Liberté de la presse et état de la corporation

Liberté de la presse et état de la corporation

Des journalistes dénoncent une «situation catastrophique»

El Watan, 2 mai 2013

L’Algérie célèbre, à l’instar de tous les pays du monde, la Journée mondiale de la liberté de la presse. Des journalistes algériens évoquent la situation actuelle des médias nationaux.

Les médias en Algérie ne jouissent pas de toute la liberté requise. Le pouvoir invente tant de subterfuges pour empêcher les professionnels du secteur à s’émanciper», estime Faten Hayed, journaliste à El Watan Week-end, qui ne considère pas «la presse comme le 4e pouvoir pour la simple raison que les médias ne s’impliquent pas assez dans les affaires publiques». Mlle Hayed pense que «la liberté d’action des journalistes algériens est limitée par les rédactions. De ce fait, les journalistes se contentent de faire un travail de bureau, en retravaillant les dépêches et le peu d’informations qui arrivent par fax ou par téléphone». «Le terrain est pourtant la base de tout journaliste. D’abord pour sa crédibilité, puis pour celle de son média», rappelle-t-elle. Dans le même sillage, la journaliste déplore «le manque d’engagement des patrons de presse et des rédacteurs».

Elle juge que «se résigner en donnant des informations fabriquées par des agences, aussi crédibles soient-elles, remet en cause le travail du journaliste». Faten Hayed regrette qu’«aujourd’hui, les journalistes ne se battent ni pour leurs droits ni pour leurs idées. C’est aussi affligeant de voir que la corporation ne peut protéger concrètement le journaliste. On devrait revoir l’essence même des lois pour l’information, remanier le syndicat qui est censé nous représenter et surtout arracher la liberté de penser et d’agir des journalistes». Selon elle, «le public se désintéresse de la presse traditionnelle, car il n’existe plus de proximité réelle entre les deux. Les médias sur internet et les réseaux sociaux prennent le relais». De son côté, Karim Aimeur, journaliste à l’Expression, affirme que «la presse algérienne traverse des moments très difficiles depuis notamment la division de la corporation en deux collèges».
Il explique que «depuis que les salaires de la presse publique ont augmenté et que des rappels conséquents ont été versés, il y a comme un sentiment d’injustice chez les journalistes de la presse privée. Cela les met devant trois choix : soit quitter la presse privée pour la presse publique et sacrifier le peu de liberté dont ils disposent, soit quitter la corporation, ou tout simplement rester dans la presse privée pour profiter du peu de liberté».

Quant au travail des journalistes, Karim Aimeur estime qu’«il se dégrade de plus en plus sur le plan de la qualité, ce qui s’est accentué avec la multiplication de titres dont le contenu est médiocre». «Il y a plus de journaux que de journalistes. Certains de ces journaux fonctionnent avec 5 journalistes. Il faut mettre des règles pour dépasser cette clochardisation. Moi-même, j’ai été victime de ces patrons qui n’ont rien à voir avec la corporation. J’ai travaillé dans un journal appartenant à un membre du bureau politique du FLN ; je l’ai quitté il y a plus de deux ans et jusqu’à aujourd’hui, il refuse de me donner mon certificat de travail et mes fiches de paie», explique-t-il.

Sur un autre point, Karim Aimeur indique que «la peur de la communication des institutions et des organismes publics est un autre problème». «Les sources parlent souvent sous l’anonymat, ce qui décrédibilise l’information», juge-t-il. Tarik Hafid, du Soir d’Algérie, observe pour sa part que «le journalisme en Algérie en 2013 reste un métier aussi passionnant que difficile». «Aujourd’hui, les rédactions sont devenues le réceptacle de tous les maux de la société. Dans l’impossibilité de régler leurs problèmes via l’administration ou la justice, les Algériens se tournent vers la presse en espérant trouver des solutions à travers la médiatisation. Les multiples affaires de corruption dévoilées par les journaux sont là pour confirmer ce phénomène», dit-il. «Mais les journalistes sont-ils armés pour mener à bien ce travail ? A mon avis non. Il suffit de lire le code de l’information pour comprendre que l’accès aux sources d’information est loin d’être garanti. Et les journalistes ne bénéficient d’aucune protection», regrette Tarik Hafid.
Mehdi Bsikri


Débat autour de la liberté de la presse à l’APN

Volonté de mainmise sur les médias

Des journalistes, des éditeurs, des parlementaires et des professeurs en communication ont été conviés à animer, mardi dernier, «La tribune libre de l’Assemblée».

L’Assemblée populaire nationale (APN) a organisé, mardi dernier, «La tribune libre de l’Assemblée». Son premier numéro a été consacré à la liberté de la presse. Des journalistes, des éditeurs, des parlementaires et des professeurs en communication ont été conviés à animer cet espace. Certains élus ont saisi cette opportunité pour tenter de faire le procès de la presse, l’accusant presque d’être «antinationaliste». Des députés ont reproché à certains journaux, sans citer de noms, de vouloir sciemment ternir l’image de l’Algérie. «Certains journaux sont très négatifs. De la première page à la dernière, ils ne broient que du noir», déclare un député FLN. Une élue pense que la presse n’a pas le droit de traiter de l’état de santé du Président et encore moins d’évoquer, en ce moment précis, l’article 88 de la Constitution qui parle de la destitution du Président s’il est dans l’incapacité de gérer les affaires du pays.

