Alkarama est préoccupée par la décision adoptée par l’ECOSOC qui, en favorisant les gouvernements répressifs, crée un dangereux précédent

Alkarama est préoccupée par la décision adoptée par l’ECOSOC qui, en favorisant les gouvernements répressifs, crée un dangereux précédent

Communiqué de presse

Alkarama, 28 juillet 2009

Le Conseil économique et social de l’ONU (ECOSOC) s’est réuni hier le 27 juillet 2009 à Genève. A cette occasion, il a examiné le rapport de janvier 2009 préparé par le Comité des Organisations non gouvernementales (Comité des ONG de l’ECOSOC) et a adopté une décision visant à suspendre le statut consultatif de l’organisation non gouvernementale la Commission arabe des droits humains (CADH) pour une durée d’un an.

Rappelons que le 29 janvier 2009 le Comité des ONG de l’ECOSOC s’est réuni à New-York et a recommandé la suspension de la Commission arabe des droits humains pour un an à la demande de la Mission permanente d’Algérie auprès des Nations unies. La plainte de l’Algérie était basée sur la prise de parole, le 10 Juin 2008, du Représentant permanent de la CADH de l’époque, M. Mesli, à la session du Conseil des droits de l’homme (CDH) à Genève. M. Mesli est aussi le directeur juridique d’Alkarama, une ONG pour la défense des droits de l’homme basée à Genève (voir ci-dessous pour une présentation d’Alkarama). Lien vers le communiqué de presse précédent

Alkarama tient à exprimer sa profonde préoccupation concernant l’adoption de la décision du Comité des ONG par l’ECOSOC. L’adoption a été une simple formalité et il n’y a eu ni débat, ni discussion concernant la fiabilité des informations fournies par le gouvernement algérien au Comité des ONG de l’ECOSOC. Le gouvernement algérien n’a apporté aucune preuve solide pour étayer sa plainte. L’ECOSOC l’a acceptée sans remettre en cause les allégations faites par le gouvernement algérien qui sont pourtant fermement réfutées par les personnes à l’encontre desquelles elles sont formulées, y compris M. Mesli.

La décision d’hier établit un dangereux précédent et affecte ainsi sérieusement la crédibilité de l’ECOSOC et de son Comité des ONG. En effet, cette décision signifie que les gouvernements répressifs peuvent désormais, au sein même du système des droits de l’homme des Nations unies, saper plus aisément le travail des défenseurs des droits de l’homme et des ONG pour lesquelles ils travaillent en présentant des informations trompeuses et/ou sans fondement au Comité des ONG de l’ECOSOC.

Le Comité des ONG de l’ECOSOC semble malheureusement fonctionner de manière politisée, ce qui soulève d’importantes préoccupations au sein de l’ECOSOC. Par exemple, le Représentant des Etats-Unis pour l’ECOSOC a déclaré hier : « Les Etats-Unis sont malheureusement parvenus à la conclusion que certaines délégations du Comité tentaient d’utiliser cet organe pour réduire au silence les ONG avec lesquelles elles n’étaient pas d’accord. » Le Représentant suédois, parlant au nom de l’Union européenne, a déclaré : « Les Etats s’opposent de plus en plus à l’octroi du statut consultatif pour les organisations qui ont critiqué la situation des droits de l’homme dans leurs pays ou dont les opinions diffèrent des leurs. »
Ce n’est pas la première fois que l’Algérie tente de réduire au silence une ONG qui travaille sur les violations des droits humains. En 1997, l’Ambassadeur d’Algérie a publiquement pris à partie Amnesty International en raison des rapports qu’elle a publiés sur les violations massives des droits humains en Algérie et a demandé publiquement que son statut ECOSOC lui soit retiré. L’attaque infondée à l’encontre de M. Mesli, défenseur des droits humains respecté, n’est qu’une nouvelle tentative de l’Algérie pour faire taire toute critique dénonçant les violations des droits de l’homme sur son territoire. Ils ont à présent franchi un nouveau seuil en réussissant à induire en erreur l’ECOSOC pour parvenir à leurs fins.

De sérieuses questions doivent donc être soulevées quant à la crédibilité de l’ECOSOC qui, pour prendre une décision importante, s’est uniquement basé sur des « on-dit » émanant du gouvernement algérien, pourtant connu pour les graves violations des droits de l’homme qu’il continue de perpétrer. C’est avec regret que nous devons conclure que le gouvernement algérien manipule effectivement le système des Nations unies (qui n’oppose aucune résistance) pour étouffer les préoccupations soulevées par rapport à l’effroyable situation des droits de l’homme sur son territoire.

Le gouvernement algérien ne tient pas non plus compte des requêtes émanant des mécanismes onusiens des droits de l’homme. Par exemple, il a constamment ignoré les demandes de visites répétées des Rapporteurs spéciaux sur la torture, les disparitions forcées, les exécutions sommaires ou extrajudiciaires. Il ne rend pas non plus publiques les observations finales formulées par les organes de traités. Rappelons aussi que l’Institution nationale des droits de l’homme algérienne a été très récemment rétrogradée au statut B par le Comité international de coordination des institutions nationales pour non-conformité avec les Principes de Paris. Cependant, la plainte déposée par le gouvernement algérien, accusation sans fondement, a été acceptée par l’ECOSOC sans avoir été scrupuleusement examinée. Ce faisant, on a porté atteinte à une ONG active et respectée et diffamé un réfugié connu en Suisse.

Alkarama est de toute évidence très préoccupée par le fait que la Mission permanente d’Algérie présente intentionnellement des informations sans fondement sur M. Mesli. Ces fausses accusations entraînent non seulement de graves conséquences pour notre collègue, mais aussi pour toutes les ONG qui travaillent avec les Nations unies. Nous regrettons également la manière dont cette décision affectera la Commission arabe des droits humains qui a collaboré activement et de manière constructive avec le Conseil des droits de l’homme.

Cette décision porte atteinte à la société civile, ébranlée dans sa capacité à travailler de concert avec les mécanismes des droits de l’homme de l’ONU et affecte la crédibilité de tout le travail qu’effectuent en matière de droits de l’homme l’ECOSOC et le Conseil des droits de l’homme.

A propos d’Alkarama :

Alkarama est une Fondation de droit suisse travaillant pour la protection et la promotion des droits de l’homme dans le monde arabe. Elle a des bureaux et des représentants à Genève (siège), Liban (Beyrouth), Doha, et au Sanaa (Yémen). Alkarama participe à l’ensemble des mécanismes des droits humains de l’Organisation des Nations Unies y compris les procédures spéciales et les organes conventionnels, ainsi que l’Examen périodique universel (EPU) récemment introduit. L’objectif de Alkarama est de travailler à travers un dialogue constructif avec tous les acteurs – y compris les États, le Bureau du Haut Commissaire aux droits de l’homme et de tous les membres de la société civile. Alkarama s’est spécialisée dans les quatre domaines prioritaires suivants: la détention arbitraire, la torture, les disparitions forcées et les exécutions extra-judiciaires. Alkarama a présenté des milliers de communications aux procédures spéciales de l’ONU, y compris plus de 1000 cas relatifs à l’épineuse question des personnes disparues en Algérie. En 2007, plus de 90% des cas examinés par le Groupe de travail sur la détention arbitraire concernant le monde arabe ont été présentées par Alkarama.