L’Algérie et sa journée internationale contre la torture 

L’Algérie et sa journée internationale contre la torture 

Des victimes partout, des coupables nulle part !

Zineb Azouz, 1er juillet 2013

Ce 26 Juin 2013, à l’initiative de la CNFD (coordination nationale des familles de disparus), s’est tenue au siège du FFS une journée d’étude et de réflexion autour de la torture et des disparitions forcées.

Comme on pouvait s’y attendre, ce genre de thèmes proscris, banni et qu’on ne sort que pour parler de la torture sous Bigeard, n’avait aucune chance d’être accueilli par nos « prestigieuses »  et non moins gigantesques facultés de droit, il n’était pas non plus question qu’un autre parti, association ou cercle accepte d’offrir l’hospitalité à ces familles et encore moins à toutes les victimes de la sale guerre, des victimes à qui on fait d’abord porter l’étiquette d’islamiste pour dissoudre et absoudre, pour noyer et noyauter, pour charger les victimes et décharger les consciences.

C’est donc encore fois dans des espaces fermés et inaccessibles au grand public que s’est tenue cette modeste journée, loin de tout et de tous, les victimes se sont, comme à l’accoutumée retrouvées esseulées, chacune face à son drame et son inénarrable douleur.
Je ne tiens pas à garder le lecteur otage des émotions mais il faudra bien parler de ces témoignages, de ces séquelles,  de cette mère venue avec les cahiers et dessins de son fils, alors âgé de 17 ans et élève aux beaux arts quand il a été arrêté au domicile familial pour ne jamais revenir.

Fallait-il à huis clos, se contenter des récits de l’horreur sans apporter ni lecture politique, ni décryptage historique ni projection sur l’avenir, ni stratégie face à ces pages noires de l’Algérie ?

Victimes du 05 Octobre : Ces disparus de l’histoire !

Pouvions-nous parler torture sans citer toutes les victimes depuis 1958 ? Le sujet aurait largement dépassé ce que les gens sont venus entendre, pourtant il nous est apparu trop maladroit d’éviter le 05 Octobre dont les victimes sont elles aussi portées disparues ?

Fallait-il ou non rappeler la lâcheté de ceux qui aujourd’hui, se targuent d’être des défenseurs de valeurs et qui jamais, au grand jamais, ni lors d’un congrès, ni lors d’un simple discours, n’ont évoqué ne serait-ce qu’une fois les victimes du 5 Octobre, comment en serait-il autrement quand on sait que parler  victime revient inéluctablement à parler coupable, et c’est trop demander à la fois, car il y a ce qu’on ne sait pas et il y a ce qu’on n’est pas prêts à savoir.

C’est presque même inquisiteur de questionner à ce sujet ceux qui ont négocié des strapontins aux pieds des chars de même que ceux qui avaient vendu la peau de l’ours avant de l’avoir « tué ».

Tous ceux, qui dans les années 90 sont entrés dans les stratégies électoralistes et les querelles de clergés au détriment des victimes du 5 Octobre-des victimes  qui n’attendaient pas plus que vérité et justice-portent la responsabilité de leur banqueroute politique d’abord et ne pourront jamais se dérober de leur devoir face à tous les carnages, massacres, disparitions et tortures à échelle industrielle que nous avons connus et risquons encore de croiser.

La responsabilité morale et politique de tous est engagée car aujourd’hui encore on veut nous faire croire qu’il est possible de bâtir une nation sans mémoire, sans justice, sans vérité et face aux centres de détention et autres territoires hors-juridiction (1).

