Les Américains pressent Alger de se doter de télévisions privées
Ouverture du champ audiovisuel en Algérie
Les Américains pressent Alger de se doter de télévisions privées
Le Quotidien d’Oran, 6 juillet 2005
Est-ce que les Américains veulent leur télévision en Algérie ? En exerçant des pressions discrètes sur Alger pour ouvrir le champ audiovisuel, les Américains semblent vouloir utiliser les négociations dans le cadre de l’OMC, pour imposer une nouvelle doctrine audiovisuelle en Algérie.
Les Américains qui possèdent en la nouvelle télévision Al Hurra, un outil de propagande dans les pays arabes, qui veut concurrencer Al Jazeera, demeurent très attentifs à l’ouverture du champ audiovisuel dans ces pays, notamment en Algérie. L’ouverture du champ audiovisuel algérien, refusée actuellement, à tort ou à raison, par les pouvoirs publics, devient une véritable interpellation des partenaires de l’Algérie dans le cadre du processus de négociations pour l’adhésion à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). «Cette question a été à l’ordre du jour des dernières discussions avec les négociateurs étrangers», indiquent des sources proches du dossier OMC.
Les autorités algériennes ont été directement interpellées sur le «verrouillage» des médias lourds et le refus total du gouvernement algérien d’un quelconque changement dans la législation pour l’autorisation de télévisions ou radios algériennes à capitaux privés lors des négociations pour l’adhésion de l’Algérie à l’OMC. Les experts relèvent les questions posées par les négociateurs américains dans le cadre des discussions sur l’état des services même si cela a été quelque peu tempéré côté européen. Ces interrogations américaines sont relatives au champ audiovisuel algérien. Et plus particulièrement, à l’émergence de médias lourds, télévisions et radios, issues de l’investissement privé. Le verrouillage du champ médiatique ne leur plaît pas. Et ils l’ont fait savoir.
Les Américains ne comprennent pas le refus des pouvoirs publics algériens. «Ce n’est pas tellement une exigence mais une recommandation. Dans leur vision, l’absence de chaînes de télévision ou de radios privées s’apparente à une forme de restriction des libertés. Ils espèrent à travers ces interpellations induire un changement d’orientation à ce sujet. Surtout qu’il y a pour eux un potentiel très important», précise-t-on dans les milieux diplomatiques. Une radio privée aurait plus de facilité à voir le jour. Les raisons invoquées par le gouvernement algérien ne tiennent pas, pour les diplomates occidentaux, forcément la route. Il s’agit plus, selon eux, de voir apparaître des médias «responsables où le journaliste devient de plus en plus professionnel» et où l’Etat aura mis en place un encadrement législatif et régulateur performant. L’Algérie peut bénéficier, avancent les diplomates, d’une assistance technique dans ce cadre.
Sécurité intérieure et éthique de la presse Interpellé à maintes reprises au niveau de l’Assemblée populaire nationale et au Conseil de la nation, le chef du gouvernement avait justifié les craintes des pouvoirs publics à ce sujet par l’expérience algérienne en matière de presse écrite. Une manière de rappeler, pour Ahmed Ouyahia, les «dérapages» qu’il y a eu lors de la campagne électorale pour les présidentielles de 2004. La sécurité intérieure de l’Algérie ne peut être mise à mal, semble justifier le gouvernement, par l’apparition de médias lourds à large diffusion. Pour le responsable de l’exécutif, il s’agit en premier de renforcer qualitativement et éthiquement la presse écrite privée avant de permettre l’apparition de télévisions ou radios privées. «Le gouvernement ne veut pas de médias orientés qui risquent de servir des intérêts autres que ceux de l’Algérie ou des intérêts personnels sous couvert de liberté d’expression», précise un spécialiste du dossier. Dans son refus de voir apparaître des télévisions et des radios privées, l’exécutif laisse toutefois la porte ouverte à des chaînes basées à l’étranger et qui peuvent à un moment ou un autre jouer un rôle prépondérant en Algérie. D’autant que les exemples de Khalifa News, Khalifa TV qui avaient été autorisées à émettre par le gouvernement britannique ne sont pas aussi éloignés que cela. «L’apparition de ces deux chaînes et la ligne éditoriale qui leur a été donnée a justifié les craintes du gouvernement à ce sujet», explique un expert.
Si les chaînes lancées par Abdelmoumène Khalifa à Londres ont depuis cessé d’émettre, d’autres canaux de pensées ou idéologiques peuvent toujours influer sur l’Algérie. Les paraboles, installées à chaque balcon ou terrasse, sont devenues un symbole de l’ouverture de l’Algérie. Pas forcément dans le sens que le veut l’exécutif. «Les Algériens ne regardent pas vraiment la chaîne publique. Ils sont plus branchés sur Al-Jazira, les chaînes arabes ou étrangères. S’il y avait une ouverture du champ médiatique avec des télévisions et des radios algériennes de qualité pourquoi ne les regarderaient-ils pas ?», relève un spécialiste.
Tant que la législation algérienne n’aura pas changé, les Algériens, eux, continueront de zapper sur les chaînes étrangères de quelques origines soient-elles, désabusés qu’ils le sont des chaînes nationales. L’expérience étrangère notamment européenne a démontré que dans un contexte d’ouverture, la concurrence apporte un véritable changement et une modernisation des chaînes publiques sans qu’elles ne perdent réellement leur pouvoir. Les initiatives algériennes n’ont pas manqué en ce sens. Des investisseurs privés se sont déclarés intéressés par la création de chaînes de télévision, dès un changement dans la législation, tels que Djillali Mehri. L’homme d’affaires avait le premier réfléchi au lancement d’une chaîne satellitaire à partir de la Belgique. Une idée qu’il avait abandonnée avec l’épisode Khalifa News. Il réfléchit actuellement à la création d’une chaîne de télévision à vocation maghrébine. Djillali Mehri en avait fait la présentation lors du symposium d’El-Oued au mois de mai dernier. Un symposium auquel a assisté l’ambassadeur américain. L’on raconte même à Alger que le diplomate a été enthousiasmé par le projet. Si la problématique de l’ouverture du champ audiovisuel était une question de politique intérieure et de stratégie nationale, le débat n’étant que proprement algéro-algérien, la donne a cependant changé. Sous couvert d’une adhésion à l’OMC, les pressions s’exercent à ce sujet par les partenaires de l’Algérie, aujourd’hui, le débat devient international.
Samar Smati