interview de Yacine Zaid

Interview de Yacine Zaid

Chafaa Bouaiche, La Nation, 13 Septembre 2011

Yacine Zaid a été arrêté une fois le 12 Février dernier à l’occasion d’une marche de la CNCD à Alger. Il a été libéré le même jour. mais les autorités semblent voir en chaque militant, en chaque citoyen engagé un ennemi à pourchasser.

Il y a quelques jours, tu as été convoqué par la police de Batna, toi l’enfant de Laghouat, pour t’interroger sur ta supposée «implication dans un mouvement Chaoui qui revendique l’indépendance des Aurès». Peux-tu nous raconter ce qui s’est réellement passé ?

Yacine Zaid : Jeudi 18 août 2011, un policier se présente chez moi pour me demander de me rendre au commissariat de police de Laghaout pour récupérer une convocation qui m’a été adressée. Arrivé au commissariat, et à ma grande surprise, on m’a remis une convocation venant du commissariat de police de la wilaya de Batna ! Une ville, faut-il le souligner, située à 600 kilomètres de mon lieu de résidence. Dans la convocation qui a un caractère urgent, il m’est demandé de me présenter dans les plus brefs délais.
Après la fête de l’Aid, c’est-à-dire le 4 septembre, j’ai pris de la route en direction de la ville de Batna. Je me suis présenté, comme prévu, au commissariat de police du chef-lieu de wilaya.
A l’intérieur, un officier de police m’a posé une série de questions qu’il lisait sur une feuille. L’officier m’a enlevé mon téléphone portable. Il cherchait dans le répertoire s’il allait trouver des noms de personnes qui seraient derrière ce « mouvement chaoui».
Evidemment, l’officier n’a trouvé aucun nom.
L’officier me posait des questions sur ma famille, mes frères et sœurs. A chaque fois que je demandais qu’elle était la raison de ma convocation, il disait que je le saurais plus tard ! Il a demandé des renseignements sur ma famille : prénoms des frères et soeurs, dates de naissance, appartenance politique, mes beaux-frères…Bien entendu, j’ai refusé de répondre.
L’officier passe à une deuxième étape. Il m’a interrogé sur mes activités syndicales et les postes que j’ai occupés dans la vie professionnelle en insistant beaucoup sur les années et les dates avec exactitude. Il m’a interrogé ensuite sur mes activités sur les réseaux sociaux : mon blog, www.campagne-eurest.blogspot.com, et surtout mon activisme sur le réseau facebook, la nature de mes publications, les commentaires des internautes. On me demandait même si tous les amis sur ma liste partageaient les mêmes avis que moi. On m’interrogeait aussi sur les cyber activistes que je côtoie le plus : j’ai refusé de répondre.
L’officier m’a posé ensuite des questions sur mes activités au niveau de la LADDH, www.la-laddh.org, sur la cellule de protection des biens publics et la lutte contre la corruption et ce que le mot corruption signifie pour moi. Mes activités au sein de la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD) ont fait l’objet d’un interrogatoire. On m’a même demandé ce que le mot changement voulait dire pour moi. Durant ce long interrogatoire, j’ai constaté que l’officier ne maîtrisait pas son sujet. Il avait juste une série de questions entre les mains qu’il lisait.
Lorsque je suis revenu à la charge pour savoir si on m’a fait déplacer jusqu’à Batna pour me poser des questions, un officier m’a répondu que leur brigade est spécialisée dans tout ce qui concerne Internet au niveau national.

Et qu’en est-il du « groupe séparatiste chaoui » ?

Après une série de questions sur mes activités sur les réseaux sociaux, l’officier m’a interrogé sur «mon appartenance à un groupe séparatiste Chaoui». Il m’a cité quelques noms en me disant si je les connaissais, j’ai répondu par « peut-être » du fait que je suis connu sur la toile, surtout sur facebook. Après vérification, aucun des noms cités ne faisait partie de ma liste d’amis sur facebook. Puis, on m’a parlé de ce «groupe séparatiste». J’ai répondu que c’était du n’importe quoi, que c’était juste des intimidations. Il a continué à me poser des questions sur les multinationales, mon histoire avec ces dernières…

Et ta relation avec les chômeurs du sud. A-t-elle été évoquée ?

Non. Pour ce qui est de ce qu’on appelle communément les chômeurs du sud, je leur apporte mon soutien comme tout Algérien qui se respecte. Ma relation avec les animateurs du mouvement a commencé le jour où ces derniers m’avaient appelé au téléphone pour demander mon aide. Ils étaient un peu perdus et sous pression avec des étiquettes telle que régionalistes et violents. Comme au début de mon combat contre une multinationale, où j’avais demandé de l’aide aux activistes pour faire entendre ma voix, je n’ai pas hésité un instant pour aider ces chômeurs à faire entendre leur voix. Je les ai mis en contact avec mon syndicat, le SNAPAP, www.maisondessyndicats-dz.com . Autour su SNAPAP, ils ont réussi à se structurer dans un comité national (Comité nationalpour la défense des droits des chômeurs) que préside Tahar Belabes, un jeune du sud du pays. Le comité a réussi à mobiliser des dizaines des chômeurs à travers des actions organisées dans plusieurs localités et des sit-in observés devant le ministère du Travail à Alger. Malgré la répression qui s’abat sur les animateurs, dont deux, ont été condamné à trois ans de prison ferme par le tribunal de Ouargla, ils continuent à militer avec plus de détermination pour faire aboutir leurs revendications.
Mon soutien actif sur la toile à ces chômeurs dérange beaucoup le pouvoir. Je suis devenu en quelque sorte un «repère» surtout après les buzz qu’ont fait mes vidéos sur youtube, sur la précarité, l’injustice, le chômage, les pratiques illégales des multinationales…

Penses-tu que le pouvoir a infiltré les réseaux sociaux ?

Le jeu dangereux auquel s’adonne le pouvoir algérien, c’est de nous exposer à cette nouvelle génération de nationalistes (khorti) et de jeunes orphelins dopés par cette idée de complot contre la nation et le risque d’une intervention étrangère en Algérie. Le pouvoir, par ce procédé, tente de présenter, sur la toile, tout opposant, comme un traître à son pays. Et ce pouvoir illégitime, qui a dilapidé et continue de dilapider les richesses du pays, qui a déjà vendu le sud algérien, devient aux yeux de ces nationalistes, un enfant de chœur.