Rachat d’El Khabar: Le juge ordonne le gel de la transaction

Rachat d’El Khabar: Le juge ordonne le gel de la transaction

par M. Aziza, Le Quotidien d’Oran, 16 juin 2016

Le tribunal administratif de Bir Mourad Raïs a ordonné, hier, le gel des effets inhérents de la transaction, conclue entre le groupe media El Khabar et Ness-Prod, filiale du groupe Cevital.

C’est une décision provisoire qui empêche actuellement, tout transfert de propriété, en attendant, selon les avocats de la défense, l’affaire « décisive », l’affaire dans le fond, prévue avant la clôture des vacances judiciaires. Le président du tribunal, Mohamed Dahmane, avait demandé aux deux parties de présenter leurs conclusions, avant l’audience du 22 juin prochain. Et ce, pour pouvoir trancher définitivement, dans cette affaire, avant la fin de l’année 2016. «Avec le risque, vu la décision du gel, que le contrat soit carrément annulé », souligne avec scepticisme Me Sadat Fetta, avocate de la défense du groupe El Khabar. Pour Sadat Fetta ce gel, sur le plan de droit, « est regrettable », par le fait que la requête était irrecevable, dans la forme. Elle affirme que la requête était irrégulière. Une requête qui était introduite au nom du ministère de la Communication. Et de souligner d’un autre côté qu’il s’agit d’une affaire purement commerciale où le juge administratif n’a pas le droit d’intervenir dans un rapport de droit privé entre deux particuliers.

Pour l’avocate, le collectif des avocats d’El Khabar va faire appel, mais elle affirme « que l’appel n’est pas suspensif » car il s’agit d’une décision de référé qui est exécutoire d’office, même en cas d’appel. Elle regrette que « l’affaire était enrôlée le 26 avril, nous sommes le 15 juin, ça va faire pratiquement 2 mois, c’est une première en matière d’action en référé qui est censée être jugée dans les 48 heures, avec une notion d’urgence». Ce délai élastique a permis au ministère de la Communication, selon notre interlocutrice, de rectifier les erreurs des procédures commises. Et cela lui a permis, en outre, de changer la demande, en faisant rappeler qu’au début, ils ont demandé l’annulation de la transaction et par la suite ils ont revu la demande, en réclamant le gel des effets inhérents de la transaction. Et cela a permis, selon Me Sadat de mettre en cause les parties concernées par la transaction, ce qui n’était pas le cas auparavant « car il était question, seulement, d’un procès contre le président du conseil d’administration la SPA El Khabar». « C’est du jamais vu, selon Sadat, trois modifications apportées pour une action en référé ce qui est illogique, vu son caractère d’urgence !» Maître Sadat a fait état, par ailleurs, de la difficulté de mettre en application ce jugement. Et de s’interroger : « est-ce qu’il est possible que ce jugement soit effectif ? » étant donné que les parties ont vendu leur part et il y a une partie qui a acheté. La question demeure entière. Est-ce qu’il y aura un remboursement d’une des parties ? Il y a, selon les avocats, beaucoup de considérations qui entrent en ligne de compte dans l’application de ce jugement, qui sur le terrain s’avère «complexe » Autrement dit, quels seront les mécanismes qui seront adoptés pour remettre les parties à leur état initial ?

Me Bitam Nadjib, avocat du ministère de la Communication, semble détenir la recette. Il a affirmé que la balle, aujourd’hui, est entre les mains du groupe El Khabar. Selon lui, ils ont la possibilité de convoquer une assemblée à titre extraordinaire, pour revenir aux représentants initiaux du conseil d’administration ou bien installer un conseil d’administration de transition. Car explique-t-il, et conformément à ce jugement, le conseil d’administration, issu de cet acte, une fois saisi par un huissier de justice, ne pourra plus exercer ses prérogatives définies par l’assemblée générale. Il a affirmé également, que ce jugement empêchera le patron du groupe Cevital d’introduire le groupe El Khabar, à la bourse d’Alger. En attendant « l’action décisive » où le conseil de l’Etat tranchera, définitivement, dans cette affaire, avant les vacances judiciaires. Me Nadjib Bitam a affirmé, en réponse aux questions des journalistes, que ce jugement n’à rien à voir avec la possibilité de dissoudre le journal El Khabar. Il a tout de même affirmé que chaque actionnaire doit assumer ses responsabilités. Et de préciser que celui qui a vendu les actions est dans une position « juridiquement à l’aise, mais celui qui a acheté peut se retrouver dans une situation délicate».

