L’hégémonie américaine contestée

L’hégémonie américaine contestée

par Abed Charef, Le Quotidien d’Oran, 11 septembre 2008

La crise en Géorgie dépasse le simple cadre de ce pays. Elle marque peut-être la naissance d’un nouveau monde, multipolaire.

La crise géorgienne a provoqué une brusque accélération de l’histoire. D’un monde outrageusement dominé par les Etats-Unis, une hyper puissance qui a imposé sa force et son arrogance, on glisse vers un monde multipolaire, dans lequel de nombreux acteurs paraissent déterminés à défendre leur place ou à se faire une place, y compris en défiant les Etats-Unis.

Certes, le nouveau système en est encore à un stade d’ébauche. Les Etats-Unis gardent une longueur d’avance dans tous les domaines, et leur influence ne décroîtra qu’à long terme. De plus, ils souffrent d’une conjoncture particulièrement défavorable, qui les pénalise sérieusement, et peuvent reprendre la main dès que les facteurs de la stagnation actuelles seront dépassés : ils sont gérés par une administration finissante, et particulièrement impopulaire ; ils sont englués en Irak et en Afghanistan, et ne sont pas en mesure d’ouvrir un nouveau front majeur ; enfin, ils ont utilisé leur force avec tant d’arrogance que leur position ne trouve guère de sympathie au sein de l’opinion internationale.

Mais ces éléments ne peuvent occulter une évolution de fond. Depuis deux décennies, c’est la première fois que les Etats-Unis montrent une impuissance évidente à influer sur le cours d’une crise majeure. Ils ont é té incapables de sauver la mise de leur poulain, le président géorgien Michael Sakachvili, qui est pourtant leur création, et qu’ils ont mis au pouvoir à la suite d’une belle révolution colorée largement mise en scène.

Ce juste retour des choses sanctionne une politique américaine particulièrement arrogante, parfois franchement destructrice, que de nombreux pays ont eu à subir, à l’exemple de l’Irak. Mais pour rester dans la sphère du monde russe, l’Ukraine offre un exemple fort de ce qu’a été l’arrogance américaine. L’Ukraine, historiquement proche de la Russie, a une population à moitié russe, largement imprégnée de la sphère économique, culturelle et linguistique russe. Cela n’a pas empêché les Etats-Unis de faire le forcing pour tenter de la détacher de son espace naturel, quitte à détruire le pays. Le célèbre théoricien du « choc des civilisations », Samuel Hutington, a d’ailleurs placé l’Ukraine comme une zone de fracture, avec une possible division du pays entre une partie russophone orthodoxe, et une autre proche de l’Occident catholique.

Pour la Géorgie, la politique américaine était de la même veine. Ce pays, qui a donné Joseph Staline, le plus célèbre maître de la Russie pendant le siècle dernier, veut s’affranchir de la proximité russe pour intégrer l’OTAN. C’est un choix politique respectable, mais la Russie é tait en droit de se sentir menacée, tant cette politique donnait l’impression d’avoir comme objectif de l’encercler.

Les Américains ont-ils poussé le bouchon trop loin ? A force de se croire invulnérable, et de faire monter la pression, ils ont fini par provoquer, chez les Russes, une réaction qui aura des conséquences durables. D’autant plus que les Russes, en haussant le ton, ont découvert que les Occidentaux étaient certes capables de fabriquer une opinion publique complaisante et beaucoup d’agitation, mais n’avaient guère les moyens de riposter. Ce qui permet à la Russie de faire un retour en force sur le plan international, et de s’imposer comme un acteur avec lequel il faudra compter. Même si, pour l’heure, l’influence russe est très limitée : l’attitude russe reste en effet défensive, elle se déploie uniquement sur le plan militaire, et se limite à la défense de son pré-carré, sans prétention d’influer sur certaines sphères éloignées.

Aux côtés de la Russie, la Chine a elle aussi imposé sa forte présence. Puissance économique et militaire, elle est devenue, symboliquement, la première puissance sportive au monde, un honneur monopolisé par les Etats-Unis pendant plus d’un demi-siècle.

Dans ce monde en mouvement, l’Europe a montré une évidente vulnérabilité. Elle a plié face à la Chine, et n’a trouvé, jusque là, que des mots à opposer la Russie. Curieusement, cette crise a montré que les Etats-Unis et l’Europe étaient plus vulnérables que la Russie. Celle-ci a en effet réussi à transformer son retard économique en atout. Exportant des matières premières et de l’énergie, elle n’a même pas besoin de brandir la menace de l’arme énergétique pour que les Européens comprennent la nécessité de composer. Les échanges avec les Etats-Unis restent quant à eux limités, et n’offrent guère de prise pour des pressions éventuelles.

Ce schéma reste cependant très relatif. Les Etats-Unis gardent une formidable avance, et peuvent reprendre le large pour peu qu’une nouvelle administration visionnaire relance la machine américaine, après les années de régression Bush. Il suffirait aussi que les Etats-Unis sortent du bourbier irakien pour reprendre une marge de manœuvre exceptionnelle.

Pour ceux qui veulent se faire une place dans le nouveau monde qui se construit, le moment d’agir est idéal. Avant que le système américain ne reprenne la main. Particulièrement si Barak Obama est élu à la présidence des Etats-Unis. Dans ce cas de figure, les Etats-Unis apparaitront de nouveau comme le pays du rêve, et il sera de nouveau difficile de leur contester quoi que ce soit. P