Quand les travailleurs brisent la trêve sociale

Le pacte signé par l’Ugta vole en éclat

Quand les travailleurs brisent la trêve sociale

El Watan, 12 janvier 2010

Les 5000 travailleurs du complexe industriel public SNVI de Rouiba ont entamé dimanche leur deuxième semaine de grève pour dénoncer les résultats de la dernière tripartite et exiger une revalorisation de leurs salaires.

Les ont reçu hier le soutien des 1000 employés d’Anabib, un autre groupe public spécialisé dans la transformation de l’acier et la fabrication de tubes, implanté dans cette localité de la banlieue est d’Alger. Les travailleurs de la SNVI, qui ont tenté à plusieurs reprises mais en vain d’investir la rue pour élargir la base de la contestation, ont, par leur débrayage, brisé la trêve sociale décrétée au début du mois de décembre dernier par le gouvernement, un groupe d’organisations patronales très peu représentatives et l’UGTA, à l’occasion de la tenue des travaux de la 13e réunion tripartite. La grève initiée par le syndicat d’entreprise de la SNVI, un complexe bâti sur des milliers d’hectares dans les années 1970 et entièrement dédié à la fabrication de véhicules industriels, intervient dans un contexte social tendu, marqué notamment par l’observation d’arrêts de travail cycliques par les médecins et les enseignants, deux corporations importantes de la Fonction publique représentées par des syndicats autonomes. Le combat des travailleurs de la SNVI, des médecins et des enseignants se rejoint en ce sens qu’ils partagent pour ainsi dire les mêmes revendications : augmentation des salaires, élaboration de statuts particuliers et suppression de l’article 87 bis du code du travail qui intègre dans le calcul du SNMG le salaire de base, les indemnités et les primes de toute nature, à l’exception des indemnités versées au titre du remboursement de frais engagés par les travailleurs. C’est la première fois depuis vingt ans que les résultats d’une tripartite sont contestés de manière aussi bruyante et que la représentativité tout autant que la crédibilité de la direction de l’UGTA sont remises en cause. Le gouvernement, qui espérait sans doute s’offrir une longue paix sociale en portant le Salaire national minimum garanti (SNMG) de 12 000 à 15 000 DA, se voit à nouveau sous pression après avoir passé une année 2009 des plus difficile.

Le gouvernement à nouveau sous pression

Régulièrement acculés dans leurs derniers retranchements, les pouvoirs publics ont dû à de nombreuses reprises faire des concessions aux syndicats autonomes, mais sans pour autant aller vers la mise en place d’une véritable politique des salaires, ainsi que l’exigent les travailleurs depuis des années. Inutile de dire que l’augmentation de 3000 DA consentie par les pouvoirs publics a été perçue par les ménages comme une insulte suprême. Le peu de cas fait par le gouvernement des revendications du monde du travail en général, la dégradation vertigineuse du pouvoir d’achat et la dévaluation discrète du dinar, le tout additionné à une inflation qui risque d’être bientôt à deux chiffres si les prix des produits de première nécessité continuent de grimper, paraissent être, aujourd’hui, les principales raisons qui ont servi de détonateur à l’explosion de la colère des ouvriers de la SNVI et de Batimétal. Au regard du nombre impressionnant d’éléments des forces de l’ordre déployés autour des deux complexes, il paraît évident que les pouvoirs publics sont sur la défensive et, surtout, redoutent les développements éventuels de la grève initiée dans la zone industrielle de Rouiba. Et l’idée de perdre le contrôle de la situation semble déjà provoquer des nuits blanches autant au secrétaire général de la centrale syndicale UGTA, Abdelmadjid Sidi Saïd, qui est devenu persona non grata à la SNVI, qu’au gouvernement. Ceci dit, la peur du pouvoir n’est pas sans fondements. Les travailleurs de la SNVI et plus généralement ceux de la zone industrielle de Rouiba ont déjà fourni la preuve, par le passé, qu’ils disposent de la capacité de plier un gouvernement. Plus encore, lors des événements mémorables du 5 octobre 1988, ces même ouvriers ont démontré qu’ils pouvaient faire basculer dans un sens comme dans l’autre un rapport de force au pouvoir et de mobiliser la rue. Mais ce qui est déjà certain, c’est qu’une jonction de la contestation menée par les syndicats autonomes avec la grogne des travailleurs de la SNVI et de Batimétal conduira inévitablement à une paralysie générale. Cela surtout que tout le monde a promis que la contestation ne s’arrêtera pas tant que les revendications mises sur la table ne seront pas satisfaites.

Par Zine Cherfaoui