Immersion dans le centre d’accueuil de Recklinghausen : Un camp nommé «El djouâ»

Les maghrébins sous haute surveillance en Allemagne

Immersion dans le centre d’accueuil de Recklinghausen : Un camp nommé «El djouâ»

El Watan, 18 juin 2016

Le Bundesrat (Sénat allemand) a reporté au 8 juillet le vote qui devait avoir lieu hier pour confirmer ou infirmer la décision du Bundestag (Parlement allemand) de placer les trois pays du Maghreb sur sa liste des pays sûrs, interdisant ainsi aux Maghrébins de bénéficier du droit d’asile en Allemagne.

Il marche d’un pas léger dans la nuit et avance vers le camp de réfugiés. Les cheveux en bataille, la silhouette rachitique, sac au dos et baskets toutes crottées, à l’approche de ses camarades d’infortune, il lance un regard perçant.

«J’ai vadrouillé en Europe pendant deux mois et me voilà de retour à « El Djouâ » (la faim) ; visiblement, je n’ai pas de chance», s’agace Walid, 22 ans, originaire de Khemis Miliana.

Il vient d’être refoulé de France où il a séjourné trois jours seulement après de brefs séjours en Suisse, dans le sud de la France, en Espagne, puis il a décidé de rejoindre Paris où il pensait s’installer définitivement. «J’étais à Barbès quand la police m’a interpellé.

Je n’avais pas où aller et je ne connaissais personne, mon sac à dos a éveillé les soupçons des policiers. Après un interrogatoire musclé et une fouille minutieuse, les policiers sont tombés sur mon ‘‘ausweis’’ (laissez-passer allemand), il m’ont présenté à un juge qui a aussitôt prononcé une décision de refoulement vers l’Allemagne et ils m’ont embarqué dans le premier vol à destination de Dortmund», raconte le jeune homme, écœuré par ses mésaventures.

Son drame à lui, c’est de revenir dans ce «kampf» (camp de réfugiés) surnommé par les harraga algériens El Djouâ : «Je ne supporte plus cet endroit, mais la police allemande m’a obligé à revenir ici.»

Le camp de Zeche Recklinghausen II est situé à 30 kilomètres au nord-ouest de Dortmund, il n’est pas desservi par les transports, les migrants sont obligés de marcher environ 15 minutes à partir de la station de train pour y arriver. Il est installé dans une ancienne mine de charbon transformée depuis quelques années en jardin public aux abords d’un immense quartier pavillonnaire habité en majorité par de vieux «émigrés» turcs venus travailler ici il y a plus de 50 ans.

Nuit debout

Bien qu’il soit interdit aux médias, grâce à la complicité d’un harrag algérien, nous avons pu accéder au camp composé de plusieurs chapiteaux entourés de barbelés. Ici, réfugiés syriens, africains et maghrébins se mêlent, se regardent, se chamaillent parfois et ont fini par développer des animosités et par «ghettoïser» les lieux. Ainsi, chaque chapiteau est attribué selon une nationalité. Les Algériens seraient au nombre de cinquante.

Les conditions de vie sont spartiates, l’intérieur des tentes est composé de lits superposés séparés les uns des autres d’environ un mètre. «Vous n’avez aucune intimité, les lits sont étroits et nous ne disposons pas d’espace de rangement», s’offusque Tahar, un jeune
Algérois de Belouizdad.

En hiver, le campement est chauffé au mazout, comme l’attestent ces gros conduits visibles à l’intérieur des tentes. «L’air devient irrespirable et le bruit assourdissant nous empêche de dormir et quand il fait chaud, ça devient invivable, une vraie poudrière», conclut Tahar.

A la nuit tombée, la campement devient un goulag, un vrai cauchemar pour nos harraga, et pour cause : les lumières, une sorte de projecteurs puissants, restent allumées toute la nuit. «Je n’ai jamais compris pourquoi ils nous font ça, nous avons protesté auprès de l’administration, rien n’a été fait. Alors, pour dormir, nous formons avec des couettes et autres drap une sorte de tente pour nous cacher de la lumière», déplore-t-il.

Ils sont obligés, pour certains par habitude, par malaise pour d’autres, d’attendre l’aube pour dormir. Ils se rabattent, pour les uns, sur internet pour tenter de trouver une âme sœur allemande, alors que d’autres cherchent le meilleur moyen de quitter au plus vite ce lieu «invivable», selon leurs dires. Car il n’y a pas que la forte lumière qui dérange, les sanitaires seraient dégradants pour eux. «Ce sont des abreuvoirs pour animaux et non pas des lavabos», s’offusque Tahar.

