Une invitation au sérieux

UNE INVITATION AU SERIEUX

par K. Selim, Le Quotidien d’Oran, 15 juin 2011

Qu’est-ce qui fait de Abdelhamid Mehri un homme politique exceptionnel ? Sa longue expérience

politique, bien entendu, et cette capacité, plutôt rare en Algérie, de rester attaché à des fondamentaux, tout en soumettant à l’analyse clinique les fonctionnements sociaux et les pratiques politiques.

Accepter l’invitation de la commission Bensalah-Touati-Boughazi comportait le risque réel d’être instrumentalisé dans une manœuvre politicienne. Même ses plus proches amis politiques s’inquiétaient de voir sa participation récupérée parce qu’ils la considèrent comme un dérivatif au changement réel créé par le régime dans un contexte particulier. L’appréhension, au vu de l’expérience des «dialogues» initiés par le régime, ne relève pas de la pure paranoïa.

A l’évidence, Abdelhamid Mehri a estimé qu’il s’agissait d’un risque à prendre car l’homme croit en la vertu de la pédagogie politique. L’exercice n’était pas simple mais le résultat est remarquable. En allant rendre visite aux membres de la commission Bensalah, l’ancien ministre de l’Information du GPRA n’a pas donné la moindre légitimité à cet organe et a clairement évité de se laisser embarquer dans une manœuvre de diversion. Son message, d’une clarté de clinicien, ruine, avec une courtoisie toujours exemplaire, la mission même de cette commission.

Il a expliqué que les changements dans les textes de loi et dans la Constitution ne peuvent constituer une réponse à la crise que traverse le pays. Car, et c’est sa première mise au point, le pays est toujours en crise. La dépolitisation de la société n’est pas un gage de stabilité. Bien au contraire, la dépolitisation crée un terrain favorable aux dérives démagogiques. Et avec un Occident belliciste et prédateur qui a choisi l’ingérence au nom du soutien aux aspirations des peuples à la liberté, cette crise se double d’une menace d’intrusion brutale.

La commission BTB est un quasi-non-événement depuis qu’elle a commencé son travail. Il y a eu, bien entendu, des idées qui ont été exprimées, certaines assez voisines de celles de M. Mehri. Mais, il faut bien l’admettre, sans atteindre la clarté de vue et la précision méthodologique du discours de l’ancien secrétaire général du FLN.

Mehri vient, si bien entendu les vannes des médias publics conjoncturellement ouvertes ne se referment pas, de recentrer le débat sur l’essentiel. Le personnel politique officiel – médiatique également – a pendant longtemps considéré comme allant de soi d’entériner la dualité entre les lois qui régissent le fonctionnement de l’Etat et les pratiques réelles. Un fonctionnement où mêmes les présidents de la République – dotés constitutionnellement de pratiquement tous les pouvoirs – en arrivent parfois à exprimer publiquement le sentiment qu’ils ont les mains liées ou qu’ils n’ont pas de prise sur les événements.

Le débat politique risque de tourner en rond si l’on continue de tenir pour acquis que le pouvoir puisse demeurer, même partiellement, dans l’ombre et échapper ainsi à la responsabilité et à la reddition des comptes. Les idées de M. Mehri sont connues et il les a toujours défendues, malgré les attaques qui ont atteint, à certaines périodes, des niveaux délirants.

Ce que l’on retiendra dans cette rencontre avec la commission, c’est surtout une invitation à la rigueur. Car reconstruire la «maison commune» ne peut se faire par la ruse ou les manœuvres dilatoires. Seule une approche cohérente, rigoureuse et intégratrice peut garantir le succès de ce périlleux défi.