Le Comité des droits de l’homme de l’ONU dénonce les crimes commis en toute impunité

Le Comité des droits de l’homme de l’ONU dénonce les crimes commis en toute impunité

Al Karama for Human Rights, 7 novembre 2007

Le Comité des droits de l’homme de l’ONU s’est réuni les 23 et 24 octobre 2007 pour examiner le troisième rapport périodique algérien. La délégation algérienne constituée de 14 membres était présidée par Idriss Jazaïri, ancien ambassadeur aux Etats-Unis et actuel représentant permanent de l’Algérie auprès de l’office des Nations unies à Genève. Les observations finales du Comité ont été publiées le 1er novembre 2007.

Al Karama for Human Rights a pris connaissance des préoccupations du Comité des droits de l’homme relatives et se félicite de ses recommandations adressées au gouvernement algérien.

Au centre des débats était placée l’Ordonnance d’application de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale et ses dispositions violant les principes du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ratifiés par l’Algérie.

Le Comité constate « avec préoccupation que de nombreuses et graves violations des droits de l’homme auraient été commises notamment par des agents publics, en toute impunité, et continueraient de l’être ». Les autorités algériennes qui avaient indiqué que des poursuites pénales étaient engagées contre les responsables de violations de droits de l’homme n’ont cependant pas fourni d’informations au Comité sur la réalité de ces poursuites.

Durant les débats, l’un des experts du Comité, Sir Nigel Rodley, a relevé que des milliers d’enlèvements et de décès ainsi que les massacres ne se font pas par hasard, par accident. Il s’agit là de « crimes contre ‘humanité » pour lesquels il est difficile de ne pas imaginer qu’ils soient la conséquence d’une pratique systématique. Cette qualification des violations commises de « crimes contre l’humanité » a provoqué le vif mécontentement du chef de la délégation, Idriss Jazaïri qui a rétorqué que c’était la première fois que ce terme était employé dans ce cadre et que c’était inacceptable. Sir Rodley a néanmoins souligné la pertinence de cette expression.

C’est donc dans un véritable souci de prévenir l’impunité dont jouissent les personnes coupables de graves violations des droits de l’homme que le Comité exprime ses vives préoccupations par rapport à l’article 45 de l’ordonnance. En effet, cet article déclare irrecevable toute plainte à l’encontre de membres des forces de sécurité, toutes composantes confondues, suspectés d’avoir commis des violations des droits de l’homme. Le comité considère que cet article doit être amendé.

Dans le même esprit, le Comité demande que des enquêtes soient menées à propos des massacres, tortures, viols et disparitions et que les responsables de ces violations répondent de leurs actes. Cette obligation d’enquête à propos des massacres « par une instance
indépendante en vue d’identifier les coupables et de les traduire en justice » avait déjà été affirmée par le Comité des droits de l’homme en 1998 mais n’avait connue aucune suite de la part des autorités algériennes.

Le Comité recommande aussi l’abrogation de l’article 46 de l’ordonnance qui « porte atteinte à la liberté d’expression ainsi qu’au droit de toute personne d’avoir accès à un recours effectif contre les violations des droits de l’homme, tant au niveau national qu’au niveau international ». Effectivement, cet article prévoit une peine d’emprisonnement de 3 à 5 ans et une forte amende pour quiconque qui, par ses déclarations, écrits ou tout autre acte, ternit l’image de l’Algérie, notamment en dénonçant les violations des droits de l’homme qui y sont commises.

Alors que la délégation algérienne souligne que l’état d’urgence ne restreint pas les libertés fondamentales garanties par les législations nationales et les instruments internationaux ratifiés par l’Algérie, le Comité exprime son inquiétude quant à son maintien qui justifie notamment la délégation des fonctions de la police judiciaire aux services secrets, le Département du renseignement et de la sécurité, DRS. Il recommande la levée de l’Etat d’urgence.

Le Comité est particulièrement préoccupé par les informations qu’il a obtenues sur l’existence de centres secrets de détention et demande à l’Etat algérien que tous les lieux de détention soient « mis sous le contrôle de l’administration pénitentiaire civile et du parquet ». Aussi recommande-t-il au gouvernement algérien d’instaurer « un registre national des centres de détentions et des personnes détenues », ce qui permettrait aux familles et aux avocats de prendre connaissance du sort du détenu. Il souhaite aussi que ces centres, y compris ceux du DRS soient régulièrement visités par un organisme indépendant national.

Ces centres secrets sont au centre du dispositif qui permet aux agents du DRS de maintenir des suspects en détention arbitraire, de pratiquer la torture et de les faire disparaître. Le Comité s’inquiète des informations sur ces pratiques, notamment de la part du DRS et demande que des enquêtes soient « menées par une autorité indépendante » dès que des allégations de ce type sont formulées, et que « les responsables de tels actes soient poursuivis et sanctionnés de manière conséquente ».

Le Comité considère que la durée de garde à vue de 12 jours dans le cadre de la lutte contre le terrorisme est excessive, d’autant plus que le détenu est maintenu en isolement, sans contact ni avec sa famille, ni avec un médecin. De surcroît, la loi algérienne ne prévoit pas le droit au silence ni à l’assistance d’un avocat. De même, la définition des actes terroristes et subversifs permet selon la loi algérienne des interprétations justifiant la répression de l’expression légitime de droits consacrés dans les textes ratifiés par l’Algérie. Le Comité recommande donc que des mesures soient adoptées « pour faire respecter les droits des personnes gardées à vue, ainsi que sur les méthodes de contrôle des conditions de garde à vue ».

C’est durant cette période de garde à vue que les détenus sont torturés, notamment aujourd’hui dans les centres du DRS. Le Comité recommande donc que toute allégation de torture fasse l’objet d’une enquête indépendante et que les responsables soient jugés. La législation algérienne qui a prévu une interdiction absolue de la torture devrait selon l’organe onusien intégrer également la prohibition de l’utilisation des aveux obtenus sous la torture comme élément de preuve. Dans son prochain rapport périodique l’Etat algérien est invité à fournir des informations sur « le nombre de plaintes déposées sollicitant un réexamen des peines prononcées suite à un procès non équitable, y compris suite à des confessions obtenues sous la torture ».

Face à l’absence d’informations concrètes sur le traitement de la question des disparitions forcées, le Comité souhaite un certain nombre de mesures: Les personnes détenues au secret devraient être présentées à la Justice; pour les personnes décédées, les circonstances de leur disparition, le lieu et la cause de leur décès devraient être établis; leurs corps devraient être restitués aux familles; et finalement, les coupables de ces disparitions devraient être identifiés, poursuivis et sanctionnés. Les indemnisations ne doivent pas être conditionnées par la demande de la famille d’une attestation de disparition et elle doit refléter la gravité de la violation et du préjudice subi.

Le Comité demande à l’Etat algérien de rendre publiques ses Observations finales et de les diffuser largement, dans les plus brefs délais, sur tout le territoire de la République ainsi qu’il s’y est engagé.

Celui-ci est également tenu, dans un délai d’un an, d’informer le Comité sur la suite donnée aux recommandations relatives aux trois dossier suivants: les centres de détention, la question des disparitions forcées et la torture. Quant aux autres recommandations, l’Etat algérien est prié de communiquer les mesures d’application prises, dans le cadre de son prochain rapport périodique qui devra être remis au Comité le 1er novembre 2011.