombre de détenus poursuivis dans le cadre d’actions « terroristes »?
  • Quel est le nombre de femmes détenues poursuivies dans le cadre d’actions « terroristes »? Dans quelles prisons se trouvent elles et quelles sont les conditions de détention pour ces femmes?
  • Quelles sont les conditions de détention? Est il vrai que les prisons sont extrêmement surpeuplées, que les détenus manquent de soins médicaux, la nourriture est insuffisante, que le manque d’hygiène est tel que des épidémies sévissent, que le contact avec les parents est difficile et que les couffins des familles de détenus sont systématiquement pillés par les gardiens?
  • Est il vrai que dans certaines prisons les gardiens torturent les détenus?
  • Pourquoi les organisations internationales dont la croix rouge internationale ne sont elles pas autorisées à visiter les lieux de détention?

Les milices

Dans le cadre de lutte contre le terrorisme l’Etat algérien a autorisé la création de gardes communaux, groupes de légitime défense et des comités d’autodéfense, dont les statuts et les chiffres exacts ne sont pas connus.

  • A partir de quand ces différentes formations ont été créées?
  • Quel est le nombre exact de ces groupes et de ses membres?
  • Depuis janvier 1997 une loi sur les GLD encadre et organise ces groupes. Dans le rapport de la FIDH rédigé après une visite fin avril 1997, le secrétaire général du ministère de l’Intérieur dit ne pouvoir donner le nombre même approximatif des membres des GLD. Les autorités connaissent elles maintenant le chiffre exact des membres de ces groupes? Comment s’informent elles sur les activités de ces groupes?
  • Est il vrai que de nombreuses exactions sont commises par des GLD? Quels sont les moyens de poursuite judiciaire engagée contre les membres de ces GLD?
  • Dans un rapport d’amnesty international un milicien avoue que sa milice ne fait pas de prisonniers et que si des « terroristes » sont délogés, ils sont tués. Il affirme par ailleurs que si un membre de sa propre famille était tué par un « terroriste » il éradiquerait toute la famille de ce dernier. Que font les autorités pour contrôler ces miliciens qui agissent par vengeance?
  • Quels sont les moyens mis en ouvre pour contrôler les activités des gardes communaux?

Droit à la justice

Les peines sont personnelles et ne devraient être fixées qu’après le déroulement d’un procès juste et équitable. Pourtant les témoignages font état de persécutions familiales pour le seul fait par exemple que la personne recherchée ne se trouve pas chez elle.

  • Que font les autorités pour que les membres services de sécurité ne punissent pas la famille du suspect par des perquisitions nocturnes illégales, l’emploi de la violence contre différents membres, l’arrestation de ceux-ci ou même leur emprisonnement?
  • Est il vrai que de nombreux suspects n’ont pas la possibilité de s’adresser à la défense?
  • Que font les autorités pour garantir un procès équitable qui établira le degré de responsabilité du suspect, au lieu de le taxer avant même le jugement de « terroriste »?
  • Qu’est ce qui justifie le fait que la famille entière du suspect est taxée de « terroriste »?
  • Pourquoi les demandes des victimes de tortures pour effectuer un examen médical ne sont elles pas accordées?
  • Quel est le nombre exact de personnes qui se sont « repenties » dans le cadre de la loi « Rahma »? Qu’advient il de ces personnes, peuvent elles réintégrer la vie normale une fois leurs peines purgées ou acquittées?
  • Qu’est il advenu des milliers de détenus des camps de détention au sud du pays, fermés fin 1995? Est il vrai que nombreux sont ceux qui ont été exécutés sommairement après leur libération?
  • Est il vrai que les personnes libérées des camps ne reçoivent aucun document justifiant leur absence de la vie courante, ce qui leur pose d’énormes problèmes sur le plan professionnel par exemple?
  • Quelles mesures sont prises à l’encontre d’appelés qui n’intègrent pas les rangs de l’armée?
  • Quelles mesures sont prises contre les membres des services de sécurité qui désertent de leur service?
  • Est il vrai que les forces de l’ordre privent les familles d’une personne suspectée de documents importants tels le livret de famille, les passeports, les cartes d’identité?
  • Est il vrai qu’un certain nombre de réfugiés refoulés de pays européens ou arabes sont emprisonnés sans que leurs familles soient informées, sans qu’une défense soit appelée?

Conclusion

Nous sommes conscients que toutes les questions soulevées ne pourront trouver de réponses concluantes lors d’une visite telle que vous la projetez. Nous espérons malgré tout que ces questions contribueront à la quête de la vérité sur ce qui se passe réellement en Algérie, au-delà de la façade « démocratique », en appuyant la nécessité de l’envoi d’experts sur la torture et les exécutions sommaires, en poussant les autorités algériennes à accepter des enquêtes sur les disparitions, la situation dans les prisons et les massacres et en invitant au respect des victimes des violations des droits humains en leur accordant l’attention et l’intérêt nécessaires.

« Les plaintes murmurées par les suppliciés, dans le secret des caves, finissent toujours par couvrir le vacarme des tortionnaires »

 

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