Communiqué d’amnesty international

La vérité et la justice ne doivent pas être occultées par l’impunité
Index AI : MDE 28/014/00
Embargo : 8 novembre 2000 (00 h 01 GMT)

« une paix durable en Algérie ne saurait être construite en sacrifiant la vérité et la justice », a déclaré Amnesty International dans un nouveau rapport, la vérité et la justice occultées par l’impunité, publié ce jour.

« La confiance dans le système judiciaire ne sera rétablie que si des enquêtes exhaustives, indépendantes et impartiales, menées sur toutes les violations et exactions commises au cours de la décennie écoulée, permettent d’établir la vérité et si tous les responsables présumés d’atteintes présentes et passées aux droits humains ont à rendre compte de leurs actes. »

Plusieurs dizaines de milliers de personnes ont trouvé la mort depuis le début du conflit en 1992, des milliers d’autres ont « disparu » après avoir été emmenées par les forces de sécurité, et plusieurs centaines de milliers ont été blessées à la suite d’actes de violence ou ont eu la douleur de perdre un proche. « Il importe de faire droit au besoin légitime de vérité et de justice des victimes et de leurs familles », a déclaré Amnesty International.

Les autorités algériennes ont manifesté leur intention de tourner la page sur cette sombre période. Elles n’ont pourtant pris aucune mesure concrète efficace pour régler l’énorme problème de l’impunité qui règne dans le pays ou pour mener des enquêtes indépendantes et impartiales sur les homicides et autres atteintes aux droits humains commis au cours des dix dernières années.

« L’approche consistant à dire « Tournez la page et oubliez » ne peut cicatriser les blessures causées par une tragédie ayant l’ampleur et l’intensité du drame vécu par l’Algérie au cours de la décennie écoulée », a affirmé Amnesty International.

Fin octobre, l’organisation a reçu une réponse des autorités à un mémorandum qui leur avait été adressé en août, où elle exposait ses préoccupations. Dans sa réponse, le gouvernement algérien exprimait son souhait d’approfondir le dialogue avec Amnesty International et d’autres organisations de défense des droits humains sur des sujets d’intérêt commun et réaffirmait sa volonté de renforcer la protection des droits humains, notamment par le biais de réformes judiciaires et de modifications législatives. Il soulignait également que tous les cas portés à sa connaissance faisaient l’objet d’une enquête.

Amnesty International s’est réjouie de cette réponse, mais a regretté de n’avoir reçu aucune des informations demandées concernant des cas précis d’atteintes aux droits humains et de ne pas avoir été tenue informée des conclusions des enquêtes.

Une délégation d’Amnesty International se trouve actuellement en Algérie (du 5 au 19 novembre). Elle doit y rencontrer des victimes et des proches de victimes, des militants des droits humains et d’autres membres de la société civile. L’organisation espère que ses représentants, lorsqu’ils s’entretiendront avec des responsables du gouvernement, recevront les informations détaillées qui avaient été demandées.

Les dispositions de l’amnistie présidentielle et l’application de la Loi sur la concorde civile suscitent toute une série de préoccupations.

Amnesty International ne prend pas position sur les amnisties proclamées une fois la vérité établie et la procédure judiciaire terminée. Par contre, l’organisation est opposée aux lois d’amnistie et autres mécanismes qui empêchent que la vérité soit révélée et que les responsables d’atteintes aux droits humains aient à rendre compte de leurs actes.

On se trouve actuellement dans une situation paradoxale où des personnes qui ont déjà passé jusqu’à huit ans en prison continuent de purger des peines prononcées à l’issue de procès inéquitables, tandis que des individus qui ont été des membres actifs de groupes armés ou qui les ont dirigés pendant des années ont bénéficié d’une amnistie ou d’une exonération des poursuites judiciaires quelques jours après leur reddition», a souligné l’organisation.

Amnesty International partage l’inquiétude des victimes et de leurs proches, dont les appels en faveur de la vérité et de la justice n’ont pas été entendus.

L’organisation de défense des droits humains demande instamment aux autorités algériennes :

– d’enquêter dans les plus brefs délais sur les milliers de cas d’homicides, de massacres, de « disparitions », d’enlèvements, d’actes de torture et autres graves atteintes aux droits fondamentaux perpétrés en Algérie depuis 1992 par les forces de sécurité, les milices armées par l’État et les groupes armés qui se définissent eux-mêmes comme des « groupes islamiques », et de veiller à ce que tous les responsables présumés soient traduits en justice ;

– de déclarer nulles et non avenues toutes les amnisties (qui ont également été accordées à des responsables de graves atteintes aux droits humains constituant des violations du droit international) ;

– de veiller à ce que les membres ou chefs de groupes armés qui se sont rendus aux termes de la Loi sur la concorde civile et qui sont soupçonnés d’être responsables d’atteintes aux droits humains soient déférés à la justice ; – de prendre des mesures concrètes pour mettre immédiatement fin aux arrestations arbitraires, aux détentions secrètes, à la torture, aux « disparitions » et aux exécutions extrajudiciaires ;

– de démanteler toutes les milices armées par l’État et de veiller à ce que les opérations de sécurité soient menées exclusivement par des responsables de l’application des lois ayant reçu la formation nécessaire, dans un cadre officiel les obligeant à répondre de leurs actes.

Amnesty International condamne une nouvelle fois les homicides et autres graves exactions dont se sont rendus coupables les groupes armés et appelle de nouveau ces derniers à cesser de prendre les civils pour cible.