Ali Benhadj et Abassi Madani libérés

APRES UNE DETENTION DE 12 ANS
Ali Benhadj et Abassi Madani libérés

L’Expression, 3 juillet 2003

Le premier bain de foule du n° 2 de l’ex-FIS a été l’occasion pour lui de faire une démonstration de sa cote de popularité.

Le visage allongé, l’oeil vif, la chéchia en pyramide et le sourire constant, mais fatigué, Ali Benhadj a longuement salué les journalistes et sympathisants de l’ex-FIS qui sont venus l’accueillir au bas de son domicile, à Haï El-Badr.
«Je vous remercie, je vous exprime ma gratitude. Vos pas faits pour me voir et votre venue jusqu’ici me touchent énormément (…) Soyez patients, car tout dans la vie est affaire de patience (…) J’ai quitté la prison au bout de douze années et qui sont passées aussi vite qu’un éclair. J’ai été emprisonné, mais je ne suis pas le seul à avoir été mis en prison dans des circonstances troubles, d’autres l’ont été avant moi (…) Je vous promets d’être plus disponible les prochains jours, et nous aurons beaucoup de chose à nous dire et à nous raconter. Nous réglerons les problèmes de tous et nous demanderons à ce que soient respectés les droits de chacun (…) Excusez-moi, mais je dois me reposer, je suis fatigué».
Après avoir lancé ces messages cryptés, Benhadj se retire du balcon de son appartement, situé au troisième étage de la cité des Enseignants, à Haï El-Badr, ex-Lotissement Michel. Fin du bain de foule de cette première journée de Ali Benhadj en liberté.
La journée a commencé très tôt pour le n°2 de l’ex-FIS. A 7h30, il est mis hors de l’enceinte du tribunal de Blida, où il purgeait sa peine de douze années de réclusion prononcées à son encontre par un tribunal militaire en juillet 1992. Première escale: une prière à la mosquée Ben Badis, à Kouba. Geste fort significatif, puisqu’il renvoie aux années 1989-90 durant lesquelles Benhadj, gourou de la jeunesse islamiste urbaine, haranguait ses foules à partir de cette mosquée, fief imprenable, et qui était aussi celui de son maître à penser, le cheikh Abdellatif Soltani.
Deuxième escale, l’Entv. C’est là où fut cueilli Benhadj, fin juin 1991, alors qu’il s’apprêtait à demander un droit de réponse aux responsables de l’information de la télévision d’Etat. Autre geste très symbolique et dont la teneur semble dire que «douze ans après je tiens toujours à mon droit de réponse aux accusations dont j’ai été l’objet».
Il demande à rencontrer le DG ou son second avant de repartir aussitôt qu’il lui a été dit que ni l’un ni l’autre ne sont encore là pour lui permettre d’entrer. Il était à peine 9 h.
Troisième escale, le quartier populaire de Belcourt où Abassi Madani, le n°1 et porte-parole du parti dissous, est assigné à résidence depuis six ans (l’assignation a pris fin hier, ndlr).
A 10h, les badauds s’entassent et les journalistes algériens et étrangers s’agglutinent au bas du bâtiment. Un important dispositif de sécurité est déployé par la police urbaine et la gendarmerie nationale, et rien ne peut empêcher le retour de vieux slogans de la jeunesse urbaine pauvre et désabusée: «Ya Ali ya Abbas, el-djebha rahi labas!»
Tout «l’état-major» du parti dissous arrive. Les uns après les autres, Ali Djeddi, Kamel Guemazi, Abdelkader Boukhamkham, Mustapha Kertali, Ammi Abdelkader, Noureddine Chegara… montent plusieurs étages pour s’entretenir avec les deux chouyoukh et reprendre le fil rompu des activités, malgré l’interdiction signifiée par les autorités militaires à Ali Benhadj «de reprendre l’activité politique, sous quelque forme que ce soit».
A 10h15, nouveau départ vers le domicile de Benhadj. Ce qui devrait être la première escale devenait la dernière. Ultime chance pour les journalistes d’arracher un mot à la star du jour. Benhadj rentre chez lui sous les youyous et les centaines de flashes qui illuminent son visage terni par douze ans de prison.
Lorsqu’il apparaît au balcon de sa fenêtre, c’est pour dire quelques phrases, tantôt claires tantôt cryptées, qui dévoileront toute leur teneur les prochains jours.