Alors qu’après le 05 Octobre 1988  le tabou de la torture avait été enfin brisé (2) et que les langues s’étaient  déliées, que les témoignages étaient rapportés par toute la presse, que les collectifs d’étudiants de l’université de l’USTHB par exemple recevaient les suppliciés survivants de l’enfer (3), (Qui l’eût cru!) que toute la société semblait enfin avancer par la  thématique des droits de l’homme et pour le thème de la dignité des hommes et des femmes, que les intellectuels osaient citer les lieux exacts où les jeunes manifestants avaient été violés et torturés, que les forces de gauche semblaient résolument du côté des victimes et non des logiques sécuritaires, que des journalistes donnaient même des noms de walis et de hauts responsables qui s’étaient faits offrir des spectacles de tortures (souvenons-nous, y compris des jeunes de 13 ans avaient été martyrisés ), alors que nous étions un tant soit peu sur la bonne voie, les voix électoralistes, les tractations  et les agréments de partis politiques allaient définitivement entériner pour ne pas dire enterrer ce qui est devenu le dossier des événements du 5 Octobre, et avec, sans nul doute, notre dernière chance d’affronter, et ensemble, les bourreaux, les thèses vaseuses, les lectures claniques et élitistes et l’amnésie sélective et oh ! Combien dévastatrice.

25 ans après, et avec des centaines de fois plus de victimes, où en sommes nous ?

S’empresser de donner un label aux victimes pour éviter de parler des coupables

La leçon du 5 octobre étant retenue, il ne fallait surtout pas cette fois-ci avoir des victimes sans étiquettes, et quelle meilleure étiquette que celle du terroriste pour cibler tout ce qui gêne et punir tous ceux qui ont osé défier les apparatchiks et l’existence même d’un système.

Pour ne pas exempter les crimes des groupes armés qui ont, eux aussi tué et torturé, il est impératif de rappeler que dans une logique de division et de récupération, les familles des victimes dont beaucoup recherchent la vérité à ce jour, ont été embrigadées et sous prétexte d’un statut et d’indemnisations, sommées de se taire.
La vérité étant notre seule garantie, tant que les victimes seront divisées, les bourreaux, eux, seront unis !

La messe est ainsi dite et le mûr qui sépare les victimes et par là même le pays est bien debout, car pour ne plus laisser les élans droits-de-l’hommistes de la société Algériennes s’exprimer librement il ne fallait surtout  pas commettre les mêmes erreurs du 5 Octobre 1988 où les victimes restaient avant tout des Algériens issus des quartiers moyens et pauvres, des intellectuels, des syndicalistes, brefs des citoyens qui forment le tissu de la contestation et de la mauvaise conscience du pouvoir.

Les « sauveurs de la république » allaient frapper fort, s’appuyer sur la terreur, la haine, la manipulation mais surtout sur les théoriciens de l’éradication, ces déracinés, ces plumitifs, ces humiliés des urnes et ces cabots qui sont allés jusqu’à faire la sale besogne eux-mêmes.

Depuis l’arrêt du processus électoral le pouvoir qui a appris la leçon a réussi à envelopper  toutes ses victimes d’abord et avant tout d’écriteaux dont le seul but est d’imposer SA dichotomique, on parle ainsi de victimes du terrorisme et donc forcément en « face » de victimes de la lutte contre le terrorisme ! Ce qui traduit clairement l’idéologie du prédateur qui a tout quadrillé, scellé et taillé. La société Algérienne qui subissait une véritable guerre ne devait survivre que si elle acceptait, telle une captive, l’idéologie des plus forts pour laquelle les seuls concepts et outils d’analyse admis sont ceux du terroriste et par extension, famille du terroriste et bien sûr du patriote au sens large et figuré et de la famille de patriote ; le citoyen Algérien au sens juridique, moral,  historique, social et rationnel fût « éradiqué ».

Frapper les subconscients et frelater les consciences

Il y a plusieurs façons de manipuler la carotte et le bâton, et dans le cas de la torture (4), il faut bien comprendre qu’autant il est salutaire pour le pouvoir de ne jamais permettre une existence officielle au débat, aux victimes, aux procès, autant il est utile et rentable en même temps de frapper les esprits en s’arrangeant pour qu’au fond et paradoxalement, tout le monde sache et en détail, les atrocités « qu’il vaut mieux éviter » ; terrifier et frapper fort toutes les souches de la population, sans exception, est une stratégie qui a porté ses fruits et la thérapie vaccinale de l’amnésie collective a réussi à effacer, en apparence, toute trace, je dis bien trace seulement, du mot torture.

