La presse peine à s’imposer comme une institution

Déstructurée, désorganisée et sans vision claire

La presse peine à s’imposer comme une institution

Par Abdelkrim Ghezali, La Tribune, 3 mai 2008

Avant-garde du combat démocratique au niveau national, pionnière du pluralisme et de la liberté d’expression, la presse algérienne semble avoir perdu ses repères, son souffle et sa cohérence d’antan. Du puissant mouvement du MJA d’avant 1988 à son atomisation d’aujourd’hui, la presse algérienne vit au jour le jour, sans perspective, sans projet, sans capacité aucune d’agir sur son avenir, encore moins sur son environnement faute de pouvoir se constituer en contre-pouvoir crédible et en institution capable d’être faiseuse d’opinion.
Au lendemain de la présidentielle d’avril 2004, la presse nationale a engagé un débat informel sur sa situation, son environnement et sans complaisance aucune, elle s’est engagée dans une autocritique qui était parfois sévère mais prometteuse d’une remise en cause salutaire pour le secteur et pour la profession. Quatre ans plus tard, rien n’a été fait par la corporation pour initier une dynamique propre, en fonction de ses besoins, de ses aspirations et des rêves nourris par toute une génération. L’éclatement de la corporation et ses clivages politiques l’ont empêchée, depuis le début de la crise sécuritaire en 1992, de s’imposer comme un acteur clé du paysage national.
Ses déchirements sont perceptibles aussi bien au niveau des journalistes qu’au niveau des éditeurs. Les journalistes n’ont pas réussi à fédérer leurs efforts au sein d’une organisation syndicale qui transcenderait les clivages politiques, pour défendre leurs intérêts matériels et moraux bafoués, ni à se doter d’un Conseil de l’ordre crédible à même de veiller au respect des règles d’éthique et d’aider la presse à se professionnaliser davantage. Les éditeurs, quant à eux, semblent avoir perdu l’initiative qu’ils avaient au début des années quatre-vingt-dix, pour devenir des gestionnaires d’entreprises commerciales, occultant ainsi le rôle stratégique de la presse dans le paysage médiatique, social et politique du pays.
Cet état de délabrement expose ainsi un secteur clé au travestissement, au pouvoir de l’argent, aux manipulations politiques et à des conditions de travail des plus indignes de la profession.
A. G.


