Émeutes à Mahelma

A cause de l’augmentation des tarifs du transport

Émeutes à Mahelma

M. Benfodil, Liberté, 13 août 2006

Les habitants du douar Sidi Abdellah réclament la création d’une desserte de l’Etusa sur leur commune. Il se plaigent d’être “pris en otages par les privés”.

“Nous ne voulons plus des transporteurs privés. Nous voulons la RSTA !” scandent de jeunes manifestants. C’était hier au douar Sidi-Abdallah, dans la commune de Mahelma, à 25 km au sud-ouest d’Alger. À notre arrivée sur les lieux, vers 13h30, la route menant de Mahelma vers Douéra était coupée. Des amas de pierres et de gravats et des troncs d’arbre en feu obstruaient la route, obligeant les automobilistes à rebrousser chemin sous peine de voir les émeutiers s’en prendre à eux. De fait, voici une meute de jeunes, des adolescents pour la majorité, qui s’enflamment en criant “Rahi jat essahafa”.
Certains sont armés de gourdins, de blocs de pierre, le visage barré d’un tee-shirt noué en forme de cagoule. Ils se font appeler “al-mouqawama” (la résistance) en s’inspirant, on l’aura compris, des combattants du Hezbollah. Leur ennemi : la misère sociale, la malvie, la “léguia”, le chômage. “Nous ne voulons pas des transporteurs privés. Ils font la loi ici. Ils nous ont saignés”, s’écrient-ils.
De fait, à l’origine de ces manifestations, lesquelles, faut-il le signaler, ont éclaté jeudi dernier, l’augmentation des tarifs du transport. Comme si l’isolement de cette localité ne suffisait pas, il a fallu que les transporteurs en rajoutent en décidant d’augmenter de 5 DA d’un seul coup leurs prestations, tarif qu’ils appliquent depuis une semaine. “Vous imaginez, Mahelma qui est à peine à 1 km d’ici, ils nous la facturent à 10 DA !” fulmine un frondeur. “Et c’est 15 DA pour Zéralda qui est à 10 km”, ajoute-t-il. “Les gens d’ici sont pauvres. 95% des habitants de Mahelma sont indigents, et la moindre hausse des prix se fait ressentir”, explique un homme d’un certain âge avant de s’interroger : “Nous ne comprenons pas cette décision unilatérale de la part des transporteurs, alors que l’augmentation des tarifs est du ressort exclusif de la Direction des transports”.
Hier, ce qui a mis le feu aux poudres, c’est le fait que les transporteurs ont “boycotté” leur douar. “Les gens attendaient à l’arrêt de bus depuis tôt le matin, et à 11h, il y avait un monde fou. Beaucoup ne pouvaient pas se rendre à leur lieu de travail”, explique un manifestant. C’est alors que, vers 12h, la situation a dégénéré. Mais comme le dit cet habitant, le transport n’était que la goutte de trop : “En réalité, c’est un ras-le-bol général.” Chômage, pénurie d’eau, pas de gaz de ville, coupures d’électricité, manque criant de loisirs, c’est la même litanie qui revient à chaque émeute. Les mêmes “nous sommes les oubliés de l’Indépendance” . “Nous sommes une commune de jeunes et nous n’avons rien, ni centre culturel, ni maison de jeunes, ni stade, ni rien du tout. Les infrastructures destinées aux jeunes ont toutes été détournées de leur vocation”, dit le président d’une association sportive. Le secrétaire général du club de football renchérit : “J’ai ici de quoi alimenter l’équipe nationale, mais quand je vais plaider auprès des autorités pour obtenir la réfection du stade, un minimum de moyens, on me signifie que ce sont des jeunes du douar. Les joueurs n’ont même pas où se changer, les vestiaires étant squattés par des familles.”
Le taux de chômage est important. “Pour travailler, nous trimons dans des chantiers à 400 DA la journée, de 8h à 20h ! Nous sommes exploités par les Chinois du chantier de l’AADL, et nous ne sommes même pas assurés”, s’indigne un jeune. Un autre témoigne : “Moi, j’ai travaillé là-bas. J’ai fait une chute très grave et je n’ai pas reçu la moindre indemnité.”
Zoubir, un aveugle marié à une aveugle et père de 5 enfants, ne dispose que d’une allocation ridicule de 1 000 DA pour vivre. Une photo à l’appui, il nous montre la baraque où il végète, lui et sa famille. Une situation partagée par des centaines de familles tant les quotas de logements sociaux sont loin de répondre aux besoins de cette localité.

M. Benfodil