Les « disparitions » sont devenues une pratique courante

Les « disparitions » sont

devenues

une pratique courante

Extrait du rapport de Amnesty International: Algérie: La population civile prise au piège de la violence, in: Algérie, le livre noir, La découverte, 1998

La législation algérienne permet le maintien en garde à vue pendant douze jours (1). Dans la pratique, les personnes arrêtées sont habituellement maintenues en détention secrète pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, en dehors de tout cadre légal. Les forces de sécurité responsables de leur arrestation et de leur détention secrète refusent systématiquement de confirmer aux familles des détenus et à leurs avocats qu’elles les détiennent. C’est pendant cette période où ils sont privés de tout contact avec l’extérieur que les prisonniers risquent le plus d’être torturés, tués ou de «disparaître». L’appareil judiciaire ne contrôle guère les différentes branches des forces de sécurité – à savoir la police, la gendarmerie, la Sécurité militaire et les unités paramilitaire-, qui arrêtent des suspects et les emprisonnent dans des centres de détention secrets, souvent pendant de longues périodes. Les juges d’instruction et les magistrats ne se préoccupent généralement pas beaucoup de savoir dans quelles conditions les détenus ont été interpellés par les forces de sécurité, où, quand et par qui ils ont été arrêtés, où ils ont été détenus et pendant combien de temps, même dans les cas où il est tout à fait évident que les prisonniers ont été maintenus en détention secrète au mépris de la loi. L’ONDH elle-même, organisme officiel pour les droits de l’homme qui dément régulièrement les allégations de violations des droits fondamentaux imputées aux forces de sécurité, a reconnu dans ses rapports que la détention secrète était un problème. Pourtant, aucune enquête ne semble avoir été ordonnée à ce jour sur des cas de détention secrète.

Le cas du Dr Messaoud Ouziala

Messaoud Ouziala, néphrologue de quarante et un ans, a été enlevé le 8 juillet 1997 alors qu’il venait de quitter son travail à l’hôpital Mustafa, dans le centre d’Alger, et rentrait chez lui en voiture. Son épouse, également médecin, et ses proches ont pris contact avec les services de sécurité et les autorités judiciaires pour déposer une plainte à la suite de sa « disparition », mais les services de sécurité ont refusé de l’ enregistrer. Amnesty International a elle aussi pris contact avec les autorités algériennes immédiatement après l’enlèvement de cet homme, mais elle n’a reçu de réponse que bien après sa libération. I1 n’a pas été possible d’établir tout de suite si le Dr Ouziala avait été enlevé par les forces de sécurité ou par un groupe armé d’opposition, étant donné que les deux camps opèrent habituellement de la même manière. Le fait que les forces de sécurité aient refusé d enregistrer une plainte pour «disparition» et que des journaux algériens aient indiqué à Amnesty International qu’ils ne pouvaient pas annoncer l’enlèvement laissaient toutefois à penser que le Dr Ouziala avait été emmené par les forces de sécurité. Cet homme a été libéré sans inculpation ni jugement le 22 juillet 1997, après quinze jours de détention secrète. Le président de l’ONDH a écrit à l’organisation le 30 juillet pour confirmer la libération du Dr Ouziala, sans faire la moindre observation à propos de l’enlèvement et du maintien en détention secrète de cet homme en violation de la législation algérienne et des normes internationales relatives aux droits de l’homme ». (2)

Amnesty International a recueilli depuis 1993, et plus particulièrement depuis 1994, des informations fiables sur des centaines de cas de «disparitions». L’organisation craint toutefois que le nombre des «disparus» s’élève à 2000, étant donné les informations qu’elle a reçues de différentes sources et rapports. Ces personnes, des hommes pour la plupart et quelques femmes, ont «disparu» après avoir été arrêtées par les forces de sécurité à leur domicile, sur leur lieu de travail ou dans la rue. Les efforts déployés par les familles de ces « disparus » et par leurs avocats pour connaître leur lieu de détention restent vains, car les autorités nient systématiquement disposer du moindre renseignement à propos de ces personnes, même dans les cas où leur détention a été confirmée par d’autres détenus ou par des membres des forces de sécurité ou d’autres fonctionnaires ayant informé confidentiellement les familles. Certains des «disparus» seraient morts des suites de torture ou auraient été sommairement exécutés en détention. Au cours des deux dernières années, le gouvernement a répondu aux organismes des Nations unies qui s’enquéraient du sort de «disparus» que certains d’entre eux avaient trouvé la mort au cours d’affrontements avec les forces de sécurité ou lors d’une tentative d’évasion, voire qu’ils avaient été assassinés par des groupes « terroristes ». Les autorités n’ont toutefois pas fourni les détails nécessaires ni expliqué pourquoi elles s’étaient abstenues pendant des mois, voire des années, de faire connaître le sort des « disparus » à leurs familles et à leurs avocats alors que ces derniers continuaient de solliciter des renseignements sur leur lieu de détention.

Le cas de Mokhtar Youssfi

Mokhtar Youssfi, quarante ans, marié et père de deux enfants, a été arrêté à son domicile d’Aïn el Turk (wilaya d’Oran) le 2 novembre 1994. Toutes les tentatives de sa famille pour connaître son lieu de détention sont restées vaines. Amnesty International a également soumis le cas de cet homme aux autorités algériennes, mais elle n’a pas reçu de réponse. En octobre 1996, les autorités ont écrit au

Groupe de travail des Nations unies sur les disparitions qui s’était enquis du sort de Mokhtar Youssfi, indiquant que celui-ci avait trouvé la mort lors d’une fusillade qu’avait éclaté le 3 novembre 1994 « entre les forces de sécurité et son groupe terroriste». Les autorités n’ont fourni aucun autre détail jusqu’à présent et elles n’ont pas expliqué pourquoi la famille de cet homme, qui avait sollicité, maintes reprises des renseignements à son sujet, n’a pas été avertie de sa mort.

1. Article 51 du Code de procédure pénale, amendé par le décret n° 9510 du 25 février 1995.

(2) Le Dr Ouziala avait déjà été arrêté en février 1992 et maintenu en détention administrative, sans inculpation ni jugement, pendant près de quatre ans dans un camp situé dans le désert, dans le sud de l’Algérie. Remis en liberté sans inculpation en décembre 1995, il avait repris son travail à l’hôpital en février 1996 Il était convoqué régulièrement par les forces de sécurité depuis sa libération, en 1995, pour des interrogatoires de routine.

 

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