Journaliste du pays profond… une vocation

Correspondant de presse : l’angoisse du gardien de but au moment du penalty

De notre correspondant à Constantine A. Lemili, La Tribune, 3 mai 2008

Pour le correspondant de presse du pays profond, ce n’est pas seulement la date du 3 mai qui se ressemble chaque année. Ce sont toutes les journées de l’année. D’ailleurs, il ne se passe rien autour de ce rendez-vous réputé commémoratif, excepté, sans doute, cette impression en vertu de laquelle, pour une fois, c’est le regard des autres qui est braqué sur lui et non l’inverse. Sinon, il est là comme une sentinelle en état de veille permanent, en quête de la moindre information, même d’une bribe d’information qu’il se chargera ensuite de faire «mousser», comme il lui est souvent exigé de la hiérarchie, autrement dit de la rédaction centrale.
Le besoin de se situer, de se faire une place dans cette hiérarchie est devenu, quelque part, le Graal pour un nombre non négligeable de nouveaux entrants dans le métier, et qui envisagent à moyen ou à long terme d’en faire, au-delà de la seule carrière professionnelle…, leur gagne-pain, et peu importe si c’est loin des lambris. Pour ce faire, ils ont vite compris que la réussite et la reconnaissance ne peuvent venir que d’ailleurs qui n’est pas «la province», d’où le besoin de s’expatrier vers la capitale pour une expérience loin d’être forcément concluante, mais qui reste arbitrairement un passage obligé.
Il y a lieu de souligner que le décalage entre deux correspondants de même profil, dont l’un est à Alger ou à sa périphérie immédiate, et un autre dans l’est ou l’ouest du pays, est énorme, même si, en réalité, celui-ci n’est que dans la tête des uns et des autres, et rarement quantifiable aux plans de la compétence professionnelle, de l’efficacité sur le terrain, et du travail de proximité effectué le plus souvent dans des conditions difficiles et des moyens limités. Dès lors, le produit du correspondant a incontestablement un impact informationnel direct, portant sur le quotidien des habitants de la zone couverte. Une activité de fourmi en général sanctionnée, comble de l’ironie, par un anonymat absolu, lequel l’éloignera de toute velléité de starisation dont il s’estimerait en droit légitime de rêver quoique l’effet placebo imparable sur le ou les événements abordés, voire révélés, et leur gestion par les pouvoirs publics ou leurs représentants soient quasi certains.
Dans un environnement hostile par nature, du fait de l’intangibilité même du statut du journaliste, s’il pourrait être qualifié de salarié à l’activité décentralisée de grands quotidiens nationaux, celui de correspondant, paradoxalement, est encore plus volatil, au moment où dans d’autres pays, c’est ce statut qui, au regard de la loi, pose le moins de problème aux employeurs : «Il n’est ni journaliste ni pigiste… même si le travail effectué est globalement le même.» Mieux, «ses contributions sont soumises avant publication à un… journaliste professionnel. Il n’est ni subordonné à l’entreprise, ni salarié, ni protégé socialement», les émoluments auxquels il a droit étant plafonnés. Pour le correspondant de presse du pays profond exit, au nom de la simple et tout autant légitime régularisation administrative, donc le besoin de reconnaissance, le statut, ô combien galvaudé ailleurs, de faiseur d’opinion et tous autres artifices qui flattent plus l’ego et amplifie le narcissisme jusqu’à couper le professionnel de son lectorat, de ce lectorat qui l’a fait. La preuve de l’inverse étant rarement apportée. Les gargarismes des uns et des autres étant ce qu’ils sont. Dans l’est du pays, un ou deux professionnels ont compris la nature du challenge, créant des journaux régionaux à l’image de l’Est républicain ou de l’Index, lesquels, après avoir affronté bien des infortunes, se sont fait une place au soleil eu égard à l’importance de l’information de proximité. Celle-ci (la proximité) ne se limitant plus aux villes et plus ou moins grandes communes mais littéralement aux groupements de cités, voire de quartier et toute autre forme de base de vie. En fait l’information… la vraie… la seule.
