Les droits de l’Homme en Algérie: Le pouvoir au banc des accusés
LES DROITS DE LHOMME MALMENES EN ALGERIE
Le pouvoir au banc des accusés
Par Fayçal Metaoui, El Watan, 10 décembre 2001
La communauté internationale célèbre aujourdhui le 53e anniversaire de la Déclaration des droits de lhomme. En Algérie, la situation des droits et des libertés sest-elle améliorée par rapport aux années précédentes ?
Lactualité de ces derniers temps tend à démontrer le contraire. La poursuite des émeutes en Kabylie prouve que le maintien de limpunité pour les responsables de lassassinat dune soixantaine de jeunes au printemps 2001 ne règle aucun problème. Au contraire, cela participe à lentretien dun sentiment dinjustice. Limpunité vient sajouter à labsence de toute vérité sur les dessous de ce drame. La commission denquête, désignée par le président de la République, na, tout compte fait, pas situé les responsabilités de lEtat dans les origines de la répression. Depuis au moins dix ans, limpunité est devenue presque une règle dans le pays. Elle a couvert autant des individus coupables de crimes terroristes que des agents de lEtat auteurs de dépassements et dabus en tous genres. La loi sur la concorde civile, cest établi, a complètement «blanchi» des terroristes de leurs actes. «Les préoccupations concernant la question de limpunité nont fait que croître après que des membres de groupes armés ont été amnistiés ou exemptés de poursuites judiciaires, alors quaucune véritable enquête navait été menée afin détablir sils avaient perpétré ou non de graves atteintes aux droits humains», a relevé dans son dernier rapport Amnesty International. Récemment, Louisa Hanoune, leader du Parti des travailleurs (PT), a révélé que le président Zeroual lui a parlé «des escadrons de la mort». Il sagit de groupes qui échappaient au contrôle de la justice et qui, sous prétexte de lutte contre la subversion, commettaient des exécutions sommaires. Cette révélation na curieusement soulevé aucune réaction au sein de la classe politique. Qui sont ces «escadrons de la mort» ? Qui les a armés et qui leur a donné lordre detuer ? Des questions qui, pour linstant, nont pas de réponses. «La sécurité publique sest généralement améliorée, particulièrement dans les grandes villes, ce qui a abouti à moins d’arrestations arbitraires, de «disparitions» et de torture, mais le manque de progrès dans la résolution de milliers de cas de «disparitions» reste un point sombre de la situation des droits de lhomme en Algérie», a remarqué de son côté Human Rights Watch, ONG de défense des droits de lhomme. Le ministre de lIntérieur, Yazid Zerhouni, à la faveur dune intervention à lAPN, avait annoncé quà la fin mars 2001, le nombre des personnes portées disparues était de lordre de 4880. «La question est prise en charge par lEtat», a-t-il déclaré en ajoutant que les recherches se poursuivaient. «Les autorités ont maintenu lopacité sur ce dossier en adoptant une démarche de culpabilisation vis-à-vis des familles (…). A aucun moment les autorités nont exprimé le souci de faire toute la vérité sur ces disparitions, ni celui détablir les responsabilités, pourtant avérées des forces de sécurité», ont écrit les familles des disparus dans un mémorandum adressé au Comité des droits de lhomme de lONU. Selon Amnesty International, les autorités algériennes ont refusé le séjour au groupe de travail des Nations unies sur les disparitions forcées ou involontaires. La torture, selon des avocats, est toujours pratiquée dans les centres de détention, casernes, brigades et commissariats. Dans un rapport détaillé adressé en octobre 2001 aux ONG de défense des droits humains à travers le monde, lun dentre eux a cité «les techniques» utilisées par les tortionnaires : «Les bastonnades et la flagellation, le chiffon, la suspension au plafond, lélectricité, les brûlures, lépreuve de léchelle, la sodomisation, les tenailles, la lame de rasoir…» Il a répertorié «les centres de torture» situés, entre autres, à Ben Aknoun, Châteauneuf, Bourouba, Blida, Hamiz, Bab Ezzouar, Dellys, Boumerdès, Constantine et Oran. Le rapport est accompagné dune liste de cent personnes victimes de ces actes dégradants. «Certains y laisseront leur vie, beaucoup garderont des séquelles physiques et psychologiques indélibles. Personne ny échappera, ni même lenfant, la femme ou le vieillard. Cette pratique institutionnalisée par le régime et exécutée par des tortionnaires psychopathes», a observé Mahmoud Khelili. Le maintien de létat durgence, sans explication aucune, constitue une menace permanente sur les libertés politiques dans le pays. Linterdiction des marches à Alger, la censure de lhebdomadaire El Maouid, le refus dagréer de nouveaux partis et les limites considérables dressées devant les activités du mouvement associatif en sont une preuve claire. Laggravation des peines, dans les affaires de diffamation, à la faveur dun amendement largement contesté du Code pénal, constitue lautre preuve de lintention des autorités de fermer davantage le champ de lexpression libre. Ces autorités se sentent sans doute encouragées par une conjoncture internationale «favorable» depuis les attentats contre New York et Washington. Les deux Ligues de défense des droits humains, la LADH de Boudjemâa Ghechir et la LADDH de Ali Yahia Abdelnour, ne sont presque plus libres de leurs mouvements. Le président Bouteflika a mis fin à la mission de lObservatoire national des droits de lhomme (ONDH), complètement défaillant durant ces dernières années, et la remplacé par une commission présidée par lavocat Farouk Ksentini. Une commission qui ne donne pas signe dexister. Aucun coup déclat nest à mettre à son actif en dépit des violations aux libertés et aux droits, répertoriées ces derniers temps.