Pourquoi les généraux algériens m’ont fait condamner à mort

Pourquoi les généraux algériens m’ont fait condamner à mort

par Habib Souaïdia

Paris, le 4 février 2006

Grande est la calamité que m’inflige le pouvoir tyrannique algérien. Dans ces temps extraordinaires, tout comme au temps des massacres et du mensonge, le pouvoir revient à la charge pour mettre sur mes épaules le fardeau de victimes innocentes enlevées, torturées puis exécutées sur l’ordre de l’état-major.

Le 23 janvier 2006, si j’en crois la presse algérienne (Le Soir d’Algérie, 23 janvier ; L’Expression, 25 janvier ; Liberté, 26 janvier), le tribunal criminel de Bouira m’a condamné à mort pour avoir été prétendument responsable, en juillet 1994, de l’enlèvement et de l’assassinat de trois habitants de Lakhdaria, MM. Medjahed Rachid, Allouache Ahmed et Allouache Mohamed.

Les véritables assassins de Ahmed et Mohamed Allouache

Voilà ce qu’a écrit par exemple L’Expression du 25 janvier 2006 : « Les faits de l’affaire jugée dimanche par la cour présidée par Mme Naït Kaci, la présidente de la cour, remontent au 22 juillet 1994 quand une patrouille militaire de l’unité spéciale stationnée au lieudit “Radar de Lakhdaria”, commandée par Souaïdia, a arrêté, au village Zbarboura, des membres des familles Medjahed et Allouache. Quelques heures après, certains membres seront relâchés alors que d’autres disparaîtront à jamais. Le 7 mars 2001, la chaîne française TF1, élabore un reportage sur les lieux et c’est là que la famille Medjahed reconnaîtra sur la photo du livre La Sale Guerre l’auteur du rapt, en l’occurrence Souaïdia Lahbib. Une enquête est demandée alors par le parquet suite à de nouveaux faits révélés par la chaîne. Les témoignages, lors de l’audience du 22 janvier, sont formels : Souaïdia, en sa qualité de chef de l’unité stationnée au Radar de Lakhdaria, a semé la terreur. L’épouse d’un disparu, Medjahed Omar, est catégorique, son fils et son mari ont été enlevés par Souaïdia. »

La seule chose vraie dans ce tissu de mensonges, c’est que j’étais bien en poste, en 1994, à Lakhdaria en tant que sous-lieutenant d’un régiment des forces spéciales (mais j’étais basé à la « Villa Copawi », et non au « Radar », situé à quelques kilomètres sur la RN 5, qui était le siège du commandement du « Secteur opérationnel de Bouira », le SOB, commandé par le général Abdelaziz Medjahed, secondé par le colonel Saïd Chengriha, et dont nous dépendions).
C’est là que j’ai assisté aux terribles exactions de certains de mes collègues des forces spéciales et surtout des officiers du DRS, la police politique. C’est parce que je me révoltais contre ces pratiques que j’ai été condamné, sous un faux prétexte, à quatre années de prison en 1995. Et après m’être rendu en 2000 en France (où j’ai obtenu le statut de réfugié politique), j’ai tenu à dénoncer dans mon livre La Sale Guerre (paru en février 2001 aux Éditions La Découverte) les crimes contre l’humanité commis par certaines unités de l’armée algérienne et par le DRS sur ordre de généraux « éradicateurs ».

Dans ce livre, je relate notamment la furie meurtrière dans laquelle nous avons été entraînés à partir du printemps 1994. Notre commandement avait décidé alors de lancer les forces spéciales avec le DRS, dans un terrorisme d’État à grande échelle : des milliers de personnes, soupçonnées d’être des terroristes, et surtout membres de familles d’islamistes montés au maquis, ont été arrêtées illégalement, et systématiquement torturées avant d’être exécutées. Ce sont les « disparus » dont les parents continuent à se battre aujourd’hui pour obtenir vérité et justice. À la Villa Copawi, j’ai vu ainsi passer des centaines d’hommes, qui y étaient détenus et torturés avant d’être emmenés pour leur dernier voyage par les hommes du DRS, qui les exécutaient froidement dans un bois ou dans un champ.