A. L


Le syndicat des journalistes en Algérie

Du combat pour la liberté à l’organisation de tournois de football

Par Chafaa Bouaiche, La Tribune, 3 mai 2008

La profession de journaliste en Algérie est précarisée. Le constat est fait par de nombreux journalistes qui continuent d’exercer leur profession dans des conditions indécentes. Un nombre important de journalistes ne bénéficie pas de la couverture sociale. Pis, certains éditeurs font signer des contrats de travail à des journalistes où il est carrément mentionné que «le présent contrat n’autorise pas son signataire à bénéficier d’une déclaration à l’assurance sociale». Plusieurs journalistes sont réduits à quémander. Ils courent derrière des annonceurs pour avoir une page publicitaire et pourquoi pas deux pour bénéficier de 10 pour cent. L’objectif : arrondir ses fins de mois. Les conditions d’hébergement sont déplorables. Plusieurs journalistes se retrouvent jetés dans des hôtels. Plusieurs journalistes, sous-payés, versent dans la pige. Il arrive à des journalistes de piger dans plusieurs titres, de publier les mêmes articles, en violation des règles de la déontologie. Tout cela pour «joindre les deux bouts», disent-ils. Pour changer leur situation et améliorer leurs conditions de vie, les journalistes ne font plus aucun effort. Ils ont, semble-t-il, accepté leur sort. Ils sont blasés, à l’image de beaucoup d’Algériens. Ils ne croient pas ou plus au combat. Ils ont baissé les bras. Ils ne font pas confiance au syndicat, mais ne s’impliquent pas pour apporter un changement. Beaucoup de journalistes que nous avons rencontrés s’accordent à dire que le Syndicat national des journalistes (SNJ) était l’appendice d’un appareil politique avant de devenir carrément celui des autorités. La représentativité du SNJ est remise en cause. Les journalistes n’ont pas adhéré à ce syndicat pour plusieurs raisons. D’aucuns déclarent ne pas assumer le passif. «Le syndicat est à la merci des éditeurs», accuse un journaliste. «Quelle crédibilité accorder à un syndicat qui n’a pas renouvelé ses structures depuis de longues années ?» s’interroge un autre. «Quel peut être le poids d’un syndicat qui ne possède même pas un local pour se réunir ? Le SNJ tient ses réunions au niveau du siège de la FIJ», constate un pigiste. Les plus pragmatiques déclarent que le syndicat, à l’image de la corporation, est à la recherche d’une identité. Alors que le rôle d’un syndicat de journalistes est de défendre les intérêts moraux et le statut d’une profession indispensable au droit à l’information des citoyens, le rôle du SNJ est réduit à la commémoration de la date du 3 mai, Journée internationale de la liberté de la presse. Et de quelle manière ! «Au lieu d’honorer la mémoire des journalistes tombés au champ d’honneur en continuant le combat pour l’indépendance de la presse, le syndicat se limite à l’organisation d’un tournoi de football», dénonce un journaliste.
Par ailleurs, le séminaire organisé par le syndicat, avec le soutien de l’ambassade des Etats-Unis à Alger, le 1er mai dernier, à l’hôtel Hilton d’Alger, sur la pratique journalistique entre le délit de presse et le défi de l’autorégulation, s’est fait dans une totale discrétion. Enfin, les journalistes doivent se mobiliser pour leurs droits, car ni l’ambassade d’un pays étranger ni les ONG internationales ne pourraient venir à bout de leur souffrance.
C. B