Le directeur du journal El khabar, Cherif Arezki, s’est interrogé, pour sa part, sur la possibilité et les modalités de l’application de cette décision « du moment que la transaction a été faite dans les règles de l’art, avec un respect total de la procédure, et dans la transparence » dit-il. Et d’ajouter que « les actionnaires du groupe El Khabar vont faire appel, en attendant le jugement de fond, pour voir plus clair, dans 15 jours devant le conseil de l’Etat». «C’est la nature du système, on veut faire taire toutes les voix discordantes, cela se fait depuis des années, et cela fait des années qu’on assiste à ce genre de situation», conclut-il.


El Khabar : Un gel et des questions

El Watan, 16 juin 2016

Le tribunal administratif de Bir Mourad Raïs (Alger) a décidé de geler, hier, les effets de l’acte dans l’affaire du rachat des actions du groupe El Khabar par NessProd, filiale du groupe Cevital.

Le président du tribunal, Mohamed Dahmani, a jugé recevable la plainte du ministère de la Communication et a ordonné le gel de la transaction de cession des actifs du groupe arabophone. Membre du collectif de défense d’El Khabar, Fella Sadat estime que ce jugement est une décision «regrettable». «La défense de la SPA El Khabar a suffisamment démontré les irrégularités de l’affaire, qu’il s’agisse de la requête ou de l’action elle-même. Le juge des référés est incompétent en l’espèce.

Malheureusement, l’action en la forme et même l’intervention des mis en cause ont été déclarés recevables. Pis encore, il a été fait droit à la demande du ministère de la Communication pour le gel des effets inhérents au contrat qui lie NessProd avec certains actionnaires du groupe El Khabar», a précisé Me Sadat à la sortie du tribunal. L’ordonnance du juge des référés est exécutoire ; l’appel devant le Conseil d’Etat envisagé par les avocats de la défense n’est pas suspensif de la décision.

Mais une question se pose à propos de l’effectivité de l’ordonnance prononcée par le juge administratif. «La décision de geler les effets de l’acquisition des actions du groupe El Khabar par NessProd est une mesure provisoire, conservatoire. De ce fait, il ne peut pas y avoir exécution de l’acte entre les deux parties», a estimé l’avocat du ministère de la Communication, Nadjim Bitam, qui affirme qu’il ne peut de ce fait y avoir d’introduction en Bourse des actions acquises par NessProd, comme annoncé par l’homme d’affaires Issad Rebrab. De leur côté, les avocats de la défense estiment qu’il est «impossible» de geler une transaction qui a produit tous ses effets. «La transaction a eu lieu, les personnes ont vendu leurs actions.

Est-ce qu’il est possible de remettre les parties en leur état initial avant l’intervention du jugement ? C’est un problème d’efficacité et d’effectivité du jugement rendu», tranche Me Sadat. Tout en exprimant sa surprise après l’annonce du jugement, le directeur de la publication d’El Khabar, Cherif Rezki, s’interroge sur les procédures applicables pour rendre effective l’ordonnance, alors que le contrat qui lie le groupe à NessProd, fililale de Cevital, a produit tous ses effets : «On gèle une opération quand elle est en cours. Mais le tribunal administratif a pris une décision alors que le contrat a provoqué tous ses effets. Il y a eu un acte notarié. Les droits ont été payés, l’enregistrement a été fait.»

L’affaire de fond dans une quinzaine de jours

Le ministère de la Communication avait introduit une action en référé auprès de ce tribunal sur la conformité du rachat du groupe de presse El Khabar par le groupe Cevital en se basant sur les dispositions de l’article 25 du code de l’information relatif au monopole des titres. Renvoyée à cinq reprises, l’affaire a nécessité des rectifications de la part des avocats du ministère. Après une requête en annulation, les avocats de l’administration ont rectifié leur requête en demandant le gel.

Une troisième requête introductive a été aussi versée devant un juge des référés qui a mis presque trois mois pour statuer dans une affaire qui devait, de droit, avoir un caractère d’urgence. Selon Me Bergheul, l’affaire peut être «classée comme sui generis (situation juridique singularité)». «Des parties privées ont signé un accord commercial.

L’Etat est intervenu comme partie forte dans cette transaction alors qu’il n’y ouvre pas droit», estime l’avocat. Selon lui, le tribunal administratif a acté le «fait du prince» en obéissant aux injonctions du pouvoir politique : «Le Premier ministre est intervenu pour affirmer qu’il a donné des instructions à son ministre de la Communication pour assainir le secteur. Tout le gouvernement a mis son poids dans la balance dans cette affaire. Cela n’augure rien de bon sur l’affaire de fond. L’Etat ne veut pas reculer.»

Nadir Iddir