Diar-Echems sur une poudrière

AU LENDEMAIN DES ÉMEUTES

Diar-Echems sur une poudrière

Le Soir d’Algérie, 21 octobre 2009

Dormant dans les couloirs des immeubles depuis de longues années, obligés d’attendre qu’il n’y ait plus personne à l’intérieur pour pouvoir se changer, partageant une unique chambre avec frères, sœurs et parents, les habitants de Diar-Echems ont crié leur ras-le-bol lundi. Au lendemain des affrontements avec la police, la sérénité n’était toujours pas revenue dans le quartier. Ses habitants fulminent. Ultime recours décidé à l’unanimité : couper la route au cortége présidentiel le 1er Novembre prochain.
Nawal Imès – Alger (Le Soir) – Presque aucune trace physique des affrontements de la veille. Les services de la commune se sont fait un point d’honneur de tout nettoyer. Plus de pneus brûlés, plus de pierres. Seul vestige de la journée de lundi, le vide ordure qui barre en partie l’accès à la cité. Mais la colère est perceptible. Des hommes regroupés au bas des immeubles discutent bruyamment. Au cœur de leurs discussions, le mal de vivre, la promiscuité. Ils commentent les événements de la veille, refusant que les enfants du quartier soient taxés de voyous. Les affrontements de la veille auraient pu être évités, disent-ils, car à la base, il s’agissait d’une protestation pacifique, n’étaient ce les provocations des forces de l’ordre. Mais maintenant que le feu est parti, il sera difficile de calmer les ardeurs des plus jeunes. Ils sont révoltés par leurs conditions de vie. Parqués dans des F1 depuis de très longues années, ils ne connaissent rien de l’intimité, de la convivialité, de la vie de famille tout court. Difficile de vivre à huit, à dix ou à quatorze dans quelques mètres carrés. Au fil des années, des codes se sont installés. Pour pouvoir vivre sans heurts, ils ont inventés un système de «roulement » qui permet aux uns et aux autres d’utiliser les sanitaires, de se changer à l’abri des regards. Toute une vie à tenter de survivre, cela a fini par les épuiser, par les révolter. De système D en système D, beaucoup d’entre eux ont fui les appartements exigus pour s’installer au contrebas des immeubles dans des baraques construites avec les moyens du bord. Ils vivent dans l’humidité, obligés d’allumer des ampoules toute la journée. L’insalubrité est leur lot quotidien. C’est parce qu’ils ont tenté de transformer le «terrain de football » en assiette pour l’implantation de nouvelles baraques que la mairie a énergiquement réagi. Il n’en fallait pas plus pour pousser les habitants du quartier à la révolte. Au lendemain des événements qui ont secoué le quartier, ils exigent des solutions concrètes. Ils rejettent en bloc la proposition faite par l’APC. Le maire leur demande, en effet, de désigner une vingtaine de personnes pour la création d’un comité. Non ! Répondent les habitants, la solution ne réside pas dans le comité. D’ailleurs, disent-ils, ce procédé est connu : il vise à diviser pour mieux régner. Ce qu’ils exigent, l’unique solution qui leur paraît acceptable et juste, c’est de quitter cette cité devenue un enfer. Les habitants refusent, en effet, que l’APC ne prenne pas ses responsabilités alors qu’ils sont dûment recensés à son niveau. Ils sont plus de 1 500 à vouloir des logements décents et ne comprennent pas pourquoi à chaque fois qu’une liste de logements sociaux est élaborée, elle ne comporte pas les noms des habitants de la cité, pourtant prioritaires. A ceux qui leur reprochent d’avoir édifié des baraques, ils répondent que ces dernières ne sont que la conséquence de l’exiguïté des lieux. Certains se rappellent du jour où ils sont arrivés dans ce quartier. C’est le cas de ce quinquagénaire, père d’un jeune homme de 32 ans qui dit être arrivé ici en 1962. 47 ans plus tard, il vit le même calvaire. Pis, il se sent coupable de devoir l’imposer à sa progéniture. La cité gronde et rien ne semble calmer les esprits. Les plus âgés tentent de retenir les plus téméraires mais ces derniers n’en démordent pas : ils empêcheront le passage du cortège présidentiel le 1er Novembre promettent-ils. Ils sont conscients des risques qu’ils encourent mais disent n’avoir plus rien à perdre : la prison, ils n’en ont pas peur, ils y sont tous les jours. Et dire qu’en les plaçant là, Ben-Bella pensait leur rendre service…
N. I.