Au-delà de l’expression, le gain

L’argent, le nerf de la guerre… et de la presse

Par Ali Boukhlef, La Tribune, 3 mai 2008

L’ouverture du champ médiatique, au début des années 1990, a donné de l’espoir aux nombreux journalistes qui, en réalité, ne cherchaient que cette brèche pour prouver leurs compétences.
L’enthousiasme créé par cette ouverture a été tellement immense que la scène médiatique s’est enrichie, en quelques années, de centaines de titres, dont une bonne partie disparaît juste après publication, à cause notamment de faillite financière. Même si beaucoup de titres ont été fermés pour des raisons politiques, donc de choix éditorial.
Seulement, beaucoup d’observateurs, notamment des lecteurs, ont été floués par un mythe qui fait qu’un journal, une publication, sont un instrument de la lutte pour les libertés démocratiques, à commencer par celle de s’exprimer. La thèse tient la route, bien entendu. Mais on a toujours oublié de dire qu’un journal est avant tout une entreprise. Il gagne donc de l’argent.
Cela n’empêche que, dès les premiers mois de l’ouverture, la majorité, sinon la totalité des titres parus à l’époque ne l’ont été que grâce à un soutien très actif de l’Etat, d’autant plus que la majorité des journaux étaient détenus par d’anciens journalistes des médias publics.
Des salaires versés par le Trésor public, bonifications sur les emprunts et publicité à profusion donnée par l’entreprise publique d’édition et de publicité, ANEP, en passant par des loyers dérisoires, tous les moyens étaient mis en œuvre pour donner du tonus à une presse censée apporter un nouvel élan à une démocratie naissante. Sur le plan politique, l’affrontement avec le pouvoir a été parfois très dommageable, provoquant des fermetures de journaux, mettant au chômage plusieurs journalistes et travailleurs de presse.
Limogés par… des annonceurs
L’argent, nerf de la guerre, a souvent été utilisé, soit pour bâillonner ceux qui commençaient à montrer une certaine audace, soit pour faire taire d’autres, moins audacieux.
Passé la relative accalmie des années 1990 –une sorte de trêve imposée par la situation chaotique vécue à l’époque par le pays- les choses prennent une autre tournure depuis la fin de la décennie 1990. Bien sûr, le pouvoir a toujours brandi l’argument économique pour faire pression sur les journaux, soit par l’entremise de l’imprimerie d’Etat, comme cela s’était passé en 2003, soit par le biais de l’ANEP ou, parfois, du fisc. Mais la grande nouveauté introduite dans les milieux de la presse, ces dernières années, est sans conteste le boom de la publicité des entreprises privées, à la lumière de l’arrivée de grandes firmes multinationales et la rapide croissance de certains secteurs, notamment les services, en particulier, les communications. Cet état de fait a permis à plusieurs journaux de devenir de grandes entreprises florissantes.
Car, au fur et à mesure que les annonceurs se bousculent, les prix des pages de publicité augmentent, pour atteindre, dans plusieurs journaux à fort tirage, 400 000 DA jour. Cette aisance financière profite-t-elle à tout le monde ? A-t-elle réussi à améliorer les conditions de vie des hommes et des femmes des médias ?
Salaires de misère et absence de protection
Avant de répondre à ces questions, il y a lieu de souligner que de nouveaux phénomènes sont nés avec cette embellie budgétaire. Plus qu’une bouffée d’oxygène qui permet aux entreprises de presse de respirer sur le plan financier, l’arrivée de la publicité a charrié avec elle de nouveaux phénomènes. A commencer par les pressions qu’exercent des annonceurs sur les entreprises. Des pressions qui, souvent, prennent l’image d’un chantage ayant conduit à des pratiques à la limite de l’inacceptable. Des journalistes ont même été sanctionnés ou parfois limogés pour avoir rapporté les mésaventures d’un patron ou les mauvaises performances d’un grand annonceur. D’autres ont été mis à la porte comme de vulgaires voyous sur une simple injonction d’un responsable d’une grosse boîte. Un jeune journaliste s’est même vu infliger une ponction sur salaire. Le motif ? «Atteinte aux intérêts économiques de l’entreprise». Son tort ? Il ne savait pas qu’une activité, qu’il a annoncée, a été organisée par un annonceur.
Sur le plan social, l’aisance financière a, bien sûr, profité aux responsables et aux actionnaires, faisant même de nouveaux riches. Mais elle n’a pas de grandes incidences sur le pouvoir d’achat des journalistes et autres travailleurs du secteur.
Dans certaines rédactions, des journalistes sont payés juste au SNMG et n’ont même pas de couverture sociale, en infraction avec toutes les lois de la République. Plus grave encore, ces journalistes, à leur corps défendant, sont appelés à dénoncer des situations identiques à la leur… mais dans d’autres secteurs. Mais, en l’absence d’une vraie représentation des journalistes et face au manque de respect de l’éthique de plusieurs patrons de presse, les pouvoirs publics semblent être dans une position confortable. Parce que le journaliste, en l’absence de conditions minimales de vie décente, ne peut que se replier sur lui-même. Sur un autre plan, cette aisance financière augure une nouvelle étape. Plusieurs grands groupes de presse étrangers veulent faire leur entrée dans le paysage médiatique algérien. D’ores et déjà, on annonce la vente de certains grands tirages de la presse nationale. Cela permettra-il d’opérer la décantation nécessaire à la professionnalisation de la presse ? Pas si sûr. Du moins pas avant longtemps.
A. B