C’est ce qui est arrivé aux trois hommes dont le tribunal de Bouira m’a attribué la mort.
J’ignore les circonstances de l’arrestation et de l’exécution de Rachid Medjahed, mais je sais qu’il a bien été tué par le DRS. En revanche, je connais bien l’affaire du père et du fils Allouache, que j’ai justement racontée dans mon livre (à la page 124), sans citer leurs noms. Voilà ce que j’ai écrit : « Un ancien moudjahid de la guerre de libération, nommé Omar Haouas, travaillait avec nous : habitant du petit village de Zbarboura, à cinq kilomètres de Lakhdaria, il connaissait très bien la région et les tangos qui y sévissaient. Il m’accompagnait souvent dans des patrouilles de nuit, dont nous ne rentrions que vers 6 heures du matin. Le groupe de Ahmed Djebri a appris qu’il collaborait avec nous et a décidé de le liquider. Une nuit, ils sont venus à plusieurs et ils ont sorti Omar de chez lui : deux hommes du groupe, cagoulés, ont confirmé que c’était bien lui et Djebri a donné l’ordre de le tuer. Mais le vieux était plus malin qu’eux et il a réussi à s’enfuir. Ils lui ont tiré dessus, le blessant à la main. Le vieil homme a continué à courir jusqu’à ce qu’il tombe sur l’une de nos patrouilles, qui l’a ramené à la caserne.

« Il a raconté son histoire au colonel Chengriha et à l’officier de sécurité, en leur expliquant qu’il avait reconnu les deux hommes cagoulés : c’était des voisins. Le colonel a immédiatement donné l’ordre de les faire arrêter, ce qui a été fait dès le matin. Ils ont été amenés à la villa et torturés pendant trois jours. Le quatrième jour, le chef du poste de police est venu me dire qu’une vieille femme, accompagnée d’une jeune fille et d’un garçon de treize ans, était devant la porte et demandait à voir un officier. Je suis allé la voir et elle m’a expliqué qu’elle était venue chercher son mari et son fils qui avaient été arrêtés et qui étaient détenus à la villa.

« J’ai été très surpris par son assurance, et je lui ai demandé comment elle pouvait être aussi sûre qu’ils étaient là. Elle m’a répondu que, pendant la guerre de libération, cette villa était déjà utilisée par les militaires français qui y détenaient les civils arrêtés (ce que nous faisions nous-même : je dois préciser que c’est à la villa qu’étaient amenées toutes les personnes arrêtées dans notre secteur opérationnel). J’étais vraiment choqué : pour elle, c’était évident, rien n’avait changé depuis plus de trente ans, et elle nous identifiait à l’armée française…

« D’une certaine façon, elle n’avait pas tort, puisque nous utilisions les mêmes méthodes que les Français. J’avais vraiment honte de faire partie de cette armée. Bien sûr, la vieille femme n’a jamais revu son mari et son fils, qui ont été liquidés comme bien d’autres. »
Je peux préciser tout cela aujourd’hui. Cette dame, c’était Mme Allouache, femme de Ahmed et mère de Mohamed. La veille de leur enlèvement, nous avions fait l’objet d’une attaque de commandos du GIA (Groupe islamiste armé) en plusieurs points, dont la Villa Copawi. J’étais alors sorti, dans une voiture blindée, avec plusieurs de mes hommes, pour poursuivre les assaillants en direction de la forêt, vers le village de Zbarboura. Nous n’avons pu accrocher nos attaquants, mais, dans la nuit, j’ai vu un homme qui agitait un journal enflammé pour attirer notre attention : c’était Omar Haouas, qui venait d’être blessé par ceux qui voulaient le tuer. Je l’ai ramené au poste de commandement au Radar, où il a été soigné pendant la nuit. Le matin, il a dit aux officiers du DRS qui étaient avec nous (le commandant Benaïcha, commandant DRS du SOB, et les lieutenants Khaled Ramdane et Abdelkader Belkechich, dit Abdelhak) et au colonel Chengriha qu’il était certain que les deux hommes cagoulés du groupe qui l’avait agressé étaient ses voisins, Ahmed et Mohamed Allouache (il me l’a affirmé aussi). Aussitôt, les trois officiers du DRS, accompagnés d’une section de notre unité, sont allés à Zbarboura et ont arrêté les deux hommes, qu’ils ont ramenés à la Villa Copawi, où j’ai vu qu’ils ont été placés dans les cellules et qu’ils ont été torturés par le commandant Benaïcha et ses collègues.

Quand j’ai vu Mme Allouache, le quatrième jour, je lui ai dit d’aller voir le colonel Chengriha, au Radar. C’est le lendemain même que le père et le fils Allouache ont été extraits de leur geôle par les lieutenants Abdelhak et Ramdane et qu’ils les ont emmenés, avec des soldats, dans deux Renault Express bleues banalisées (les véhicules habituels du DRS pour ces « missions ») : cela voulait dire, comme à l’habitude, qu’ils allaient les exécuter dans une forêt quelconque, laissant leurs cadavres sur place : ce serait des « victimes du terrorisme ».

