«Où sont les corps des victimes ?»

Familles de disparus

«Où sont les corps des victimes ?»

El Watan, 19 janvier 2003

La Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH) et les associations SOS Disparus et l’ANFD ont organisé, hier à la salle des fêtes du 1er Novembre à Birkhadem, Alger, une conférence nationale sur les disparitions forcées intitulée «Ensemble pour la vérité et la justice».

C’est la première fois depuis 1992 qu’une telle manifestation est autorisée par les pouvoirs publics. Les organisateurs expliquent ce revirement de la situation et cette petite ouverture par le fait que le chef du gouvernement, Ali Benflis, se trouve en France où se déroule actuellement l’Année de l’Algérie. «Aujourd’hui, le sujet des disparus n’est plus tabou, c’est une réalité et tout le monde en parle. C’est un phénomène connu des différentes organisations internationales. L’Etat algérien ne peut plus donc continuer à cacher ce dossier épineux», souligne Mme Nasséra Dutour, présidente du collectif des familles de disparus établi en France et porte-parole de SOS Disparus. Mme Dutour a, au passage, soutenu que cette rencontre se veut surtout une réponse au journal Le Monde qui a consacré dans l’une de ses éditions de la semaine dernière toute une page à cette question. Ce journal a révélé qu’«une source algérienne autorisée a affirmé que toutes les personnes disparues seraient mortes. A notre sens, cette source à qui nous adressons ce message ne peut appartenir qu’au cercle du gouvernement, donc nous lui demandons, si réellement cette information est fondée, de nous indiquer où se trouvent les corps des 7000 personnes disparues», dira-t-elle. Ont pris part à cette manifestation des familles de disparus, des dissidents du MSP et actuellement proches de Taleb Ibrahimi, à l’image de Saïd Morsi, Ali Djeddi de l’ex-FIS, des représentants du FFS, du PT, de RAJ, la représentante du NDI en Algérie et Me Bouchachi. Dans son intervention, Me Ali Yahia Abdenour, président de la LADDH, a indiqué qu’aucun dossier de disparus n’a été élucidé par les pouvoirs publics puisque aucune famille n’a récupéré le corps de son proche.

DES CHIFFRES ET DES INTERROGATIONS

«Les disparus ne peuvent être déclarés morts, tant que leurs cadavres n’auront pas été trouvés. Les familles veulent retrouver leurs proches ou leurs corps. Elles veulent également que, quelle que soit leur étiquette, les assassins soient jugés par une justice autonome.» D’après le conférencier, le nombre de disparus est difficile à établir et ne peut être qu’approximatif. Il relève à cet effet que les fiches individuelles établies par la LADDH et les associations de disparus font ressortir 7200 disparus. Le président Abdelaziz Bouteflika estime leur nombre à 10 000. La LADDH à 18 000 et certains défenseurs des droits de l’homme à 22 000.
Mme Fahassi, porte-parole de l’ANFD, a déclaré à l’assistance qu’après onze années d’affrontements meurtriers entre Algériens, des milliers de familles sont sans nouvelles de leurs filles, de leurs fils, de leurs pères et de leurs mères disparus lors d’une attaque terroriste ou d’une descente de policiers, de gendarmes ou de militaires. L’intervenante précisera que ceux qui avaient dix ans en 1992 ont plus de 21 ans en 2003. Outre la douleur d’avoir perdu un être cher, les familles des victimes des disparitions forcées souffrent encore plus d’être dans une opacité totale en ce qui concerne le sort de leurs proches. Les politiques de «rahma» et de «concorde civile», ajoute Mme Fahassi, qui ont été imposées au peuple algérien, n’ont apporté aucune réponse aux cas de disparitions. «Si ces politiques ont certes permis d’améliorer la situation sécuritaire, elles ont par contre permis de consacrer l’impunité à l’égard de ceux qui, dans le camp des groupes armés et celui des services de sécurité, sont coupables de ces disparitions.» Par ailleurs, Me Ali Yahia Abdenour prône le changement du régime en place. «Aujourd’hui, nous exigeons non pas le départ de certaines personnes du régime mais le régime dans sa totalité, et nous demandons l’intervention de la justice internationale. Sans ces deux éléments, il n’ y aura ni réconciliation ni paix dans notre pays», a affirmé le président de la LADDH, qui a vivement critiqué la démarche du président portant sur l’amnistie. «Nous ne pouvons pas amnistier une personne avant de la juger. Le président de la République n’a pas respecté la Constitution. Certes, il a le droit de gracier un individu mais pas de l’amnistier», a-t-il ajouté. Notons que ces trois associations comptent organiser, au mois de mars prochain, une conférence internationale autour du thème des disparus

Par Nabila Amir