Laïd Zoghlami, enseignant, regrette quant à lui, l’absence d’un organisme qui évalue le rendement de la presse algérienne : «Pourquoi est-ce Freedom House ou Reporters sans frontières qui dressent des rapports sur la situation des médias dans notre pays ? Pourquoi ne mettons-nous pas en place des mécanismes appropriés pour faire une évaluation et une critique systématiques de nos médias ? A mon avis nous sommes victimes de l’évaluation des autres.» Laïd Zoghlami est convaincu que sur les 130 journaux existants à l’échelle nationale, seuls cinq ou six ont un contenu sérieux et palpable. Un autre député s’est permis de dire qu’il n’existait pas de presse «indépendante» puisque, de son avis, les médias, sans exception, obéissent à un seul critère : l’argent. Ces remarques ont irrité les journalistes, à leur tête Mme Hadda Hazem, directrice générale du quotidien El Fadjr.

Mme Hazem a commencé par reprocher à la corporation, et plus particulièrement aux éditeurs, leur inertie. «Les éditeurs ne se concertent pas, il en est de même pour les journalistes ; chacun s’occupe de sa propre boîte et c’est dommage», a-t-elle déploré, estimant que le pouvoir a joué, entre autres, la carte de la désunion de la corporation pour tenter de casser certains journaux qui sont, il faut le dire, des faiseurs d’opinion, des nationalistes de premier rang et de surcroît un quatrième pouvoir. Se lançant dans une diatribe contre certains cercles du pouvoir, Mme Hazem a osé dire tout en haut ce que certaines personnes, parmi l’assistance, pensaient tout bas.


La presse de Saïd Bouteflika

Elle a affirmé qu’aujourd’hui, les journaux ne sont pas critiqués sur la base de leur ligne éditoriale, mais plutôt sur un phénomène nouveau : «Qui est derrière le journal ?» «On me demande souvent quel est le général qui est derrière El Fadjr. Certaines personnes veulent savoir qui est derrière El Watan, un journal de référence, qui mérite d’être classé parmi les 50 meilleurs journaux du monde. Mieux encore, on ne juge pas les journaux selon leur contenu, mais selon leurs pages de publicité», a lancé l’intervenante. Revenant sur le panorama médiatique algérien qui compte près de 130 titres, Mme Hazem s’est révoltée contre cette situation. Pour elle, les pouvoirs publics ont fait exprès d’inonder le marché de «petits» journaux qui ne répondent à aucun critère ni fondement dans le but de casser les journaux qui dérangent et sont critiques à l’égard des décideurs : «J’ai eu un problème avec l’imprimerie.

Je me suis plainte auprès des concernés, en vain. Il m’a alors été suggéré d’aller voir Saïd Bouteflika, car il est le maître de la situation. On m’a dit que c’était lui qui donnait les agréments et que c’était lui qui les retirait… De quel droit Saïd Bouteflika se mêle-t-il de la presse ? La presse n’a-t-elle pas ses règles ? Pourquoi me somme-t-on de payer mes dettes alors que les journaux créés par Saïd Bouteflika et qui croulent sous des dettes faramineuses ne sont pas inquiétés ? Veut-on me museler parce que je ne ménage pas les autorités ?» Et d’ajouter : «Je connais des parlementaires qui, avec la bénédiction de Saïd Bouteflika, ont créé des journaux dont le contenu laisse à désirer. Le comble est que ces quotidiens bénéficient de pages de publicité. Ce n’est pas normal !» La directrice du quotidien El Fadjr invite, dans ce sens, les parlementaires à jouer leur rôle en enquêtant sur le marché de la publicité et en revendiquant une loi sur la publicité.

Pour Mme Hazem, les journalistes ont le droit d’informer en toute objectivité l’opinion publique sur toutes les questions qui se posent sur la scène nationale et internationale. Dans leurs interventions, les journalistes ont mis l’accent sur le problème de l’accès à l’information. Pour le président de l’APN, Larbi Ould Khelifa, la presse doit consacrer son pouvoir à la défense et à la protection du pays contre tout danger extérieur susceptible d’affecter la stabilité de la nation en sensibilisant, en toute objectivité, l’opinion publique.
Nabila Amir


Marché de la publicité

La régulation toujours absente

En dépit des nombreux appels des professionnels du secteur de l’information et de la communication pour la mise en place d’un meilleur cadre régissant l’activité publicitaire, le marché de la publicité, en Algérie, n’a toujours pas de réglementation adaptée pour réguler cette profession.