Réfectoire

Les «réfugiés» algériens sont tenus — comme leurs coexilés d’ailleurs — de se présenter à la cantine abritée par un chapiteau qui sert à la fois de réfectoire et de salle de détente avant 14h30, heure de fermeture du resto. «On dort tard et très mal, et nous sommes obligés de nous lever avant 14h pour pouvoir manger. C’est lamentable, surtout que les Africains ne nous laissent rien», déplore Tahar d’un ton qui frise le racisme.

Les Maghrébins semblent développer une dualité avec les Africains qu’ils perçoivent d’ailleurs comme des «privilégiés» aux côtés des Syriens car ils obtiennent sans enquête aucune le doit à l’asile, cela se solde souvent par des rixes au réfectoire et surtout dans les sanitaires. Ce jour-là, le menu est annoncé : poisson à la carte et tant pis pour les retardataires. Même si parfois la «bouffe» laisse à désirer, ils se bousculent tout de même. «Faut bien profiter de ce qu’ils nous servent, surtout quand ils nous offrent de la viande ou du poulet, là c’est la guerre et chacun pour soi, Allah ghaleb !» lance Tahar, toute honte bue.

La nourriture est un sujet central qui revient sur toutes les lèvres, voire même un instinct de survie. Les discussions tournent souvent autour des menus proposés ou bien du kebab turc situé à quelque 15 minutes de marche ou bien du supermarché Penny (chaîne allemande de supermarchés) à une demi-heure à pied.

Cas singulier

Si certains attendent les 30 euros d’aide qu’ils perçoivent chaque semaine pour s’offrir ce qu’ils désirent, d’autres n’hésitent pas à aller se servir directement à la supérette où ils ont fini par attirer l’attention du gérant qui a redoublé de vigilance. «Les premiers temps, je les prenais en sympathie, mais depuis qu’ils se sont mis à voler et à gaspiller des produits emballés, je les surveille de près ; j’avoue qu’avant je ne faisais pas la différence entres tous ces réfugiés, aujourd’hui j’ai bien une idée, seuls les Maghrébins pillent et gaspillent les produits», confie le gérant du magasin Penny.

Face à tant de méfaits, ajoutés aux plaintes des compagnies de transport pour non-paiement des titres de voyage, l’administration du «kampf» a décidé d’astreindre les déplacements des Maghrébins et limiter la zone à 15 kilomètres à la ronde. «Ils nous interdisent maintenant de quitter Recklinghausen et si nous commettons des infractions, on nous prélève sur l’aide qu’on reçoit chaque semaine», renseigne Tahar.

Les plus téméraires sont priés de quitter le camp pour une autre destination. «Je suis dans l’attente d’un transfert, ils m’ont coupé les vivres, je ne perçois plus rien car j’ai été interpellé pour non-paiement de mon billet à plusieurs reprises et j’ai été signalé un peu partout sur le territoire allemand», confie Salah, 20 ans, originaire de Tiaret.

Ils sont nombreux dans son cas et s’ils ne se conforment pas aux règles édictées par les centre d’accueil, «on perdra toutes nos chances d’obtenir l’asile ; donc soit on se calme, soit on n’a qu’à changer de pays…La Norvège, il paraît que c’est mieux qu’ici», tance Mourad, copain de Salah et voisin de village. Les Maghrébins, et plus particulièrement les algériens, traînent une mauvaise réputation auprès des responsables des centres d’accueil.

«Non seulement ils sont indisciplinés et mal éduqués, mais ils trouvent également le moyen de refuser toutes nos propositions et offres afin de faciliter leur intégration : les stages payants, les cours de langue allemande gratuits voire du travail à mi-temps. Ils refusent tout», s’indigne une responsable qui a requis l’anonymat, apostrophée à la sortie du camp.

Visiblement, ses déboires avec les Algériens sont devenus une source de malaise pour elle, voire de stress permanent. «Je travaille dans l’aide humanitaire depuis plus de 20 ans et j’avoue sans exagération que je n’ai jamais eu affaire à des gens pareils ! Ils ne savent pas ce qu’ils veulent ni où ils vont, ils sont là, ils dorment jusqu’à la fin de l’après-midi.

Par contre, le jour de la distribution des aides aux réfugiés, ils se pointent les premiers avant même les familles syriennes — pourtant plus nécessiteuses et dans le besoin qu’eux —, ils sont toujours les premiers servis. Je ne vous cache pas, je n’en peux plus d’eux», fulmine-t-elle.

Zouheir Aït Mouhoub