« On torture dans les prisons et les commissariats de police »

Ali Yahia Abdenour et Mustapha Bouchachi tirent la sonnette d’alarme

« On torture dans les prisons et les commissariats de police »

El Watan, 31 juillet 2008

Mustapha Bouchachi, président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH), plaide pour la révision du code de procédure pénale de sorte à protéger les citoyens de telles « dérives autoritaires et inhumaines ». Pour Me Ali Yahia Abdenour, Bouteflika veut dire, à travers son discours, qu’il ne partira pas sur un échec et que l’opposition n’a plus de place, puisque lui-même fait dans la critique.

La situation des droits de l’homme empire. L’année dernière était meilleure que cette année. Et cette année ne sera que meilleure que celle à venir », tonne Mustapha Bouchachi, président de la LADDH, dans une conférence de presse animée hier à Alger, avec Ali Yahia Abdenour, président d’honneur, et d’autres membres de l’organisation. Comme premier exemple de piétinement des droits de l’homme en Algérie de 2008, M. Bouchachi cite la torture. « Il y a eu torture dans des prisons. Des citoyens ont également subi cette pratique dans des commissariats de police », dénonce-t-il, exprimant toute son indignation quant à l’attitude des gouvernants qui « ne font rien pour mettre un terme à cette pratique », disparue depuis de longues décennies dans les pays de paix et de démocratie. « Il n’y a jamais eu ouverture d’enquête sur ces exactions dénoncées par les victimes devant les juges en pleine audience », condamne-t-il, rappelant que l’appareil judiciaire, même s’il n’y a pas dépôt de plainte, doit impérativement, comme le prévoit la loi, ouvrir une enquête pour s’assurer de la véracité des paroles des victimes. M. Bouchachi dit avoir reçu une dizaine de cas de torture, dont une seule victime a pu déposer plainte. L’avocat et défenseur des droits de l’homme explique la raison ayant poussé les autres à ne pas intenter des procès contre les auteurs de « ces crimes contre le droit international et la Déclaration universelle des droits de l’homme ratifiée par l’Etat algérien ». « Souvent, ces victimes sont poursuivies pénalement et donc elles ont peur de représailles à travers leurs procès en cas de dépôt de plainte », souligne-t-il avec désolation, relatant un peu la frayeur et l’angoisse que vivent ces victimes.

« une politique générale »

M. Bouchachi refuse l’argumentaire officiel selon lequel ce sont des « actes isolés », attestant qu’il s’agit bien « d’une politique générale ». Pour mettre un terme à cette pratique « digne de l’âge des cavernes », M. Bouchachi plaide pour la révision du Code de procédure pénale de sorte à protéger les citoyens de telles « dérives autoritaires et inhumaines ». Poursuivant son constat alarmant de la situation des droits, M. Bouchachi revient sur « l’injustice flagrante que vivent les contractuels qui sont à leur 16e jour de grève de la faim ». « Ces grévistes ne demandent ni privilège, ni logement, ni aide, ils réclament simplement le poste de travail qu’ils ont occupé depuis plusieurs années », indique le conférencier, qui estime qu’« il est inconcevable d’employer un enseignant pendant quatre ans et de le jeter par la suite dehors en refusant de lui régulariser sa situation ». M. Bouchachi alerte ainsi l’opinion publique sur la gravité de la situation de ces grévistes qui refusent de renoncer à leur action « même si cela doit leur coûter la vie », invitant par là même le ministre de l’Education à reconsidérer la décision. « Comment peut-on recruter 100 000 policiers et refuser de régulariser 40 000 enseignants qui occupent depuis des années des postes et ont contribué superbement au bon résultat du bac dont le gouvernement se targue ? », clame-t-il. Le président de LADDH cite également un autre cas flagrant de l’absence totale d’un Etat de droit. Il s’agit d’un grave précédent qui en dit long sur la manière avec laquelle on gère le pays. Il s’agit du limogeage d’un magistrat de la Cour suprême suite à une mésentente avec le chef de l’Etat. L’affaire remonte à 2002.