Désinformation et dossiers truqués

Aujourd’hui, j’ignore évidemment le détail des faux témoignages qui m’imputent ces crimes et qui permettent au Soir d’Algérie d’écrire le mensonge suivant : « Le 22 juillet 1994, […] le lieutenant Habib Souaïdia se présenta au domicile Allouache en tenue militaire et à bord d’un camion militaire sans que personne parmi ses supérieurs soit au courant. Il kidnappera le père et le fils, Ahmed et Mohamed Allouache ainsi que Medjahed Rachid. Le lendemain, et suite au dépôt de plainte de la famille Allouache, des recherches ont été entamées mais les trois personnes kidnappées et conduites vers une destination inconnue ne seront jamais retrouvées. »

Mais ce que je sais en revanche, c’est que ce genre de désinformation est une vieille habitude du service d’action psychologique du DRS. Dès la sortie de mon livre, le régime algérien a conduit contre moi une campagne médiatique délirante, m’accusant d’être le premier « salopard de l’Algérie » et mon livre d’être un « tissu de mensonges tissé par les ennemis de l’Armée nationale populaire ». C’est que la crédibilité de mon livre et son écho médiatique en France et en Europe ont sur le coup sérieusement ébranlé le pouvoir, qui craignait plus que tout que ce livre relance la demande des ONG de défense des droits de l’homme d’ouverture d’une enquête internationale sur les violations massives des droits de l’homme commises à l’initiative des chefs de l’armée et du DRS depuis 1992.

C’est pourquoi ils ont réagi sur tous les fronts : en utilisant les journaux algériens à leur botte pour me dénigrer ; en me faisant condamner, le 29 avril 2002, à vingt ans de prison pour « participation à une entreprise d’affaiblissement du moral de l’armée nationale » ; et avant, en allumant les feux en Kabylie au printemps 2001, histoire de détourner les regards et de semer le désordre. Les provocations assassines du DRS en Kabylie ont fonctionné à merveille, suscitant la révolte des populations et une terrible répression qui a causé la mort de plus d’une centaine de jeunes Algériens. Puis est venu le 11 septembre 2001 et la « bénédiction Ben Laden », occasion idéale pour revenir à la charge en accusant d’être des « suppôts de l’islamisme » tous ceux qui, comme moi, dénonçaient le terrorisme d’État des généraux algériens.

C’est alors que le « général gégène », M. Khaled Nezzar, ancien ministre de la Défense et l’un des criminels en chef de la « sale guerre » que je dénonçais dans mon livre, a prétendu vouloir « laver son honneur » en me poursuivant en diffamation devant la 17e chambre du Tribunal de grande instance de Paris. Lors du procès qui s’est tenu en juillet 2002 (voir les minutes intégrales dans le livre Le Procès de « La Sale Guerre », publié à la Découverte en octobre 2002), pour discréditer mon livre, le général Nezzar a produit plusieurs témoins menteurs ou manipulés, et en particulier une attestation très détaillée d’un journaliste algérien, Mouloud Benmohamed, agent bien connu du DRS. Celui-ci a affirmé avoir effectué à Lakhdaria une « contre-enquête » par laquelle il entendait « prouver » que « La Sale Guerre s’avère être à 95 % une succession de contrevérités, un enchaînement de mensonges et une suite de calomnies ».

Ce « journaliste » a par exemple contesté le récit détaillé que je donnais dans mon livre (p. 106-110) de l’assassinat en 1994 par les officiers du DRS de l’ex-maire FIS de Lakhdaria, M. Mohamed Yabouche. Mouloud Benmohamed a ainsi produit un « Dossier Yabouche », où figure l’attestation d’un terroriste repenti, un certain Bouhi Omar Ben Achour, se disant ancien membre du groupe du GIA de Ahmed Djebri et affirmant sur son « honneur et sous aucune pression ou contrainte […] avoir participé à l’assassinat de M. Yabouche Mohamed, M. Boussoufa Abdelkader et M. Boussoufa Ramdane, tous membres du FIS et ce pour motif qu’ils aient été de renégats » (les frères Boussoufa, comme je l’ai écrit dans mon livre, ont également été tués par le DRS). De même, dans une brochure diffusée par l’ambassade d’Algérie au Canada, en juillet 2001 (Algérie : mensonges et vérités sur la sale guerre), le même Mouloud Benmohamed a affirmé que la veuve de l’ex-maire lui aurait déclaré que son mari aurait été enlevé et assassiné par « des terroristes connus dans la ville ». (Alors que dans le documentaire réalisé par Nicolas Poincaré et diffusé par TF1 le 8 avril 2001 – et non le 7 mars, comme l’a écrit L’Expression dans l’article cité plus haut –, plusieurs témoins, dont le propre frère du maire, disent que « ce que raconte Habib est vrai ».)