Fayçal OUKACI

—————————————

ALI BENHADJ ET ABASSI MADANI LIBERES
SUR LA BASE D’UNE LOI DATANT DE 1966

Ils ont été déchus de leurs droits

L’Expression, 03 juillet 2003

Une partie du casse-tête auquel est confronté le pouvoir a été résolue de manière magistrale.

La polémique sur le statut politique, civique et civil de Abassi Madani et Ali Benhadj a été définitivement tranchée par le procureur près le tribunal militaire de Blida dans des notifications écrites transmises aux deux concernés. Si le premier a accepté de signer la sienne, le second s’y est refusé obstinément, confirmant par là ses intentions de revenir à la charge sans que l’on sache encore de quelle manière et avec quels moyens il compte s’y prendre. Globalement, les deux anciens leaders du FIS-dissous sont privés de la quasi totalité de leurs droits suivant certains articles du code pénal, datés de 1966 (voir notre encadré ci-dessous). Cette décision contredit les assurances formelles données par leur avocat, Me Ali-Yahia Abdennour qui, lui, se basait sur l’intitulé du jugement, ne prévoyant aucune peine assortie aux 12 années d’emprisonnement, comme cela avait été le cas, par exemple, pour Abdelkader Hachani. Ainsi, à la veille de leur libération, les deux anciens leaders de l’ex-FIS ont reçu la visite, l’un en son domicile et l’autre à la prison militaire de Blida, de hauts responsables leur annonçant leur libération pour le lendemain, c’est-à-dire hier, et leur signifiant tous les interdits dont ils sont désormais frappés à vie. Des communiqués officiels ont été rendus publics à ce propos, l’un portant la griffe de la Dgsn pour Abassi Madani et l’autre celui du procureur militaire de Blida pour Ali Benhadj. Les deux documents prévoient les mêmes interdictions pour les deux hommes. Telles que rapportées par les deux communiqués, ces interdictions consistent en:
– De plein droit, l’exclusion et la destitution de toute fonction ou emploi supérieur de l’Etat.
– L’interdiction d’exercer tout emploi qui leur permettrait de réitérer l’une des infractions pour lesquelles ils ont été condamnés.
– L’interdiction d’être électeur dans quelque élection que ce soit ou de faire campagne au cours de chacune de celle-ci.
– L’interdiction de se porter candidat à une quelconque élection.
– l’interdiction de tenir des réunions, de créer une association à des fins politiques, culturelles, caritatives ou religieuses, de s’affilier ou d’activer au sein des partis politiques, ou de tout autre association civile culturelle, sociale, religieuse ou autres, en qualité de membre, de dirigeant ou de sympathisant.
– L’interdiction d’assister, de prendre la parole ou de faire porter sa parole à quelque titre et par quelque support que ce soit, dans toute réunion publique ou privée, et de façon plus commune s’interdire de participer à toute manifestation politique, sociale, culturelle, religieuse, nationale ou locale quelle qu’en soit la cause ou l’occasion.
– L’obligation de s’abstenir de toute activité publique sous quelque forme que ce soit, directement ou par quelque intermédiaire que ce soit, par des déclarations, écrites ou orales, ou, d’une façon plus générale, de tout acte de nature à traduire une prise de position politique.
– L’incapacité d’être assesseur-juré, expert ou servir de témoin dans tous actes et de déposer en justice autrement que pour y donner de simples renseignements.
– L’incapacité d’être tuteur ou subrogé tuteur si ce n’est de ses propres enfants.
– La privation du droit de porter des armes, d’enseigner, de diriger une école ou d’être employé dans un établissement d’enseignement à titre de professeur, de maître ou de surveillant.
Ces interdits viseraient la reprise des prêches dans les mosquées, ce qui avait contribué grandement à l’émergence de l’ex-FIS. Ils empêcheraient également ces deux hommes de jouer un quelconque rôle dans la future présidentielle. Mais entre les désirs des uns et les mille et une voies empruntées par les autres, il existe tout un monde. Benhadj, en se rendant à la télévision pour demander où en était sa mise au point vieille d’une douzaine d’années, en refusant aussi de signer les documents relatifs à sa libération a nettement annoncé la couleur. Les jeux sont loin d’être faits.
Les enjeux sont bien trop importants pour ça…

