Responsabilité historique

RESPONSABILITE HISTORIQUE

par K. Selim, Le Quotidien d’Oran, 9 février 2011

Entre Ben Laden et Bush. Depuis septembre 2001, les sociétés arabes étaient enfermées, par les régimes comme par les Occidentaux, dans ce choix sommaire et faux. L’idée d’une démocratie dans les pays arabes était réservée aux naïfs qui ne comprennent pas qu’un vote libre n’a lieu «qu’une fois» dans nos contrées.

La thèse, contestable et soluble en général dans un système électoral proportionnel qui permet une représentation fidèle des courants politiques, a servi d’argument pour l’ensemble des régimes autoritaires dans le monde arabe. Le fait que les islamistes n’aient pas été les initiateurs des mouvements pour le changement en Tunisie et en Egypte perturbe ces idées reçues, élevées pratiquement au rang de dogmes.

En Occident, on défendra, mollement, la démocratie, mais on a décidé que les sociétés arabes et musulmanes étaient réfractaires à la démocratie. Il y avait déjà la Turquie, mais on insistait sur le caractère très «spécifique» de ce pays.

Un souci propagandiste a tendu à présenter les sociétés arabes comme très tentées par le modèle iranien, alors que c’est bien la voie turque qui était la plus intéressante. Dans ce pays, non seulement l’islamisme a évolué dans le sens d’une intégration des valeurs de la démocratie, mais le système autoritaire a dû accepter de composer et de prendre la mesure de l’évolution de la société. Le fait que la Turquie devienne une économie émergente et une puissance régionale qui affirme ses vues n’est pas séparable de ce mouvement de démocratisation qui fait rêver les jeunes Arabes. L’échec du processus démocratique en Algérie, qui a débouché sur une décennie de grande violence, aura servi le discours antidémocratique.

Les mouvements de contestation en Tunisie et en Egypte contraignent cependant à des révisions. Plus personne n’ose affirmer que les sociétés arabes n’ont de choix qu’entre la dictature et l’islamisme. Ces deux grands évènements, dont les effets seront durables, même s’ils ne sont pas mécaniques, montrent que les sociétés arabes ne sont pas uniquement réceptives aux islamistes comme vecteur du changement. D’autres forces peuvent influer sur l’évolution de la situation. Et même si les islamistes sont présents et représentent une force non négligeable, les cas tunisien et égyptien dévoilent, déjà, que ces sociétés disposent de ressorts qui leur permettent de s’opposer au remplacement d’un autoritarisme par un autre.

L’hypothèse qu’il n’y aura qu’un seul vote démocratique dans un pays musulman est contestable. Elle est fondée sur une présupposition, sur une peur. Jusque-là, les islamistes ont eu tendance à l’alimenter. Il est vrai également qu’on les bâillonnait – avec le reste des courants politiques -, ce qui donnait le soin aux ultras du genre Al-Qaïda d’imposer une vision menaçante de l’islamisme et même de l’islam.

Les islamistes tunisiens et égyptiens se retrouvent devant une responsabilité historique. Jusque-là, ils ont servi de repoussoir pour permettre aux pouvoirs en place de refuser la démocratie. Ils sont aujourd’hui dans la situation de pouvoir apporter la preuve qu’ils peuvent être des acteurs de la démocratie. Les islamistes tunisiens paraissent très soucieux de ne pas faire les erreurs des islamistes en Algérie.

Dans ce moment particulier, les islamistes en Tunisie et en Egypte savent qu’ils sont surveillés et qu’ils ont contre eux tous les Bush et Ben Laden de la terre.