On retrouve là les procédés habituels du DRS : faire produire des faux témoignages par d’anciens terroristes (et authentiques assassins) en échange de l’impunité ; et, plus grave encore, faire pression sur des proches des victimes du DRS plongées dans la détresse et la misère pour qu’elles produisent de faux témoignages en échange de l’octroi du statut de « victime du terrorisme » et d’un peu d’argent. J’ai appris en effet que, dans les mois qui ont suivi la parution de mon livre, des agents du DRS ont démarché systématiquement à Lakhdaria tous ceux, témoins ou parents de victimes, qui auraient pu corroborer mes dires, leur distribuant pensions et logements en échange de leur silence ou de faux témoignages.

On sait que, après cinq jours de débats contradictoires, le tribunal de Paris n’a pas accordé crédit à tous ces mensonges, et a sèchement débouté le général Nezzar de sa plainte en diffamation contre moi, le renvoyant en Algérie déçu et mécontent de cette « décision injuste », en attendant que je tombe entre ses mains…

Les crimes contre l’humanité des généraux

Aujourd’hui, c’est évidemment avec le même genre de dossiers truqués que le DRS m’a fait condamner à mort par le tribunal criminel de Bouira, révélant au peuple son vrai visage : celui de la dictature et de l’arbitraire. Je comprends tout à fait la douleur des familles Medjahed et Allouache – comme de bien d’autres –, et je ne les blâme pas de m’avoir accusé, parce que je sais qu’elles y ont été contraintes par le DRS. Mais je voudrais simplement qu’elles comprennent la gravité de la manipulation pour ne pas tomber dans le piège des assassins.

Je n’ai pas tué ces personnes. Ceux qui ont effectué leur arrestation et leur exécution, je les ai nommés. Et ceux qui les ont ordonnées, comme des milliers d’autres, ce sont leurs chefs (dont certains ont aussi été les miens, et qui me font honte d’avoir fait partie de cette armée) : le colonel Saïd Chengriha, chef d’état-major du Secteur opérationnel de Bouira (SOB), aujourd’hui élevé au grade de général-major et commandant de la 3e région militaire depuis août 2004 ; le général-major Saïd Bey, commandant de la Ire région militaire de mai 1994 à septembre 1997 ; le général-major Brahim Fodhil Chérif, chef d’état-major du CCCLAS ; le général-major Mohamed Lamari, alors chef d’état-major de l’ANP ; le commandant Benaïcha, commandant DRS du SOB ; le colonel (devenu général) Mhenna Djebbar, commandant du CTRI de la Ire région militaire à Blida. Et évidemment leurs deux grands chefs à tous, depuis 1990 et jusqu’à ce jour les vrais maîtres de l’Algérie asservie, le criminel en chef général-major Toufik Médiène, chef du DRS, et son sinistre adjoint, le général-major Smaïn Lamari, tous deux principaux responsables de centaines de milliers de torturés, de morts et de « disparus ».

À propos de ma condamnation à mort, le procureur de Bouira, M. Khebizi Sassi, a affirmé que « ce procès n’a rien de politique » (Liberté, 26 janvier 2006). Dans ce cas, M. le procureur, si vous avez le courage de le faire, je vous demande de citer à comparaître tous ces responsables militaires. Et je vous fournirai des preuves tangibles qui les accusent d’avoir organisé des crimes contre l’humanité qui ont fait des dizaines de milliers de victimes. Je demande aussi à M. le procureur de nous expliquer où a été la justice depuis que les trois victimes que l’on m’accuse d’avoir tuées ont « disparu » en 1994. Je demande aussi à M. le procureur, si jamais je rentre en Algérie, est-ce qu’il peut me garantir un procès équitable ? Est-ce qu’il peut me protéger contre la torture ? Parce qu’en lisant vos propos, j’ai presque cru un moment que l’Algérie était devenue un pays démocratique, respectant la dignité humaine. Mais cette illusion s’est vite dissipée, et je ne doute pas que vous avez reçu vos instructions, comme la présidente du tribunal qui m’a condamné à mort.

