Deux avocats algériens paient leur engagement pour le respect des droits humains

Deux avocats algériens paient leur engagement pour le respect des droits humains

Algeria-Watch, 24 septembre 2006

Depuis ces derniers mois, Mes Hassiba Boumerdessi et Amin Sidhoum font l’objet d’un véritable harcèlement judiciaire de la part de la justice algérienne, dont le but est manifestement de les punir de leur engagement professionnel pour le respect de la loi et des droits humains et pour la défense de leurs clients, victimes de violations de leurs droits, et de les dissuader de poursuivre dans cette voie.
Tous deux défendent de longue date des personnes prévenues ou condamnées et emprisonnées pour des actes qualifiés de « terroristes » ou pour leur soutien à de tels actes. Parmi ces détenus, certains devaient bénéficier des dispositions de l’« Ordonnance portant mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation » du 27 février 2006, qui prévoit l’extinction de l’action publique pour certaines catégories de personnes (à l’exception de celles coupables de massacre, d’attentat à la bombe ou de viol). (1)

Les deux avocats ont ainsi entrepris des démarches afin de faire libérer leurs clients concernés par les dispositions de cette ordonnance, dont le délai d’application était clos le 31 août 2006. Aucune procédure des autorités compétentes n’ayant été engagée, les deux avocats se sont adressés aux médias afin de rendre public ce dysfonctionnement. Après la parution, fin août, d’un article dans le journal arabophone El Khabar, les clients des deux avocats ont été libérés, mais le harcèlement judiciaire dont est victime Me Amin Sidhoum s’est intensifié et a touché également sa consœur Me Hassiba Boumerdessi.

Quels sont les actes incriminés ?

Me Amin Sidhoum a ainsi été convoqué le 23 août 2006 par le juge d’instruction du tribunal de Sidi M’hamed (Alger), en raison d’une plainte pour diffamation émanant du ministre de la Justice. Dans un entretien publié le 30 mai 2004 par le journal Ech-Chourouk al-Yaoumi, il avait dénoncé la détention arbitraire d’un de ses clients qui durait depuis trente mois. La journaliste déforma ses propos et rapporta que le prévenu « passe son trentième mois à Serkadji suite à une décision arbitraire rendue par la Cour suprême ». Or, à ce moment-là, Me Sidhoum n’a pu faire une telle déclaration, puisque la Cour suprême ne s’est prononcée sur ce cas qu’un an après la publication de cet article, soit le 28 avril 2005. Entendu une nouvelle fois le 18 septembre 2006 pour répondre des charges de « discrédit sur une décision de justice » et d’« outrage à un corps constitué de l’État », Me Sidhoum a été placé en liberté provisoire.

Parallèlement, Me Sidhoum et Me Boumerdessi ont été accusés d’avoir enfreint le Code de réglementation des prisons et de la réinsertion des prisonniers en introduisant des « objets non autorisés » à la prison, infraction passible d’une condamnation de trois à cinq ans de prison ferme et d’une amende de 2 500 à 5 000 euros. En outre, les autorités peuvent exiger la suspension d’un avocat de ses fonctions durant l’instruction. De quels « objets » s’agit-il ? Me Sidhoum avait remis à un client en détention deux de ses propres cartes de visite et Me Boumerdessi avait transmis à un de ses clients détenu le procès-verbal de son instruction après en avoir obtenu l’autorisation orale d’un gardien.

Me Amin Sidhoum a été auditionné sur cette « affaire » par le juge d’instruction du tribunal de Bab El-Oued une première fois le 22 août 2006, puis une deuxième fois le 10 septembre. Il doit à nouveau se présenter pour les mêmes faits devant le juge le 25 septembre 2006, de même que sa consœur Me Boumerdessi qui avait, elle aussi, été convoquée le 10 septembre 2006.

Les raisons de ces poursuites

L’absurdité ubuesque des prétendus « délits » justifiant ces poursuites contre les deux avocats montre bien qu’en réalité le but poursuivi par les autorités algériennes, à travers une justice aux ordres, est de les harceler et de les intimider, quitte à les emprisonner pour les empêcher d’exercer leur métier. Il s’agit bien d’une décision politique, comme en atteste notamment l’expérience faite par Me Sidhoum lors de la 39e session de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples qui s’est tenue à Banjul (Gambie) du 11 au 25 mai 2006 : le 12 mai, il a été menacé par un représentant de la délégation algérienne, qui lui a « conseillé » de ne pas intervenir devant la Commission au risque d’être condamné à une peine de prison à son retour en Algérie.

Amin Sidhoum devait en effet s’exprimer à propos de la situation des droits humains en Algérie et des conséquences de la mise en application de la Charte pour la paix et la réconciliation en Algérie. Or, l’ordonnance précitée de mise en œuvre de la charte comporte une disposition scandaleuse – parmi bien d’autres –, interdisant toute évocation des crimes de la « sale guerre » des années 1990 et de leurs responsables, en particulier au sein des forces de sécurité : son article 46 prévoit une peine de trois à cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de 250 000 DA à 500 000 DA pour « quiconque qui, par ses déclarations, écrits ou tout autre acte, utilise ou instrumentalise les blessures de la tragédie nationale pour porter atteinte aux institutions de la République algérienne démocratique et populaire, fragiliser l’État, nuire à l’honorabilité de ses agents qui l’ont dignement servie, ou ternir l’image de l’Algérie sur le plan international ».

Me Sidhoum est non seulement connu comme défenseur des droits humains, engagé auprès des familles de disparus et dénonçant la pratique de la torture, mais il défend aussi des dossiers sensibles de personnes suspectées d’« activités terroristes ». Il a notamment rendu public le fait qu’après les attentats du 11 septembre 2001, des centaines d’Algériens ont été arrêtés parce qu’ils étaient suspectés d’avoir séjourné en Afghanistan ou « pensé » vouloir combattre en Irak. En juillet 2006, il expliquait à ce propos : « Le régime a trouvé une nouvelle formule pour justifier le dépassement de la durée de la garde à vue, qui est de douze jours en matière de terrorisme. Il procède à la mise sous assignation à résidence surveillée du prévenu avec la bénédiction du ministère de l’Intérieur, qui signe une décision en se référant au texte sur l’état d’urgence. Le document ne contient ni le lieu ni la durée de la détention. » (2) Ces personnes assignées à « résidence surveillée » sont détenues dans des casernes sans contacts vers l’extérieur. En droit international, il s’agit là d’une « disparition forcée ».

Mes Boumerdessi et Sidhoum font partie de ces très rares avocats algériens qui n’hésitent pas à braver les interdits stipulés par l’article 46 de l’ordonnance de février 2006 (contraires aux Pactes internationaux ratifiés par l’Algérie) afin de lutter pour une Justice au service de la vérité. C’est pourquoi il est très important que tous ceux, gouvernements comme organisations non gouvernementales ou simples citoyens, qui sont attachés au respect des droits humains leur manifestent leur solidarité et fassent savoir au gouvernement algérien que ces persécutions inacceptables doivent cesser.

 

1. Ordonnance n° 06-01 du 28 Moharram 1427 correspondant au 27 février 2006 portant mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale.

2. El Watan, 8 juillet 2006.