Mourad Dhina, toujours menacé d’extradition, est maintenu en détention

Mourad Dhina, toujours menacé d’extradition, est maintenu en détention

Algeria-Watch, 23 mars 2012

Que faut-il présenter aux magistrats français pour les convaincre du caractère politique de la demande d’extradition de Mourad Dhina par les autorités algériennes alors même que la présidente de la cour et l’Avocat général eux-mêmes constatent les incohérences contenues dans les documents qui leur ont été adressés par le gouvernement algérien ? Le 21 mars 2012, s’est déroulée l’audience de la chambre d’instruction de la cour de Paris qui devait examiner l’affaire. Plus de cent personnes ont fait le déplacement, parfois venues de loin, pour y assister. Des journalistes et représentants d’ONG, parmi lesquelles Algeria-Watch, étaient également présents.

Après son arrestation le 16 janvier 2012 à l’aéroport d’Orly à Paris, sur la base d’un mandat d’arrêt algérien établi le 23 septembre 2003, la demande d’extradition de M. Dhina a été rédigée par le procureur général d’Alger le 23 janvier 2012, faisant suite à une ancienne demande datant de 2005. Cependant, si les faits qui lui sont reprochés se seraient déroulés entre 1997 et 1999, ni les dates ni les lieux ne sont précisés par la justice algérienne. De surcroît, les documents fournis par cette dernière aux magistrats français évoquent des activités de soutien au terrorisme lors des années 1998-2002, alors que la demande d’extradition évoque, elle, des faits datant de 1997-1999. S’ajoute à cela que les autorités algériennes ont transmis une condamnation de Mourad Dhina datant du 15 novembre 1997 à vingt ans de prison par contumace, sans que les faits y soient plus explicites que dans les autres documents.

À la demande d’extradition est joint un exposé des faits reprochés à Mourad Dhina qui évoque le témoignage d’un certain Samir Hamdi Pacha. Celui-ci, lors de séjours en Suisse, aurait rendu visite au beau-frère de Mourad Dhina, chez qui il aurait rencontré ce dernier. Ces rencontres auraient eu pour objet le soutien aux groupes armés en Algérie en leur fournissant des moyens logistiques et des armes. C’est dans ce but que Hamdi Pacha, piloté par Mourad Dhina, aurait acheté un petit avion en Suisse pouvant prétendument servir à acheminer des armes vers l’Algérie. Or le témoignage de Hamdi Pacha n’a pas été adressé aux autorités judiciaires françaises, qui déplorent également l’absence de renseignements précis à propos de la première condamnation. Ajoutons que le principal concerné, Hamdi Pacha, a été acquitté dans cette affaire par la justice algérienne le 20 juin 2005, tandis que Mourad Dhina a alors été condamné par contumace à une peine de prison à perpétuité.

L’avocat général a constaté que certaines obligations énoncées par la convention d’extradition établie en 1964 entre la France et l’Algérie n’ont pas été respectées par cette dernière, que les règles de prescription ne sont pas clairement énoncées, de même que l’exposé des faits est insuffisant et les arrêts non motivés. Il s’avère donc que le complément d’information demandé aux autorités algériennes n’a pas permis à la justice française d’éclaircir ces questions et, en conséquence, l’avocat général a émis un doute sérieux sur l’objet même de la demande d’extradition. Il n’en a toutefois pas tiré la seule conclusion possible : celle de ne pas faire suite à la demande algérienne. Il a seulement proposé à la Cour de permettre aux autorités algériennes de fournir une nouvelle fois un complément d’information.

L’avocat de Mourad Dhina, Me Antoine Comte, a légitimement remarqué que si la justice algérien n’a pas été en mesure de fournir les éléments nécessaires à ce jour – deux mois après son arrestation –, comment peut-on croire qu’elle pourra le faire en attendant encore de nouvelle pièces, qui elles également ne satisferont pas aux exigences ? Il a pointé dans sa plaidoirie un certain nombre d’éléments que la cour devra considérer dans sa prise de décision. En particulier, il a évoqué des documents des autorités suisses qu’il a joints au dossier et qui montrent notamment qu’une enquête de la police suisse à l’encontre de M. Dhina a duré de 1994 à 2000, pour être finalement classée en raison de l’absence d’éléments pouvant étayer la demande d’extradition adressée par l’Algérie à la Suisse.

Il a rappelé également que de nombreuses ONG ainsi que les organes de l’ONU expriment régulièrement leurs préoccupations à propos des nombreux manquements au droit de la justice algérienne et de l’emploi régulier de la torture par les services de renseignements militaires. D’ailleurs, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France le 3 décembre 2009 dans l’affaire de l’expulsion de M. Kamel Daoudi, considérant que des personnes soupçonnées d’être impliquées dans des activités liées au terrorisme international pouvaient être soumises à la torture en Algérie1.

Mourad Dhina, lors de sa prise de parole, s’est dit perplexe au regard du Code pénal français, car il ne sait pas de quoi il est véritablement accusé. En Suisse, pour les mêmes faits – alors qu’ils se seraient déroulés sur ce territoire –, la procédure n’a pas dépassé le stade de l’enquête. La dimension politique de cette affaire est évidente : il s’agit de faire taire un opposant qui a toujours combattu le coup d’État de janvier 1992 et le régime qu’il a mis en place, toujours au pouvoir aujourd’hui.

La demande de mise en liberté provisoire formulée par Me Comte a une nouvelle fois été rejetée par la cour, malgré la plaidoirie de l’ancien bâtonnier de Paris, Me Paul-Albert Iweins, qui suggérait une libération provisoire avec port de bracelet électronique. La date de mise en délibéré du jugement a été fixée au 4 avril 2012 par la présidente de la cour, qui devra décider soit de suivre la proposition de l’avocat général de demander un nouveau complément d’information aux autorités algériennes (avec le risque d’une poursuite de la détention injustifiée de M. Dhina), soit de rejeter la demande d’extradition.

Algeria-Watch continue de considérer que cette arrestation arbitraire obéit à une injonction du DRS et regrette que la justice française, au vu d’un dossier algérien qualifié par ses représentants comme incohérent, se prête à des jeux politiciens qui ne peuvent qu’écorcher une fois de plus sa réputation.