———————————————

Selon un communiqué du procureur du tribunal militaire de Blida

Interdiction de toute activité politique


Par Hamidou B., Le Jeune Indépendant 3 juillet 2003

Libérés hier, les deux dirigeants du Front islamique du salut (Fis dissous), Ali Benhadj et Abassi Madani, se sont vu notifier l’interdiction de toute activité politique. Ali Benhadj, le vice-président du parti dissous et qui a purgé une peine de 12 ans pour «atteinte à la sûreté de l’Etat», a refusé de signer le procès-verbal du tribunal militaire de Blida lui rappelant les interdictions auxquelles il reste soumis, selon un communiqué du procureur militaire près le tribunal militaire de cette ville. Un communiqué émanant des services de la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN) a indiqué hier qu’Abassi Madani reste soumis «aux interdictions accessoires attachées à la peine principale à laquelle il a été condamné». Selon ce même communiqué, Abassi Madani a, après lecture du procès-verbal de notification, signé celui-ci. Abassi Madani, rappelle-t-on, avait bénéficié de la liberté conditionnelle en juillet 1997 avant d’être placé, en août 1997, en résidence surveillée dans son appartement à Belouizdad (Alger) par le ministère de l’Intérieur. Il a été condamné le 15 juillet 1992 à 12 ans de prison pour «complot contre l’autorité de l’Etat, sabotage économique et distribution de tracts de nature à nuire à l’intérêt national». Les deux dirigeants du parti dissous sont notamment interdits «de tenir réunion, de créer une association à des fins politiques, culturelles, caritatives ou religieuses, de s’affilier ou d’activer au sein des partis politiques ou de toute autre association civile culturelle, sociale, religieuse ou autre, en qualité de membre, de dirigeant ou de sympathisant», selon le communiqué du procureur du tribunal militaire de Blida. Les deux anciens dirigeants ne peuvent également plus voter et être candidats «à une quelconque élection», selon ce même communiqué. Ils ont «l’obligation de s’abstenir de toute activité publique, sous quelque forme que ce soit, directement ou par quelque intermédiaire que ce soit, par des déclarations, écrites ou orales, ou, d’une façon plus générale, de tout acte de nature à traduire une prise de position politique». Cette dernière interdiction semble s’inscrire dans la perspective des présidentielles de 2004. «Obligation de s’abstenir de tout acte de nature à traduire une prise de position politique» se veut comme une mise en garde aux deux dirigeants de rester en dehors de l’enjeu de la présidentielle de mars prochain. Mais, sur le plan pratique, les choses peuvent aller autrement. Qui peut empêcher légalement les deux hommes de donner des directives à leurs partisans de voter pour tel ou tel candidat, par d’autres canaux ? La présidentielle d’avril 1999 reste l’exemple le plus édifiant. H. B.

 

Publié par Le Jeune Indépendant, 3 juillet 2003

Articles du code pénal

Peines et mesures de sûreté

Art. 4 – Les infractions peuvent être sanctionnées par des peines et prévenues par des mesures de sûreté. Les peines sont principales, lorsqu’elles peuvent être prononcées sans être adjointes à aucune autre. Elle sont accessoires quand elles sont la conséquence d’une peine principale. Elles n’ont pas à être prononcées et s’appliquent de plein droit. Les peines complémentaires ne peuvent être prononcées séparément d’une peine principale.

(Ordonnance n°69-74 du 16 septembre 1969) Les individus condamnés pour une même infraction sont, sous réserve des dispositions de l’article 310, alinéas 4 et 370 du code de procédure pénale, tenus solidairement des amendes, des restitutions, des réparations civiles et des frais.

Les mesures de sûreté ont un but préventif ; elles sont personnelles ou réelles.

Peines accessoires

Art. 6 – Les peines accessoires sont l’interdiction légale et dégradation civique.

Elles ne s’attachent qu’aux peines criminelles.

Art. 8 – (Loi n°82-04 du 13 février 1982) La dégradation civique consiste :

1) dans la destitution et l’exclusion des condamnés de toutes fonctions ou emplois supérieurs, du Parti ou de l’Etat, ainsi que de tous emplois en rapport avec l’infraction ;

2) dans la privation du droit d’être électeur ou éligible et, en général, de tous les droits civiques et politiques et du droit de porter toute décoration ;

3) dans l’incapacité d’être assesseur-juré, expert, de servir de témoin dans tous actes et de déposer en justice autrement que pour y donner de simples renseignements ;

4) dans l’incapacité d’être tuteur ou subrogé tuteur si ce n’est pas de ses propres enfants ;

5) dans la privation du droit de porter des armes, d’enseigner, de diriger une école ou d’être employé dans un établissement d’enseignement à titre de professeur, maître ou surveillant.