Tragédie de transfert de Relizane

Témoignage de rescapés de la tragédie du transfert

Tragédie de transfert de Relizane

(27 morts asphyxiés lors du transfert)

Noms des détenus décédés lors du transfert

Nous étions 66 détenus à avoir été appelés ce 24 juin 1997 à la prison de Tizi-Ouzou pour être transférés vers une autre prison. Nous ignorions à ce jour laquelle et la plupart d’entre nous sont sur le point de terminer leur peine d’emprisonnement. Pour certains il ne reste qu’un mois ou deux, alors pourquoi ce transfert?

Nous sommes embarqués tôt le matin dans deux camions containers et attachés tous les uns aux autres par des menottes. Nous sommes 33 par « camion ». Après deux heures et demie de route environ, nous arrivons à la prison d’El-Harrach que nous croyons être notre destination. En réalité nous passons le reste de la journée dans une salle et le lendemain, on nous demande de sortir de nouveau pour un transfert avec des détenus d’El-Harrach. Ceux-ci sont embarqués dans un car tandis que nous regagnons nos « containers » toujours à 33 dans chacun d’entre eux.

Nous démarrons vers 8 heures du matin. Il fait déjà chaud et les menottes sont tellement serrées que déjà elles nous font mal aux poignets. Donc le 25 juin 1997 nous démarrons vers une destination inconnue mais il se confirme que nous roulons vers l’ouest. Bien sûr on ne voit absolument rien de l’extérieur. Après deux ou trois heures de route, il y a un arrêt au bord de la route. Il se prolonge et la chaleur devient étouffante « dans le container » roulant. Nous entendons les gardiens discuter avec les gendarmes de l’escorte et dire que « le car d’El-Harrach est en panne ». Nous commençons à suffoquer dans le container où il fait une chaleur épouvantable. Nous commençons à cogner contre les parois de tôles, d’acier. De l’extérieur aucune réponse alors qu’ils sont là tout près et si on les entend parler c’est que eux aussi nous entendent. Au bout d’une demi-heure ils nous insultent et nous demandent de nous taire. Nous redémarrons. Il y a de l’air lorsque le camion roule. Nous respirons.

Mais aux environs de Chlef, nouvel arrêt, prolongé cette fois. La chaleur devient plus suffocante. Nous ne pouvons plus supporter. Nous crions de toutes nos forces et nous cognons sur les parois du container. Bien sûr, dans la cage prévue pour les gardiens, il n’y a personne depuis le départ et nous nous sommes plaints sur l’absence de gardiens dans le camion car tout le monde sait que c’est contraire au règlement. Bien que le chauffeur et ses accompagnateurs nos entendent, ils refusent d’ouvrir la porte, ne serait ce que pour aérer le camion quelques minutes durant. Au contraire, ce sont des insultes et des rires qui nous parviennent de l’extérieur. Quelques uns commencent à s’évanouir et perdre connaissance. C’est ça l’enfer. Nous crions aux gendarmes et aux gardiens que quelqu’un est mort. On nous répond:

Bouffez le et faites une touiza

Si vous savez faire la prière, priez sur lui.

Et d’autres paroles de ce genre.

Au bout d’une heure qui passe comme une éternité. La plupart d’entre nous sont trop faibles pour parler ou se plaindre. Nous sommes tous dans un état presque inconscient. Nous pensons que nous allons tous mourir ainsi.

Lorsque le camion redémarre plusieurs sont évanouis. Ce n’est qu’une fois à l’arrêt, que nous devinons que nous sommes arrivés dans une cour de prison. La porte s’ouvre, on nous détache les menottes. Certains ont les poignets en sang. Nous sommes hagards et la plupart ne peuvent se lever.

Les insultes pleuvent et les premiers qui descendent sont accueillis par les coups des gardiens. Ils tombent à terre mais il y a quelque chose d’insolite qui se passe dans l’autre camion container de nos camarades. Les coups s’arrêtent. Je vois qu’ils ne peuvent pas ouvrir la porte intérieure du container. Ils ne s’occupent plus de nous. Lorsqu’ils arrivent à l’ouvrir enfin, personne ne descend. Le directeur demande d’apporter des bassines d’eau et les gardiens se mettent à jeter de l’eau dans le camion.

Au bout d’un moment le bruit circule qu’ils sont morts sauf quelques uns qui sont descendus et allongés par terre. Je compte sept camarades. Ils sont aspergés par les gardiens avec des bassines d’eau. Un gendarme ressort du camion et dit « Nous les avons tués »

Nous sommes évacués et je ne vois pas autre chose. Nous ne connaissons pas le sort des camarades pendant plusieurs semaines. Ce n’est qu’au bout de deux mois que les six survivants sont revenus parmi nous dans la salle et que la vérité commence a être connue. Ils nous racontent l’enfer qu’ils ont vécu. C’est ce que nous même avons vécu mais dans leur container même les bouches d’aération extérieur étaient fermés et les gardiens ont refusé de les ouvrir pour aérer. Il y a eu dans le deuxième camion 27 morts et les six survivants dont les noms sont connus.

Les survivants ont été isolés dans des cellules pendant deux mois avec interdiction de communiquer avec quiconque.

Nous avons appris par la suite que nos camarades décédés ont tous été enterrés au cimetière de Mostaganem.

Bien sûr que pour nous il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’une action criminelle et préméditée.

Nous avons aussi appris par des gardiens que Rezag Bara (président de l’ONDH Observatoire National des Droits de l’Homme) est venu à la prison après le drame et que c’est lui qui a donné les instructions pour isoler les survivants afin que la nouvelle ne se sache pas.

Noms des détenus décédés lors du transfert

Nom

Origine

1. HAMZA Fateh

Khemis Khechna

2. BELHOUANE Hacène

Khemis Khechna

3. BASSI Yacine

Thenia

4. KERCHOUCHE Abdelghani

Reghaia

5. HALOUANE Ahmed

Thenia

6. BENYGHIA Moussa

Boudouaou

7. IZZA Boualem

Boudouaou

8. DIF Ahmed

Bordj Mnaiel

9. ROUIS Fodil

Zemmouri

10. ROUIS Nasser

Zemmouri

11. BENADJAL Fodil

Legatha (ex maire FIS)

12. HABIB Smail

Zemmouri

13. BOURAI Ahmed

Zemmouri

14. SENADJI Smail

Kherouba

15. BERRIAH Redha

16. RADAOUI Mohamed

17. CHENNA Redha

Boudouaou

18. HATTAB Mohamed

Ain Taya

19. NAILI Kamel

Thenia

20. AHMED Abdennour

21. YEBSAT Mohamed

22. DOUCENE Karim

23. HASSINI Hocine

24. BOUROUIS Omar

Thenia

25. FODIL Mohamed

Wilaya Dellys

et deux personnes (droit commun) dont les noms ne sont pas connus.

 

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