Des instructions qui ont été, de toute évidence, également données aux journalistes qui ont « objectivement » rendu compte de ce procès absurde, comme en témoigne par exemple le délire signé par un certain « Merzouk Abdenour » dans le quotidien L’Expression du 25 janvier 2006 : « Dans l’arrêt rendu par la cour de Bouira, il est clairement mentionné que l’intéressé doit être arrêté à sa première apparition. Avant l’exécution de cet ordre d’amener, les autorités nationales s’attèlent déjà à repérer le criminel qui a séjourné en France avant de prendre la clé des champs surtout que sa tentative de discréditer les forces de sécurité avait foiré. Bénéficiant de l’appui des groupes occultes, ennemis de l’Algérie dont il a essayé de ternir l’image, l’auteur de La sale guerre, aurait, selon une information, quitté la France.

« L’Angleterre semble, selon notre information, être le pays d’accueil surtout qu’aucune convention relative aux extraditions n’existe entre l’Algérie et ce pays longtemps terre d’asile à la mouvance terroriste du monde. Les attentats de septembre et ceux de Londres et le revirement du gouvernement de Tony Blair, dans le traitement du dossier de lutte contre le terrorisme, laissent penser que le criminel finira par être arrêté et remis aux autorités algériennes. Une autre source pense que Souaïdia aurait regagné l’Irak, où il entraîne des kamikazes. »

Ce n’est même plus de la désinformation, c’est de la simple bêtise – un signe de la déliquescence du DRS ? –, puisque, le 24 janvier 2006, j’ai donné depuis Paris, où je réside toujours, sans me cacher, une longue interview à la chaîne arabe Al-Jazira pour expliquer la manœuvre dont j’étais l’objet. Et le procureur de Bouira voudrait faire croire que « ce procès n’a rien de politique » !

Il faut refuser de se taire

Reste à expliquer pourquoi, aujourd’hui, le pouvoir algérien a jugé nécessaire cette absurde condamnation à mort. Je ne peux formuler des hypothèses qu’à partir de ma propre expérience. Je vois au moins deux raisons principales. La première est d’accréditer la nouvelle thèse du pouvoir, formulée par Me Farouk Ksentini, l’avocat du diable qui prétend être un « défenseur des droits de l’homme », selon laquelle « l’État est responsable mais pas coupable » des crimes commis par des militaires et des policiers durant la décennie noire. Méprisant la douleur et les larmes des parents de victimes, il veut effacer la réalité du terrorisme d’État, de la stratégie d’extermination, et faire croire qu’il n’y a eu que des « actes isolés », des bavures commises ici et là par quelques brebis égarées, comme si la torture, les massacres et les exécutions extrajudiciaires n’étaient qu’une chimère inventée par les « ennemis de l’Algérie ». Quoi de mieux pour cela que de me faire passer pour un assassin ayant agi « sans que personne parmi [mes] supérieurs soit au courant » (Le Soir d’Algérie, 23 janvier 2006) ?

La seconde raison est d’envoyer un avertissement clair à tous les policiers et militaires algériens qui seraient tentés de dénoncer, comme je l’ai fait, les horreurs dont ils ont été témoins. Je sais qu’ils sont nombreux, en exil comme en Algérie même, les hommes et les femmes honnêtes qui voudraient le faire. Mais aujourd’hui, à la veille de l’amnistie générale des généraux assassins, ceux-ci leur disent solennellement, à travers ma condamnation à mort : taisez-vous, ou sinon on montera un « scénario judiciaire » pour faire de vous des criminels, ou encore c’est votre famille qui sera victime de représailles.

Pendant mes cinq années d’exil en France, avec d’autres, j’ai témoigné et couru partout pour dénoncer les crimes contre l’humanité perpétrés par la secte au pouvoir et ses complices. Mais jusqu’ici, il faut bien reconnaître que nos efforts n’ont guère été fructueux. Les calomnies écœurantes d’une certaine presse vénale algérienne, aux ordres des bourreaux, ont insufflé aux Occidentaux tant de mensonges contre les Algériens qui s’obstinent à défendre l’honneur de leur patrie contre ceux qui l’assassinent, qu’ils sont ignorés et déconsidérés. Et, depuis le 11 septembre 2001, la « communauté internationale » ne veut plus rien savoir des violations des droits de l’homme commis par des régimes usurpatoires, aussi l’interdit s’est-il installé et la conscience a-t-elle démissionné.

Malgré cela, il ne faut pas se décourager dans le combat pour la vérité et la justice. La mobilisation courageuse des mères et femmes de « disparus » nous donne l’exemple : il est du devoir de tous les Algériens de connaître et faire connaître la réalité sur le pouvoir militaire. Pour ma part, ma condamnation à mort ne me fera pas taire, car j’estime qu’il est de mon devoir, en tant qu’ex-militaire algérien, de tout faire pour dénoncer la responsabilité des généraux et de leurs alliés dans la sale guerre qui a endeuillé mon pays.