Presse algérienne

L’ère de la maturité ne saurait attendre

Par Kamel Amghar, La Tribune, 3 mai 2008

Le monde change vite. Trop vite même pour qu’on en saisisse les enjeux. De 1990 à ce jour, toute la morphologie des rapports internationaux a été modifiée de fond en comble. Les contextes nationaux et les équilibres géostratégiques se sont également métamorphosés. En 18 ans, beaucoup de certitudes et d’espérances naïves ont cédé le pas à des impératifs nouveaux. La perestroïka a échoué. Le bloc Est s’est complètement démembré. Et, le monde ne se porte pas tellement mieux à l’ère de la démocratie libérale. De nouvelles dominations se sont substituées aux folles promesses de liberté, de fraternité humaine et de prospérité pour tous. Les puissances occultes de l’argent et du capital s’engraissent sur le dos des Etats nationaux qu’elles fragilisent chaque jour un peu plus.
Les modèles démocratiques occidentaux, qui ont servi durant longtemps de référence aux chantres du libéralisme marchand, changent leur fusil d’épaule. Ils revoient leurs discours en fonction des intérêts du moment et inventent le droit d’ingérence, l’intervention préventive, le patriotisme économique et la préférence communautaire. Le miroir aux alouettes s’est irrémédiablement brisé. La circulation des personnes est encore plus policée qu’avant.
Les chauvinismes nationalistes et les intégrismes religieux se sont exacerbés. La course à l’armement reprend de plus belle. L’environnement écologique en subit les lourdes conséquences. L’ONU a énormément perdu de son influence sur le cours des événements. La légalité internationale n’est presque qu’un vague souvenir du passé. La souveraineté nationale s’est émoussée. Journalistes et analystes, partout à travers le monde, développent de nouvelles lectures «alternatives» et dénoncent les excès de ceux-là mêmes qui, hier, nous promettaient le paradis. Il y a aussi 18 ans, l’Algérie a consacré la liberté d’expression en garantissant le droit à la création de journaux privés et «indépendants». Une presse «plurielle» a, depuis, vu le jour pour soi-disant enrichir les débats sur les questions d’intérêt national, promouvoir la transparence et enraciner la bonne pratique démocratique. Quelle vision a-t-elle développée à ce propos ? Quelle a été sa mutation, à elle, durant cette période charnière ? Force est de constater que notre regard n’a pas pris depuis beaucoup d’altitude. Il se trouve même des professionnels et des observateurs qui regrettent le temps du monopole public en évoquant, avec nostalgie, des titres comme Algérie Actualité, El Djomhouria ou Révolution africaine. L’euphorie des premières années passée, on s’est vite rendu à l’évidence qu’on doit travailler dur pour adapter constamment nos décryptages à une réalité mouvante et difficilement saisissable. La posture, autrefois confortable, de «l’intellectuel colonisé» qui se jette avec avidité et sans discernement sur les valeurs, souvent discutables, de la culture occidentale, est largement mise en doute.
La recette miracle, qui veut que «l’on s’oppose automatiquement à l’Etat pour défendre le peuple», est désormais porteuse de dérives, en ce sens qu’elle se prête à une exploitation malveillante à l’étranger. La logique populiste de l’«oppositionnisme» tous azimuts s’essouffle et ne trouve pas preneur auprès d’un lectorat qui commence déjà à dire son mot à lui. L’Internet regorge de blogs et de sites où le simple citoyen appose son témoignage pour compléter –ou carrément contredire- l’information qu’on lui sert. Les grands médias consacrent même des tranches horaires pour rapporter les nouvelles fraîches de la Toile. D’autres ouvrent des espaces aux commentaires des internautes et créent des forums pour discuter telle ou telle information. La vieille supercherie du «medh» qui veut que tout aille bien pour le plaisir de madame la marquise inspire aussi l’immobilisme et l’inertie. Elle «dégoûte» le citoyen ordinaire qui reste en quête d’objectivité.
Les années à venir seront certainement plus profitables au mûrissement de la presse algérienne. Le besoin d’une telle évolution qualitative se fait de plus en plus sentir. Il s’impose même. Ni les puissances de l’argent ni les salons occultes ne sauraient résister longtemps à cette aspiration largement populaire.
K. A


En attendant la dépénalisation des délits de presse

Quelle garantie pour l’application du décret relatif au statut du journaliste ?

