Colloque sur la situation et les perspectives des droits de l’Homme en Algérie

Colloque sur la situation et les perspectives des droits de l’Homme en Algérie

Dichotomie entre les textes et la réalité

Par Ghada Hamrouche, La Tribune, 3 juillet 2005

«Les droits de l’Homme en Algérie, réalité et perspectives» est le thème du colloque ouvert hier à Alger sous l’égide de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’Homme (CNCPPDH). Le séminaire, qui se clôturera cet après-midi, a pour objectif, selon Me Farouk Ksentini, président de la commission susmentionnée, de «faire le bilan des droits de l’Homme en Algérie». Selon l’orateur, l’Algérie a fait «d’énormes efforts pour construire un Etat de droit dans des circonstances très particulières». M. Ksentini mettra en exergue de nombreux points positifs dans ce processus de construction notamment «les réformes de la justice, le programme de formation des magistrats et l’amélioration des textes juridiques existants aussi bien que les amendements apportés au code de la famille». En ce qui concerne la liberté de la presse, Me Ksentini a noté un remarquable «développement du débat». Même si le président de la CNCPPDH soutient le maintien du délit de presse, il s’oppose catégoriquement au maintien des peines d’emprisonnement contre les journalistes qu’il jugera comme «des mesures exagérées». Il affirmera que sa commission lutte depuis quelque temps pour amender ces peines d’emprisonnement. Sur un autre registre, celui des dépassements des agents de l’Etat, M. Ksentini qualifiera leur nombre d’«astronomique». Pour tout remède, il préconisera une réelle indépendance de la justice. «Il faut que le juge soit indépendant dans les faits. Un magistrat dépendant du pouvoir exécutif ne peut en aucun cas servir la justice.» Revenant sur la question de l’amnistie générale annoncée par le chef de l’Etat lors de son discours du cinquantième anniversaire de la révolution algérienne, il dira que «le jugement de tous les auteurs des crimes terroristes ou commis dans le cadre de la lutte terroriste nécessite 3 000 magistrats formés à cet effet et plus de dix ans de procès». Dans ce même contexte, il dira que sa commission a expliqué à l’ONG Human Rights Watch les difficultés réelles pour juger équitablement les agents de l’Etat incriminés dans les affaires de disparitions. Il dira que «faute de preuves irréfutables, ces agents bénéficient de la présomption d’innocence». Questionné sur l’absence de Amari Saïfi surnommé El Para lors de sa condamnation par le tribunal d’Alger, il laissera entendre que c’est la volonté du prisonnier. «L’accusé a le droit de refuser de se présenter au tribunal. Cela n’enlève pas à la cour le droit de le juger».
M. Ksentini ne ratera pas l’occasion pour répondre à l’offensive lancée contre lui par le secrétaire général du syndicat des magistrats. Il dira dans ce contexte que M. Aïdouni «ne peut absolument pas avoir d’appréciation sur le rapport et encore moins sur la qualité du travail de la CNPPDH». Le président de la Commission des droits de l’Homme n’hésite d’ailleurs pas à «récuser toute qualification au représentant des magistrats sur le recours systématique à la détention préventive et encore moins sur la question des disparus». Le syndicat, dit-il, ne doit s’affairer qu’à régler les problèmes socioprofessionnels des magistrats. Il dira que par ses déclarations, M. Aïdouni a «incriminé les magistrats avant de les blanchir par la suite». Me Mohamed Sellini, bâtonnier d’Alger, dira que «le chemin est encore long dans le domaine des droits de l’Homme». Il relèvera la dichotomie existante entre les textes et la réalité en précisant que ces droits s’appréciaient au quotidien. Il notera dans ce contexte le recul enregistré sur la liberté de la presse. «Au moment où un pays comme le Maroc reconnu pour les violations tous azimuts des droits de l’Homme amende l’emprisonnement des journalistes, l’Algérie le maintient». Il dira que «malgré toutes les tares de la presse algérienne, elle a été à l’avant-garde du combat pour la sauvegarde des libertés et de la démocratie». Il dira que l’Etat algérien devrait encadrer «cette liberté des médias et la protéger de toute détérioration». Concernant les droits des avocats, il affirmera que les «magistrats n’en tiennent pas compte» et d’ajouter que «les changements des textes s’avèrent insuffisants notamment quand l’application par les commis de l’Etat, en l’occurrence la police, les huissiers de justice et l’administration, ne suit pas».
A noter que les interventions du représentant de la DGSN et celui de la gendarmerie nationale n’ont pas laissé de marbre les assistants au colloque. Alors que les représentants des corps de sécurité affirmaient un respect strict des droits de l’Homme par les membres de la police et de la gendarmerie nationale, les invités du colloque n’ont pas hésité à leur apporter la contradiction par les exemples et les expériences vécues au quotidien par les uns et les autres enregistrant ainsi un écart considérable entre le discours et les réalités. Pour toute réponse, les représentants des deux corps diront que «le recours à la justice est un droit de tous ceux qui se sentent lésés par ces agents de l’Etat».

G. H.