« la même situation qu’en 1978 »

Le Conseil d’Etat, auprès duquel il a introduit un recours, l’a réhabilité dans ses droits et a approuvé sa réintégration de plein droit dans sa fonction. « Mais le ministère de la Justice a refusé d’appliquer cette décision et le magistrat est toujours radié », relève le conférencier. M. Bouchachi n’a pas manqué l’occasion pour évoquer la situation désastreuse des victimes des violences de Berriane, dans la wilaya de Ghardaïa, attestant que « le wali n’a rien fait pour les prendre en charge ». Selon lui, des familles se trouvent actuellement dans un état lamentable, entassées dans des salles de classe, à un mois seulement du Ramadhan. De son côté, Ali Yahia Abdenour n’a pas perdu sa lucidité et sa perspicacité dans la lecture de l’actualité nationale. Brossant un tableau noir de la situation des libertés et des droits de l’homme, le président d’honneur de la LADDH focalise son intervention sur le régime et plus particulièrement sur le dernier discours du chef de l’Etat. « Bouteflika veut dire à travers son discours d’autocritique, comme il l’a qualifié, qu’il ne partira pas sur un échec et restera pour redresser la situation, comme il dit que l’opposition n’a plus de place puisque lui-même adopte un discours critique », explique-t-il, ajoutant dans le même sillage que « le pays se trouve exactement dans la même situation qu’en 1978, avec un Président malade et une succession ouverte ». Pour Me Ali Yahia Abdenour, « les gouvernants ont semé le vent et récoltent la tempête ». Il considère que Bouteflika est à la fois « le produit et la négation de Boumediène ». Comment ? Selon lui, le chef de l’Etat aime, comme Boumediène, la concentration des pouvoirs. Mais en revanche, il prône sur le plan économique le libéralisme, contrairement au défunt Boumediène qui a œuvré pour le socialisme.

Par M. A. O.


LADDH : «Les droits de l’homme sont en régression en Algérie»

par Z. Mehdaoui, Le Quotidien d’Oran, 31 juillet 2008

Le verdict de la LAADH en matière de droits de l’homme en Algérie est sans appel.«Il y a une régression des droits de l’homme en Algérie et chaque année c’est encore pire que la précédente», a déclaré hier le président de la LADDH, maître Mustapha Bouchachi, qui animait une conférence de presse au siège de cette organisation à Alger, aux côtés de Ali Yahia Abdenour, président d’honneur de la ligue. Selon le conférencier, la torture continue d’être pratiquée. «C’est une pratique générale», tonne le président de la LADDH, qui affirme avoir des témoignages de plusieurs personnes torturées.

Bouchachi, qui appelle à revoir les procédures pénales, souligne que «la justice n’a jamais ouvert des enquêtes sur ces cas de torture».

«La torture, c’est un crime d’Etat», poursuit, sans complaisance, le président de la LADDH qui affirme que la protection des citoyens de ce genre de pratique «n’a jamais été incluse dans les différentes modifications apportées à la loi ces dernières années».

Les enseignants grévistes, le mouvement associatif, les événements de Berriane, les centres d’attente pour les étrangers, l’UPM étaient hier autant de sujets développés par le responsable de la LADDH qui souligne que cela entre dans le cadre des rencontres organisées périodiquement par la ligue pour faire une «évaluation des droits de l’homme en Algérie».

Ainsi la situation des enseignants contractuels qui étaient hier à leur 17e jour de grève de la faim est qualifiée de «grave» par le conférencier qui note «que l’Etat a trouvé le moyen de recruter 100.000 policiers» mais refuse de réintégrer et régulariser des enseignants qui ont, dit-il, servi dans les pires moments qu’a vécus l’Algérie et dans des régions dont personne n’en voulait.

«Le plus dangereux, c’est le mépris observé par le ministère de l’Education qui n’a pas voulu ouvrir de dialogue avec les enseignants grévistes», ajoute M. Bouchachi qui note que cette absence de dialogue est une «atteinte aux droits sociaux» des enseignants qui ne demandent, soutient-il encore, qu’à vivre et faire vivre leurs familles.

Concernant les événements de Berriane, le président de la LADDH a affirmé hier que des centaines de familles de la région sont toujours réfugiées dans des écoles. Il soulignera que contrairement à la version officielle, des familles entières se trouvent encore dans des salles de classe.

«Le problème de Berriane a été traité uniquement sur le plan sécuritaire», s’est désolé l’avocat qui souligne que les véritables associations civiles sont embrigadées.

Par ailleurs, abordant le projet de Nicolas Sarkozy d’unir les deux rives de la Méditerranée, le responsable de la Ligue de défense des droits de l’homme en Algérie ne voit pas d’un très bon oeil cette démarche.

«C’est une régression du Processus de Barcelone», a-t-il déclaré en soulignant que dans le projet, la LADDH n’a pas encore vu d’indices sur les droits de l’homme. Il expliquera que le Processus de Barcelone mentionnait clairement que la coopération économique est liée au respect des droits de l’homme.

«L’UPM va donner de la légitimité aux pays qui bafouent les droits de leurs citoyens».

De son côté, Ali Yahia Abdenour n’a pas mâché ses mots.

«Nous ne portons pas de jugements sur les hommes ou leurs fonctions mais sur leur action», a déclaré d’emblée le président d’honneur de la ligue qui est revenu sur «l’aveu d’échec du président» lors de son dernier discours devant les P/APC.

