Franchises universitaires et libertés académiques – Comme fondements des libertés démocratiques

Franchises universitaires et libertés académiques Comme fondements des libertés démocratiques

La question des atteintes aux libertés académiques qui défraye la chronique depuis la publication par le MESRS de la circulaire du 18 mai 2010 n’est pas un fait nouveau en Algérie ; elle n’est pas non plus propre à notre seul pays. Un auteur (1) vient de publier un long article sur le débat qui agite les universités et la recherche scientifique en France depuis la promulgation de la loi Savary et celle dite LRU. Dans ce débat, il apparaît avec évidence que sans garanties institutionnelles portant sur l’autonomie des universités, la liberté académique serait menacée. Aux USA également, des auteurs se sont penchés sur le rapport particulier entre l’extrémisme politique, le pouvoir des corporations, et l’université (2). En substance, ces auteurs considèrent que « le point de départ pour comprendre la justification de la liberté académique est la nature spéciale d’une Université, une institution singulière » (3). Il faut comprendre par là qu’une Université n’est pas et ne peut pas être un appareil d’Etat au sens strict du terme au même titre qu’un ministère de l’Intérieur par exemple, ni l’organe d’expression d’un parti quel qu’il soit. Pour eux, la liberté académique est la structure fondamentale de l’Université qui permet aux universitaires d’exercer correctement leur métier, non pour leur bien être particulier mais pour le bien commun.

Tout le problème de l’autonomie de l’Université, de l’enseignement et de la recherche scientifique est ainsi posé.

En effet, pour Olivier Beaud, la liberté académique n’est pas un privilège inventé par les universitaires pour jouir d’une situation exorbitante du droit commun. Elle est un moyen qui permet à l’Université de réaliser ses propres fins en disposant d’un corps professoral jouissant de la liberté nécessaire pour accomplir correctement son travail. Elle doit donc servir l’ensemble de la communauté universitaire et par là-même l’ensemble de la société (4).

Dans une Algérie qui n’a pas encore atteint le stade de la séparation des pouvoirs dans un Etat qui a du mal à se poser comme tiers-arbitre, c’est-à-dire comme régulateur central logique représentant l’ensemble des intérêts de la nation et non un intérêt particulier parmi d’autres. Dans une Algérie où l’Etat s’accapare du bien public et le transforme en propriété privée patrimonialisée. Dans cette Algérie-là, il est d’une nécessité vitale pour la nation non pas de favoriser l’existence d’un contre-pouvoir mais de défendre l’Université comme Institution autonome. Dans des pays où la démocratie a été instituée au cours de longues luttes sociales et politiques, la loi établit que « les universités […] ont pour mission fondamentale l’élaboration et la transmission de la connaissance, le développement de la recherche et la formation des hommes » ; elles ne sont pas là pour servir au pouvoir exécutif et à ses différents potentats.
Il est bon de rappeler comme le fait Karl Jaspers, que « la tâche de l’Université est de permettre la recherche de la vérité à la communauté des chercheurs et des étudiants (s) ». Et tous les commentateurs de s’accorder que « la recherche gratuite de la vérité, en tant que finalité, s’appuie sur le moyen d’une institution qui est justement l’Université. La raison d’être de celle-ci est « l’accroissement de la somme du savoir humain » ou encore « la création d’un nouveau savoir ». Ce lien entre le savoir et l’Université est précisément le propre de l’Université moderne. Nous pourrions ajouter d’une université et d’une société libres.

C’est pour ces raisons qu’il faut chercher à construire l’Université pour qu’elle continue à produire du savoir et un savoir qui se renouvelle constamment pour le bien de la nation et non pour celui d’un gouvernement, d’un parti ou d’une alliance de partis. Pour cela Olivier Beaud rappelle qu’il faut que « les producteurs de ce savoir jouissent d’une grande liberté pour se consacrer exclusivement à ce travail difficile de création d’un nouveau savoir, et qu’ils enseignent librement à des individus libres, les étudiants. Dès lors, l’enseignement universitaire n’a pas seulement pour but de délivrer des diplômes ayant une valeur marchande sur le marché du travail, mais aussi celui de former des esprits disposant d’« indépendance d’esprit », des hommes qui ne reçoivent pas passivement des connaissances, mais qui contribueront ensuite à améliorer le savoir en le remettant en cause ».

Nous pensons avec l’auteur de ces passages que notre rôle est de former des femmes et des hommes libres dotés d’un savoir à même de les aider à s’émanciper et émanciper leur société de toutes les formes d’assujettissement.

Daho Djerbal
Maître de conférences en Histoire contemporaine
Université d’Alger-Bouzaréah

Notes

1- Olivier Beaud, Les libertés universitaires I & II, Commentaire, N° 129-130 2010

2- Robert O’Neil, Academic Freedom in the wired World, Political Extremism, Corporate Power, and the Universities, Cambridge, Mass., Harvard university Press, 2008.

3- Id.

4- Olivier Beaud, op.cit.