A la mémoire d’Abdelhamid Mehri, décédé il y a quarante jours

A la mémoire d’Abdelhamid Mehri, décédé il y a quarante jours

Boubekeur Ait Benali, 10 mars 2012

Abdelhamid Mehri était, quoi qu’on puisse épiloguer sur sa carrière, un homme de principes. Bien que ses positions puissent susciter des critiques, ce qui est tout à fait normal en démocratie, il n’en reste pas moins que sa probité est reconnue même par des gens ne partageant pas ses idées. Quoi qu’il en soit, la vie des grands hommes constitue toujours l’objet de critiques, mais aussi beaucoup de reconnaissance. Celle d’Abdelhamid Mehri est si riche qu’il faudra y consacrer énormément d’espace pour la traiter méticuleusement. En effet, sa carrière politique commence dans les années quarante. Partisan de la lutte pour la fin du joug colonial, il adhère naturellement au PPA-MTLD (Parti du peuple algérien – Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques), le seul à avoir revendiqué ouvertement l’indépendance de l’Algérie. En 1948, il quitte l’Algérie pour poursuivre ses études à l’université tunisienne, la Zitouna.

Quoi qu’il en soit, en dépit de son éloignement du sol national, son combat de militant n’est nullement entamé. Car, en Tunisie, la communauté algérienne est amplement présente. En menant ses études, il consacre une partie de son temps à organiser ses concitoyens. Après son retour en Algérie, ses talents d’organisateur le propulsent aux responsabilités au sein du principal parti nationaliste, le PPA-MTLD. Ainsi, à la veille de l’insurrection, Mehri est membre du comité central. C’est à ce titre que les autorités coloniales l’arrêtent, après les événements de la Toussaint, en pensant que c’est le PPA-MTLD qui a lancé l’insurrection. Toutefois, après son court séjour en prison, Abdelhamid Mehri rejoint instantanément le mouvement indépendantiste, le FLN (Front de libération nationale). Maitrisant parfaitement l’arabe [mon allusion est pour l’arabe classique. Car le système colonial interdisait son enseignement], il est envoyé au Mechrek pour représenter le FLN. Largement connu dans le milieu nationaliste, les congressistes de la Soummam, en août 1956, le cooptent membre du CNRA (Conseil national de la révolution algérienne).

Cependant, en février 1957, le CCE (Comité de coordination et d’exécution), l’organisme exécutif de la révolution, quitte l’Algérie. Après l’élimination des deux ex-centralistes, Saad Dahlab et Ben Youcef Ben Khedda, du premier CCE, présumés très proches de Ramdane Abane, les colonels obtiennent le remaniement de la liste de l’instance exécutive. Ainsi, en août 1957, au Caire, Mehri est désigné membre du second CCE. Ce dernier est composé, pour rappel, de 9 membres, dont 5 militaires. Ferhat Abbas, comme les autres civils hormis Abane, accepte de servir de tête d’affiche pour peu que l’Algérie parvienne à recouvrer son indépendance. L’année suivante, lorsque le CCE se transforme en gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), Mehri occupe successivement le poste de ministre des Affaires nord-africaine et celui des affaires sociales et culturelles ensuite.

À l’approche de l’indépendance, la course au pouvoir va diviser les militants de la même cause. En écartant le peuple algérien des choix devant déterminer son avenir, la coalition Ben Bella-Boumediene s’empare des rênes du pouvoir. Résultat des courses : plusieurs militants sincères sont mis à la touche. C’est à ce moment-là que Mehri quitte la politique pour se consacrer à l’enseignement. En 1965, il revient à la politique après le coup d’État de Boumediene. En effet, ce dernier a fait croire, en perpétrant son coup de force, qu’il va faire barrage à la tyrannie de Ben Bella. Hélas, il n’en est rien. Finalement, sous Boumediene, la dictature a atteint son apogée. Mehri est resté 7 ans comme secrétaire général du ministère de l’enseignement supérieur. Beaucoup d’hommes sincères ont alors essayé de sauver les meubles après la tournure qu’a connue la gestion calamiteuse des affaires par un régime dont la seule finalité est de se perpétuer indéfiniment. Sourd aux revendications du peuple, le régime persiste dans son arrogance, jusqu’au jour où les jeunes sortent dans la rue.

Tout compte fait, les événements d’octobre 1988, et c’est le moins que l’on puisse dire, mettent à nu le régime qui n’en a cure du changement. Pour redorer le blason du parti, malmené par les manifestants, Chadli fait appel à Mehri pour diriger le FLN. Dans la foulée, le pays inaugure une nouvelle phase, celle de la démocratisation. Bien que celle-ci doive permettre la pérennité du système, selon les calculs machiavéliques de certains caciques du régime, Abdelhamid Mehri ne voit pas les choses sous le même angle. Mettant son expérience au service de son pays, Mehri œuvre pour la démocratisation du pays. Même quand il se trouve en face de ses adversaires politiques, il n’hésite pas à leur prodiguer des conseils. Ainsi, lors d’un débat télévisé, Mehri conseille à Abassi Madani, dirigeant du FIS (Front islamique du salut), d’être prudent. En un mot, il lui déconseille de reproduire les dessins du régime se désintéressant totalement de la démocratie.

D’une façon générale, cette probité, bien qu’elle n’ait pas trouvé assez d’échos au sein du système, va trouver une oreille attentive en dehors du système. Du coup, avec Hocine Ait Ahmed et Mouloud Hamrouche, ils forment un pôle dont la mission est de réformer l’État algérien. D’ailleurs, il est un secret de polichinelle que lors des élections législatives de 1991, que ce soit en juin ou en décembre, l’alliance FLN réformateur-FFS est tacitement conclue. Sans l’éviction de Hamrouche, cette alliance aurait évité à l’Algérie la tragédie de la décennie rouge. La suite on la connait. Les militaires appellent Ghozali, « le Harki du système », pour organiser des élections libres et honnêtes. En réalité, celles-ci ne sont ni libres ni honnêtes. Toutefois, en sa qualité de secrétaire général du FLN, Mehri s’oppose au coup d’État de janvier 1992. Trois ans plus tard, il s’associe avec plusieurs personnalités [Ait Ahmed, Ali Yahia Abdenour, Ben Bella, Louiza Hanoune, Anwar Haddam] en vue de proposer une issue au conflit qui ensanglante l’Algérie. De retour de Rome, où la plateforme de Sant Egidio est signée, Mehri fait face à une campagne de déstabilisation le visant personnellement à l’intérieur du FLN. Ainsi, l’éviction de Mehri de la direction du FLN ne peut être justifiée que par le « coup d’État scientifique ».

Depuis son limogeage à la tête du FLN, Mehri continue son combat pour l’instauration de la démocratie en Algérie en compagnie d’Ait Ahmed dont l’engagement n’est plus à présenter. Dans une Algérie où la question du pouvoir se règle par la violence, les deux hommes croient fermement à une autre voie pour surmonter la crise politique. Après des révoltes nord-africaines, ils continuent de croire à un changement sans en arriver à la situation libyenne. La disparition, le 30 janvier 2012, du sage, Abdelhamid Mehri, va priver indubitablement la voix d’Ait Ahmed d’un soutien précieux. Mais la démocratie, grâce au travail qu’ils ont accompli, va triompher. Et ce jour-la, on pourra dire que « les efforts des Mehri, des Ait Ahmed, des Sidhoum, des Addi ne sont pas vains ».

Par Ait Benali Boubekeur