Nos comités d’étudiants accueillent maintenant des kermès et des défilés de mode, nos intellectuels hésitant, ont peur de fâcher les maîtres, de gâcher une carrière, de perdre un strapontin à l’APN, d’être taxés d’islamistes ou de laïque au service des ONG, nos jeunes en majorité n’ont jamais lu le moindre document officiel sur la torture, ne savent rien la loi du Wiaam et bien sûr ignorent tout de ces fameux livres noirs qui répertorient les témoignages et les lieux.

Les courants politiques en Algérie ayant, dans leur écrasante majorité, rejoint les logiques défaitistes de la mangeoire, quand ils n’ont pas choisi comme couloir d’opposition celui de l’islamisme mondialiste des Ikhwan et son à-plat-ventrisme face aux canevas de l’impérialisme, quelles avenir pour les droits de l’homme ? Quelles réponses pour les victimes et pour leurs familles ?

Les peuples qui aspirent à la dignité vont-ils encore se laisser entraîner dans des logiques politiciennes de pseudo printemps arabe, un drôle de printemps où les lynchages et viols publics de dictateurs sont présentés comme une victoire des peuples, où les luttes confessionnelles nous sont présentées comme des guerres saintes, où les populations se font égorger et lapider par des dits Thouwars censés lutter contre des dictateurs, où des monarchies à moitié bases US, sans constitution, se retrouvent guides des révolutions ?

‘allons-nous pas refaire les mêmes impardonnables bêtises en nous laissant aiguiller par ceux qui ne veulent des citoyens que leurs voix ? Ceux qui ne sont là que pour aveugler les peuples, donner des sursis aux dictateurs et renforcer les impérialismes ?

Allons-nous encore sacrifier nos victimes et donner une seconde vie aux bourreaux en s’accommodant de ceux qui n’hésiteront pas à jeter à la poubelle les revendications des victimes si cela pouvait entraver leur retour sur la scène ?

Allons-nous laisser les voix de la fausse vendetta ou celles de la normalisation supplanter celles de la recherche de la vérité, des archives et des témoignages, faut-il se souvenir à quel point la vérité a toujours fait peur ?

Est-il permis aujourd’hui de continuer de se détourner de la vérité, d’accabler et de charger toute investigation, de laisser les familles affronter seules une justice ligotée, une société lobotomisée et traumatisée, en espérant que l’usure et le temps auront raison de la raison et de la dignité humaine ?

Quel changement pouvons-nous espérer alors que nous sommes incapables de mobiliser la société sur des questions aussi cruciales que celles de la torture ? Nos manifestants et nos chômeurs se font sauvagement tabasser dans la rue, nos étudiants, nos médecins, nos ouvriers limogés sont criminalisés et battus sans que personne ne s’émeuve outre mesure et seule la santé du président semble gêner.

Les victimes ne veulent rien d’autre à part la vérité, contrairement aux frustrés et planqués du pouvoir, elles ne véhiculent et ne véhiculeront jamais aucune haine. Le chemin est long mais sûr.

Zineb Azouz, Constantine, le 1 Juillet 2013.

Notes

1. Exactement ce que les moines de la démocratie et de l’axe du bien font à Guantanamo.

2. http://www.dailymotion.com/video/x7ajci_algerie-5-octobre-1988-3-cahier-noi_news#.UdChXDvryHc

3. CAHIER NOIR D’OCTOBRE http://anouarbenmalek.free.fr/octobre88/Octobre1988.htm

4. .Je ne puis m’empêcher de vous parler de cet homme assis à côté de moi, arrêté le jour de sa nuit de noces, il dit que même les enfants qui habitaient dans la caserne où il fût amené ont participé à la « folie », même les femmes lançaient des youyou, mais le pire est venu par la suite, quand ce « GLD » devenu plus tard sénateur l’avait pris en charge ; viol, électricité, coups..Jamais plus il ne retrouva l’usage de ses jambes, ses avants pieds et ses chevilles portent toujours des séquelles horribles à voir. Il croise toujours ses bourreaux et aujourd’hui il a le statut « handicapé ».