Un Algérien dans les prisons américaines depuis 26 mois

VICTIME DE L’APRES-11 SEPTEMBRE 2001

Un Algérien dans les prisons américaines
depuis 26 mois

Le Quotidien d’Oran, 6 décembre 2003

Le Washington Post a révélé récemment l’histoire douloureuse d’un jeune Algérien perdu dans l’univers de l’après-11 septembre 2001.

Ramené de la frontière avec le Canada où il se trouvait le jour des attaques sur le World Trade Center et le Pentagone, il fut incarcéré dans une prison fédérale à New York City. Il est détenu depuis maintenant 26 mois, dont huit passés en solitaire dans un cachot, en dépit de son innocence avérée de toute connexion avec le terrorisme.

Benamar Benatta, 29 ans, est un lieutenant de l’armée de l’air algérienne, envoyé aux Etats-Unis avec 39 autres pour suivre un stage de perfectionnement à Baltimore. Il est arrivé aux USA le 31 décembre 2000, muni d’un visa de séjour de six mois. Benamar n’avait pas l’intention de revenir au pays à la fin de son stage. Après l’expiration de son visa, il s’installa à New York où il travailla dans un restaurant et partagea une chambre avec un juif orthodoxe au Bronx. Son visa expira le 30 juin 2001, une date qu’il avait décrite comme un moment de désespoir. Le 5 septembre 2001, Benamar prit un bus de minuit à destination de Buffalo, au nord de l’Etat de New York, traversa la frontière et se porta candidat pour un asile politique. Les autorités canadiennes le placèrent dans une cellule à l’intérieur de leurs bureaux pendant qu’ils menaient des investigations et étudiaient sa demande. Moins d’une semaine plus tard, le monde entier se réveilla, hébété, sur les attaques spectaculaires menées sur les symboles de prospérité et du pouvoir de la première puissance mondiale, le World Trade Center à New York et le Pentagone à Washington.

Dans la nuit du 11 septembre 2001, des officiers allèrent dans sa cellule et l’interrogèrent sur son passé militaire et sur les faux papiers d’identité qu’il détiendrait. Quelques heures plus tard, Benamar était sur le chemin du retour, embarqué vers un lieu de détention au nord de l’Etat de New York. Arrivé à destination, un agent du FBI lui montra une photo du World Trade Center et lui parla de l’attaque. «L’agent m’a averti que si je soutiens n’avoir aucun lien avec ce terrorisme, je pourrais passer le reste de ma vie en prison». a-t-il dit. «J’ai pensé, a-t-il ajouté, qu’ils allaient m’offrir aux Américains comme celui qui avait mené ces attaques. J’ai pensé que ma vie était finie».

Les jours qui suivirent l’attaque furent pour Benamar comme un épais brouillard. Des équipes d’agents du FBI n’arrêtaient pas de l’interroger. Les gardiens de cellule ont placé une chaîne à ses chevilles, menotté ses mains et mis une autre chaîne autour de sa taille. Benamar fut embarqué ensuite dans un avion à destination de Ney Work City, où des douzaines d’officiers armés de fusils l’ont reçu à l’aéroport international Kennedy, puis conduit à une prison fédérale à Brooklyn.

A partir de ce moment, Benamar devint comme invisible. Son nom n’est jamais apparu sur les listes des détenus. Sa famille en Algérie perdit sa trace. Aucun avocat de la défense n’était au courant de son existence, jusqu’à ce qu’un défenseur fédéral fût désigné pour son cas en avril 2002.

Dans le centre de détention de haute sécurité de Brooklyn, Benamar fut placé en solitaire dans une cellule que les prisonniers appellent «la boîte». Il avait droit à un lit d’enfant, deux couvertures et pas d’oreiller. Sa cellule était éclairée 24 heures sur 24. Les gardiens avaient écrit à la craie WTC (World Trade Center, ndlr) sur la porte de sa cellule. Et pendant des semaines, ils n’ont pas cessé de cogner brusquement sur la porte de sa cellule toutes les demi-heures pour le maintenir éveillé. Benamar n’avait pas accès à des livres ou à la télévision, ni à un avocat. Des semaines durant, il ne pouvait pas quitter sa cellule, sauf quand les agents du FBI venaient pour l’interroger sur son métier, ses origines et ses croyances religieuses. «Dans la boîte, je n’avais pas droit au rasage ni au bain, je n’avais droit à rien», a-t-il affirmé . «A la fin du mois, j’avais une forte barbe et je ne pouvais même plus parler. Là-bas, un jour paraît aussi long qu’un mois», a-t-il ajouté. Il rappelle qu’il était forcé de se déshabiller pendant que les gardiens se moquaient de lui. Les gardiens, a-t-il dit, frappaient sa tête contre le mur quand il était menotté. Une fois, ils ont tiré la chaîne qu’il avait autour de taille si fort qu’il eut des troubles respiratoires. Benamar est l’un des quelque 1.200 hommes arrêtés par les services de sécurité américains durant les folles semaines qui ont suivi les attaques du 11 septembre. Mais depuis, 840 détenus furent élargis, dont une centaine de prisonniers de la base militaire US de Guantanamo Bay à Cuba.

«C’est l’un des plus mauvais cas que nous ayons rencontré», avait dit Elisa Massimino, directrice du comité d’avocats des droits de l’Homme de Washington. Par ailleurs, en examinant le cas Benamar, un magistrat fédéral fut étonné des excès du gouvernement et des violations de ses droits. Dans son rapport établi le mois de septembre dernier, le juge H. Kenneth Schroeder Jr fut très critique à l’endroit du FBI, des agents des services de l’immigration et des procureurs. Aucun de ces trois intervenants, a-t-il estimé, n’a bougé le petit doigt une fois qu’il a été établi que Benamar n’avait aucune relation avec le terrorisme. En effet, le 15 novembre 2001, soit deux mois après son incarcération, le FBI avait conclu, après recherches et consultations, que Benamar n’avait aucun connexion avec le terrorisme. Cependant, ce «blanchiment» ne sera d’aucune utilité pour l’infortuné Benamar, qui passa cinq autres mois en solitaire dans la cellule-boîte.

Benamar demeure derrière les barreaux, incapable de payer une caution de 25.000 dollars pour bénéficier d’une liberté provisoire. Il est dans l’attente d’une instruction au terme de laquelle il risque l’expulsion.

N. Bencheikh