Par Faouzia Ababsa, La Tribune, 3 mai 2008

Il ne s’est pas déroulé un séminaire, des journées d’étude, des brainstormings sans que les journalistes revendiquent un statut particulier leur permettant enfin une reconnaissance de leur métier. Il a fallu attendre 18 ans pour que la corporation soit enfin dotée d’un statut spécifique. Un décret exécutif a été entériné, en effet, par le gouvernement le 22 avril dernier et est venu préciser les dispositions du code de l’information, en application de l’article 4 de la loi régissant les relations de travail. Ce statut est intervenu à la veille de la Journée internationale de la liberté de la presse. Il vient définir les droits et devoirs des journalistes, lesquels sont applicables de la même manière aux pigistes, correspondants et free-lances, mais aussi aux documentalistes et reporters photographes. C’est désormais le contrat de travail qui liera chaque journaliste, quel que soit son statut, à l’éditeur, avec obligation pour celui-ci de s’acquitter de ses charges patronales à travers la déclaration à la CNAS. L’Agence nationale de l’emploi et les organismes de placement privés demeurent un passage obligé aussi bien pour les patrons des journaux que pour les demandeurs d’emploi de journaliste et assimilé. Un moyen apparemment pour les pouvoirs publics de s’assurer des statistiques quant à la création de postes de travail dans ce secteur, et également de s’assurer que l’employeur s’acquitte de ses obligations envers les organismes de la Sécurité sociale. Toutefois, cette disposition reste tributaire des contrôles à la charge des institutions concernées. Tant il est vrai que, depuis l’ouverture du secteur au privé, la situation des journalistes est devenue extrêmement précaire, obligeant ceux-ci à recourir à d’autres activités. Ce qui influe négativement sur leur travail journalistique.
En somme, même si ce statut comprend plusieurs dispositions en faveur de la corporation (ce qui n’est pas le cas), il n’en demeure pas moins que les journalistes auront encore les mains liées, se soumettant au bon vouloir de leur employeur. On se souvient que, quelques mois après son installation, le ministre du Travail avait demandé à ses services de lui faire un état des lieux du secteur de la presse. Ce qui fut fait et il avait toutes les données, du moins celles disponibles, pour prendre les mesures qui s’imposaient, notamment en matière d’assurances sociales, de sécurité et de médecine du travail dans les différentes rédactions. Mais rien n’a été fait, si l’on excepte les cas où ce sont les journalistes lésés qui, prenant leur courage à deux mains, se sont présentés devant l’Inspection du travail compétente pour se plaindre. C’est le cas également pour les impôts. On a très peu vu des patrons de presse se faire «redresser», alors que l’évasion fiscale pour certains d’entre eux relevait du secret de Polichinelle, sans que pour autant les services des impôts lèvent le petit doigt. A telle enseigne que l’on est arrivé à la conclusion selon laquelle l’absence de contrôle était voulue. Une arme détenue par certaines institutions contre les journaux dont la ligne éditoriale viendrait à gêner le pouvoir en place.
Le redressement fiscal, la mise en branle des différentes inspections sont alors brandis. Une épée de Damoclès. Le pire, c’est que quelques-uns de ces éditeurs se prêtent sciemment à ce jeu, pour crier au loup par la suite. Le décret portant statut spécifique du journaliste est par ailleurs pour celui-ci, notamment en matière de reconnaissance. En effet, la délivrance de la carte professionnelle est soumise aux conditions qui seront déterminées par le ministère de la Communication. Ce qui est une violation d’une des dispositions du code de l’information qui stipule que la carte de presse est délivrée par le Conseil supérieur de l’information et de l’audiovisuel, dont certains de ses membres sont élus par la corporation. S’arroger le droit de déterminer les conditions et les circonstances de la délivrance de cette carte relève de la déviation des prérogatives du département dirigé par Abderrachid Boukerzaza. Car un journaliste ne doit être jugé que par ses pairs et la carte professionnelle délivrée selon les critères déterminés en principe par le Conseil d’éthique et de déontologie. Telle que élaborée, la disposition relative à la carte ne peut être comprise autrement que par l’exercice d’un chantage sur le journaliste. De plus, le décret ne dit pas, et à aucun moment, à quoi donne droit cette carte nationale professionnelle. Il n’est nullement mentionné dans le texte entériné par le conseil de gouvernement que les journalistes bénéficient des réductions sur les coûts de certains services lors de l’exercice de leur profession. Le droit d’accès aux sources de l’information est consacré aussi par le code de l’information et le statut spécifique le précise. Toutefois, ce n’est un secret pour personne que le journaliste trouve toutes les difficultés du monde à accéder à une information, officielle ou non. Les portes se ferment souvent lorsqu’il sollicite des précisions ou des informations pouvant l’aider à mener son enquête ou son reportage.
Le code de l’information réprime, en effet, le refus de fournir des informations (en dehors de celles relatives à la défense et au secret d’Etat, non définis par ailleurs). Cependant, aucun journaliste n’a jusqu’à l’heure recouru à la justice pour cela. Car il faut fournir des preuves. C’est-à-dire qu’il doit exprimer sa demande par écrit (ce qui est anti-déontologique). Enfin, le texte adopté par l’Exécutif dirigé par Abdelaziz Belkhadem, par ailleurs secrétaire général du FLN, ne dit pas un mot sur la dépénalisation des délits de presse. Lequel secrétaire général du FLN avait, il y a deux ans, mis en place une commission chargée d’examiner et de faire des propositions sur la révision du code de l’information ou son abrogation, la loi sur la publicité. Tout cela pour consacrer les principes démocratiques et la liberté de la presse, mais aussi l’interdiction de l’emprisonnement des journalistes. Force est de constater que le revirement ne s’est pas fait attendre. Et l’article 144 bis du code pénal est maintenu comme une épée de Damoclès au-dessus de la tête des journalistes.
F. A