Lettre de Hocine Ait-Ahmed à Kofi Annan

M. Kofi Annan
Secrétaire général
Organisation des Nations unies
New York

Lausanne, le 4 octobre 2003

Monsieur le Secrétaire général,

J’ai l’honneur de m’adresser à vous pour solliciter votre intervention urgente auprès des autorités algériennes dans le cas d’un compatriote qui nous inquiète fortement. Il s’agit du Dr Salah-Eddine Sidhoum, qui a entamé le 30 septembre dernier une grève de faim totale alors qu’il est emprisonné dans une cellule en isolement à la prison de Serkadji (Alger), et qui se trouve actuellement dans état physique dramatique.

Le Dr Salah-Eddine Sidhoum, chirurgien orthopédiste, est, de longue date, un infatigable et courageux défenseur de droits humains dans notre pays. Il a dénoncé avec rigueur et constance les graves violations des droits humains survenues en Algérie depuis le coup d’État de janvier 1992 et publié des articles, listes et témoignages de victimes qui constituent autant de références majeures pour tous ceux qui sont engagés pour le respect des libertés et de la dignité humaine. Il a, à chaque fois que cela lui était possible, alerté l’opinion publique et les médias internationaux à qui il a présenté de nombreux cas de torturés, blessés et de disparus. Il a eu lui-même à soigner des personnes qui avaient été atrocement torturées ou qui avaient échappé aux balles assassines des forces de sécurité.

Son engagement actif pour cette cause n’étant pas au goût du pouvoir de mon pays, la police politique a tenté de l’éliminer. Après une tentative d’assassinat en décembre 1994, M. Sidhoum a du entrer en clandestinité, tout en continuant ses activités de défenseur des droits humains.

Pour le faire taire, il a été condamné par contumace en 1997 à vingt ans de réclusion pour « participation à des activités subversives » et « atteinte à la sécurité de l’État », sur la base d’accusations infondées et d’un dossier monté de toutes pièces. M. Sidhoum ne s’est pas laissé intimider et il a persévéré dans son action : en janvier 2002, il a participé de manière décisive à la confection de listes de personnes victimes d’exécutions sommaires et de disparitions qui ont par la suite été publiées et remises au groupe de travail sur les disparitions forcées de l’ONU. La réaction des autorités fut immédiate, sous forme de harcèlements téléphoniques de la famille de M. Sidhoum.

Voulant mettre fin à neuf ans de clandestinité, le Dr Salah-Eddine Sidhoum a décidé de se présenter à la justice algérienne, le 29 septembre 2003, pour faire opposition au jugement prononcé à son encontre en février 1997. Il a été immédiatement transféré à la prison de Serkadji, où il a annoncé qu’il entamait une grève de la faim pour revendiquer ses droits de détenu politique. Incarcéré dans des conditions déplorables (cellule humide en sous-sol, lumière artificielle 24 heures sur 24, sans lit ni matelas, rats, etc.), l’administration pénitentiaire lui a retiré tous ses effets personnels et son eau minérale. M. Sidhoum a alors décidé de mener une grève de faim totale.

Aujourd’hui, 4 octobre, son état physique s’est considérablement détérioré. Aucun médecin n’est venu l’examiner et l’administration pénitentiaire refuse de le placer sous surveillance dans l’infirmerie.

Je vous prie donc, Monsieur le Secrétaire général, de bien vouloir intervenir le plus rapidement possible auprès des autorités algériennes pour que M. Sidhoum — qui bénéficie de la présomption d’innocence et qui a montré qu’il est prêt à se soumettre à la justice — puisse dans l’immédiat trouver des conditions de détention humaines et conformes au droit international. Et que, dès que possible, il soit placé en liberté provisoire dans l’attente d’un procès rapide et équitable.

En vous remerciant par avance de l’attention que vous voudrez bien accorder à cette affaire qui me tient particulièrement à cœur et en espérant qu’il vous sera possible de lui donner une suite diligente et positive, je vous prie d’agréer, Monsieur le Secrétaire général, l’expression de ma plus haute considération.

Hocine Aït-Ahmed, ex-dirigeant de la révolution algérienne