«On a semé le vent et on a récolté la tempête», dira Ali Yahia Abdenour pour qui le «départ du pouvoir» est une nécessité.

Le président d’honneur de la Ligue des droits de l’homme a affirmé «qu’aujourd’hui nous sommes dans la même situation que celle qui a prévalu en 1978 après la mort de Boumediène» qui a laissé, poursuit-il sa succession ouverte.

La question, ajoute-t-il, c’est de savoir s’il faut changer le système en place depuis 1962 ou seulement procéder à des changements à l’intérieur de ce système.

Le constat de l’avocat algérien est clair à ce sujet: «Le pouvoir veut reproduire le même système politique» en donnant comme preuve l’échec constaté par le chef de l’Etat lui-même et qui n’a conduit, soutient-il encore, à aucune démission d’un quelconque ministre.


CONFÉRENCE DE PRESSE DE BOUCHACHI ET ALI YAHIA ABDENOUR

«La torture est toujours pratiquée en Algérie»

Le Soir d’Algérie, 31 juillet 2008

Ne faisant plus partie des réalités officiellement admises, la torture continue en vérité à être pratiquée en Algérie. C’est, du moins, ce qu’atteste la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH), dont le président et le président d’honneur, Mes Mustapha Bouchachi et Ali Yahia Abdenour, ont animé conjointement hier un point de presse à Alger.
Sofiane Aït Iflis – Alger (Le Soir) – Me Bouchachi, qui a officié en tant que conférencier en chef, a été affirmatif : «Ce ne sont pas des actes isolés, comme prétendu. La torture est bel et bien une pratique générale. » L’avocat, qui n’ignore pas le droit, a soutenu que cette pratique, répandue dans les commissariats de police, est favorisée par un code de procédure pénale qui ne protège pas le justiciable. En sa qualité de président de la LADDH, il sait pertinemment de quoi il parle. «Durant les deux derniers mois, nous avons enregistré une dizaine de plaintes de citoyens victimes de tortures dans les commissariats de police.» L’orateur a déploré que les victimes ne saisissent pas les tribunaux. Il comprend que c’est la peur des représailles qui les retient d’engager des actions en justice contre leurs tortionnaires. Mais il n’y a pas que cela : la flegmatique attitude des procureurs devant des affirmations à la barre de torturés. «Il y a eu des affirmations devant le juge ; des citoyens qui ont affirmé avoir fait l’objet de tortures. Les procureurs ne se sont jamais saisis pour ordonner l’ouverture d’enquêtes.» Me Bouchachi a plaidé la révision du code de procédure pénale, dans le sens d’une meilleure protection des citoyens. Ceci sur la très sensible question de la torture. Cependant, l’actualité nationale, faite de conflits sociaux et d’arbitraires professionnels, n’a pas laissé indifférent le militant des droits de l’homme. La situation des enseignants contractuels grévistes de la faim, plus immédiatement. Le conférencier a considéré que ce que subissent les enseignants contractuels est contraire à la loi. Il a dénoncé l’attitude de la tutelle qu’il a qualifiée de méprisante envers les grévistes de la faim et l’ensemble du corps enseignant contractuel. «C’est le mépris total. Aucun responsable du ministère de l’Education n’est venu les voir et s’entretenir avec eux.» Le conférencier a rappelé que parmi ces contractuels, certains cumulent 14 années d’exercice. «Comment se fait-il qu’un Etat qui s’engage à recruter 10 000 policiers, se déclare incapable de régulariser la situation de 40 000 enseignants ? » Me Bouchachi est convaincu que c’est là l’expression d’un Etat de non-droit. Il a voulu pour preuve supplémentaire la situation de ce magistrat, Ali Chemloul, qui a eu maille à partir avec le ministère de la Justice en 2002 et qui reste à ce jour victime d’un arbitraire. En effet, le magistrat, suspendu de ses fonctions, a recouru au Conseil d’Etat qui a statué en faveur de sa réintégration. Le ministre de la Justice fait et continue à faire fi de ce jugement rendu. Cela dure depuis 4 années. Me Bouchachi a, par ailleurs, dénoncé la loi sur l’entrée et le séjour des étrangers dans notre pays. Il a estimé que cette loi est une atteinte aux libertés consacrées par les textes et conventions internationaux. Pour sa part, Me Ali Yahia Abdenour est revenu sur la question des droits de l’homme dans son rapport à la politique. Le dernier discours de Bouteflika lui a inspiré une critique bien ajustée. «Quand on échoue, on démissionne», a-t-il affirmé. Selon lui, l’Algérie est dans la situation de la fin des années 70, lorsque Boumediene, malade, a laissé la succession ouverte.
S. A. I.