Les quelques textes existants, aujourd’hui, sont jugés obsolètes, du fait qu’ils n’ont pas suivi l’évolution d’un secteur en constante mutation, ouvrant ainsi la voie à toutes sortes de dépassements. La mise en place d’une autorité de régulation, encadrée par des textes appropriés, serait le seul moyen à même de contrôler, d’organiser, de réguler et d’instaurer une transparence sur un marché des plus lucratifs. En effet, à en croire certaines études qui se sont intéressées au secteur, le marché de la publicité n’a pas manqué, ces dernières années, de générer des chiffres d’affaires colossaux de plusieurs milliards de dinars.

D’où la mainmise du pouvoir politique sur un secteur qui est devenu un outil de pression et de contrôle sur les médias. L’autre inquiétude, qu’expriment aujourd’hui les professionnels du secteur, mais aussi les pouvoirs publics, concerne le risque de voir l’activité publicitaire en Algérie monopolisée par des entreprises à capitaux étrangers, dont le nombre devient de plus en plus important. Leur influence sur le marché publicitaire ne se limiterait pas à la pub provenant des entreprises privées algériennes, mais aussi de certains groupes publics, ainsi que la plupart des grands groupes étrangers implantés en Algérie. C’est la raison pour laquelle la promulgation d’une loi régissant ce secteur devient une nécessité urgente.

L’encadrement juridique de ce marché permettra d’assurer son fonctionnement de manière efficace, de sortir du statu quo et de remédier à la situation. Il convient de rappeler que la dernière étude, élaborée par Sigma sur l’investissement publicitaire global en Algérie par les médias, en 2008, montre que la télévision algérienne s’est taillé la part du lion avec une proportion de 39% de l’ensemble de la cagnotte estimée à 12,9 milliards de dinars. Vient ensuite la presse écrite avec un pourcentage de l’ordre de 35,1%, l’affichage (16,1%) et la radio (9,8%).
L. M.


Publicité institutionnelle et tirage à crédit

Une presse «parapublique» en mal d’autonomie

Le paysage médiatique national regorge d’entreprises de presse qui vivent, ou plutôt vivotent, grâce aux seules faveurs du soutien direct ou indirect que les pouvoirs publics daignent leur consentir.

Tirage à crédit auprès des imprimeries étatiques, quotas garantis par l’ANEP sur la publicité des institutions et des entreprises publiques et autres formes d’aides indirectes leur permettent ainsi de subsister. Le hic est que ces journaux monnayent pour ainsi dire leur survie financière contre une forme d’allégeance tacite aux décideurs en place. Des entreprises de presse qui émargent en somme aux côtés de celles proprement publiques et que d’aucuns qualifient souvent de «presse parapublique». Fortement dépendantes du soutien du pouvoir, elles ne parviennent guère à embrasser les règles de la commercialité pour accéder à une certaine autonomie et évoluer dans un environnement de concurrence saine.

Et à ce sujet, les responsables du secteur nourrissent souvent le flou, en attendant l’avènement d’une autorité de régulation ou encore d’une loi sur la publicité ou autres dispositifs réglementaires à même d’instaurer un certain ordre dans le paysage médiatique national. Dans cet ordre d’idées, le ministre de la Communication, Mohamed Saïd, sans aller au fond des choses, avait, dans une récente déclaration, esquissé un certain diagnostic, rendant surtout compte de dérèglements avérés dans le secteur de la presse. S’alarmant du taux d’invendus des journaux algériens qui dépasse de loin les seuils admissibles en la matière, le ministre a évoqué en ce sens la prédominance de trois à quatre titres de presse seulement qui accapareraient, selon lui, 50% des tirages quotidiens, soit 1,5 million d’exemplaires par jour, le reste étant réparti entre les nombreux autres titres (plus d’une centaine).

Ce gap de tirage et d’invendus, dont le premier responsable du secteur ne précise pas l’origine, fait sans doute penser à la forêt de titres qui continuent à survivre tant bien que mal grâce au seul soutien des pouvoirs publics. Dans son discours, le même ministre é révélé d’ailleurs que la presse publique ne capte actuellement que moins de 50% de la manne publicitaire étatique distribuée via l’ANEP, le reste, soit plus de la moitié, bénéficiant donc à une certaine presse privée. «Les nouveaux journaux seront aidés dans un premier temps pour leur permettre de se placer sur le marché, mais au bout d’un certain temps, s’ils n’arrivent pas à grandir, ils n’auront pas de publicité», avait soutenu en définitive le ministre de la Communication.

Cette affirmation laisse ainsi entendre que l’Etat offre de fait un fort soutien à de nombreux titres ne relevant pas du secteur public et qu’il est appelé désormais à mieux rationaliser ce soutien, car découlant en fait de la gestion même de l’argent public. Quoi qu’il en soit, entre les dettes sans cesse accumulées sur le dos des imprimeries publiques et les quotas de publicité institutionnelle régie par l’ANEP, de nombreuses entreprises de presse ne relevant pas officiellement du secteur public continuent paradoxalement à survivre essentiellement des aides publiques. Ceci au moment où la politique actuelle des subventions étatiques dans sa globalité nécessite d’être réorientée et reconsidérée en vue d’en garantir une répartition équitable et rationnelle.
Akli Rezouali