Les étudiants à la Présidence

Ils ont interpellé Bouteflika sur la crise universitaire

Les étudiants à la Présidence

Par : MALIKA BEN, Liberté, 15 mars 2011

Les étudiants, qui espéraient être reçus par un responsable au siège d’El-Mouradia, n’ont eu droit finalement qu’au dépôt d’une lettre ouverte au président de la République au niveau de la direction des requêtes et des relations avec les citoyens, instance relevant de la Présidence.

L’appel lancé par la Coordination nationale estudiantine a eu un écho favorable auprès des étudiants de plusieurs universités du pays dont celles de l’USTHB, de Dély-Ibrahim, de Blida, d’Oran, de Constantine, de Annaba, de Guelma, de Mostaganem, de Jijel et de Skikda. En effet, un peu plus d’une centaine d’étudiants ont tenté de tenir un sit-in de protestation devant le siège de la Présidence. Convaincus de l’impossibilité de parvenir jusqu’à l’entrée d’El-Mouradia, les étudiants ont préféré rallier le point de rendez-vous par petit groupe pour éviter les entraves qui les attendraient sur leur itinéraire. Évidemment, les alentours de la Présidence ont été sécurisés dès les premières heures de la matinée. Les agents de sécurité en civil ont devancé les étudiants qui arrivaient par groupe de trois ou quatre. Des petits rassemblements se formaient aux alentours de la place du Golfe au fil des heures. Vers 11h, les étudiants éparpillés commençaient à sortir de leurs cachettes pour se rassembler et s’ébranler vers la Présidence quadrillée par un dispositif de sécurité. Un des agents tente de raisonner les étudiants qui insistaient pour se rapprocher du siège et y déposer leur requête. “Vous avez tous suivi ce qui s’est passé en Égypte et ce qui se passe en Libye actuellement. Trop de sang a coulé. Vous désignez un représentant qui ira déposer votre requête et c’est tout”.
Les étudiants refusent de l’entendre de cette oreille-là et le chahutent : “Non ! Chaque université a son propre représentant. Ils seront six ou sept”, expliquent-ils. L’agent insiste : “Reculer jusqu’au fleuriste et dégager la route et les passages piétons.” Un des étudiants de Boumerdès lui réplique : “Monsieur, on est venu pour un sit-in devant la Présidence et non devant le fleuriste.”
Finalement, c’est devant le fleuriste du Golfe que les étudiants seront contraints de tenir leur rassemblement. Chaque université exhibera sa banderole et les pancartes résumant la situation de crise multiforme au sein de l’université sous les éternels slogans estudiantins notamment “Ministère sans décision”, “Harraoubia dégage” ou encore “Rendez-nous notre dignité” et le chant de l’hymne national.
Il faut signaler à ce propos que l’une des pancartes exhibées par les grévistes a soulevé la colère de certains étudiants et étudiantes en soulignant que “celle-ci n’a pas lieu d’être car nous ne faisons pas de la politique, nous sommes là pour des revendications sociopédagogiques tout simplement”. On pouvait lire sur la pancarte contestée : “Nous ne sommes pas venus vous voir, nous demandons de respecter vos engagements ; si vous n’êtes pas compétents partez !”
Au moment où les étudiants tenaient donc leur sit-in sur le trottoir et devant le fleuriste en scandant à tue-tête les habituels slogans, six délégués ont été invités au siège d’El-Mouradia pour y déposer la lettre ouverte destinée au président de la République. Les grévistes ont délégué un représentant pour chaque région : Boumerdès pour le Centre, Constantine pour l’Est, Oran pour l’Ouest et l’ex-Institut des statistiques sous la direction d’un représentant de l’USTHB. C’est vers 11h30 que la délégation des six étudiants a été “escortée” vers la Présidence. L’attente sera longue et fera croire que la délégation a été reçue par un responsable. Ce n’était malheureusement pas le cas puisque plus d’une heure après, les membres de la délégation rejoindront la foule d’étudiants qui s’impatientaient de savoir qui les a reçus. “Personne ne nous a reçus. Tout ce temps passé à la Présidence, c’était pour les procédures administratives uniquement”, lance le délégué du Centre. Et d’ajouter : “Nous avons été orientés vers la direction des requêtes et des relations avec les citoyens.”
Ce qui a provoqué l’ire de ses camarades. Pour les calmer, le délégué les informe que “l’essentiel c’est que nous avons déposé notre requête”. Mais comme les étudiants ne sont pas structurés, il ne leur a pas été délivré d’accusé de réception. Déçus, les étudiants finiront par s’y remettre très vite en affirmant que “l’objectif de notre action était de déposer la requête à la Présidence ; c’est fait”. Quant à la suite du mouvement, à quelques jours des vacances, les délégués nous diront : “Nous ne pouvons décider à nous seuls. Des assemblées générales auront lieu pour définir notre position. Mais une chose est sûre, nous ne pensons pas aux vacances et nous ne baisserons pas les bras. Nous voulons du concret et d’autres actions seront décidées ultérieurement”. En outre, dans la lettre ouverte destinée au président de la République, les étudiants font part “de leur préoccupation quant à la situation alarmante qui gangrène l’université dans un climat de tension”. Reconnaissant que “l’État a mis les moyens financiers pour l’émergence d’une université performante et d’excellence, cependant la gestion est hasardeuse où l’improvisation et le bricolage ont été privilégiés à la concertation et la réflexion”. Ceci, notent les étudiants, a eu des conséquences fâcheuses dont la dégradation de la qualité de la formation et du cadre sociopédagogique et les perpétuelles contestations. Et d’ajouter : “En raison de l’incompétence des uns et de l’irresponsabilité et de l’égoïsme des autres, l’avenir de l’université est incertain et continue d’alimenter notre désarroi”.
Les étudiants s’interrogent jusqu’à quand devons nous tolérer la fuite de l’élite universitaire et des nouveaux diplômés ? du phénomène de la hogra ? du clientélisme ?… Pour les étudiants, “votre clairvoyance et votre pouvoir de décision conjugués à notre farouche détermination finiront par venir à bout de toutes les forces d’inertie à l’origine de ce marasme généralisé”. Mais pour cela, il faudrait démocratiser l’université, prendre en charge immédiatement et effectivement les revendications, doter l’université de moyens pédagogiques et l’impliquer dans l’essor de l’économie nationale.