Avis de tempêtes sociales nord-africaines

Avis de tempêtes sociales nord-africaines

par K. Selim, Le Quotidien d’Oran, 9 juin 2008

Des émeutes sociales ont été violemment réprimées au Maroc et en Tunisie. Après l’Egypte et l’Algérie, on peut dire que c’est l’alerte sociale générale.

En Tunisie, la contestation dure depuis des semaines dans le bassin minier de Gafsa et, apparemment, les pouvoirs publics n’ont pas trouvé la bonne méthode pour organiser le dialogue social. Un manifestant a été tué vendredi par balle à Redeyef et plusieurs ont été blessés dans la répression policière d’un mouvement qui n’a cessé de durcir. C’est le deuxième décès enregistré dans la région minière de Gafsa, en proie à une contestation sociale sans précédent dans une Tunisie très surveillée. La contestation révèle une autre image sociale d’un pays qui affiche des taux de croissance élevés et qui est donné en exemple par les institutions financières internationales. Ce décor social est celui des inégalités et du chômage qui touche de nombreux diplômés.

Au Maroc, le même phénomène est enregistré. Et le gouvernement semble choisir la diversion commode en s’en prenant avec virulence à la chaîne Al-Jazira accusée de désinformation. Pourtant, la chaîne qatarie n’a pas inventé ce qui s’est passé à Sidi Ifni, où de violents affrontements ont opposé des chômeurs aux forces de l’ordre. Le gouvernement marocain affirme que le bilan de ces affrontements n’est «que» de 44 blessés « légers». Mais il est contredit, non par Al-Jazira mais par le Centre marocain des droits humains (CMDH), qui fait état d’un bilan plus lourd, entre «un et cinq morts». Il faut d’ailleurs vivement souhaiter que le gouvernement ait raison car il n’y a rien de réjouissant à ce qu’il y ait des morts dans une simple manifestation de chômeurs.

Les évènements de Redeyef et de Sidi Ifni sont des indicateurs de plus d’une contestation sociale qui semble faire un long arc de cercle de la Mauritanie à l’Egypte. Les plus pauvres ont tendance à ne plus se résigner et à manifester ouvertement leurs colères. Que cela arrive même dans des pays à la «tradition policière» éprouvée est un signe qui ne trompe pas.

La Mauritanie est sans doute le maillon social le plus risqué. Elle a déjà connu des émeutes l’automne dernier et les experts considèrent que l’année 2008 sera celle de tous les dangers. La flambée des prix des produits alimentaires, lourdement ressentie par les pays maghrébins, pourrait en effet avoir de très graves effets pour la Mauritanie qui importe 70% de ses besoins.

Pour ceux qui pensaient que l’émeute n’était qu’algérienne, il faut bien élargir la vision. Elle s’étend à l’ensemble des pays du Maghreb. Elle touche également l’Egypte, où les contestataires essayent aussi d’inventer de nouvelles formes d’action pour éviter l’émeute qui conduit inéluctablement à la répression. Au pays des pharaons, la crise du pain subventionné comportait un tel danger que le gouvernement a dû mettre l’armée et la police à contribution pour fabriquer le pain et le distribuer.

Le nord de l’Afrique donne une image frappante d’unité dans l’ébullition sociale, organisée parfois, désordonnée le plus souvent. Il faut bien chercher un dénominateur commun à ce phénomène. Sans doute faut-il le trouver dans la faiblesse du dialogue social dans des pays où le souci obsessionnel du contrôle politique, voire policier l’emporte sur l’impératif d’avoir une représentation politique et sociale authentique. Les signaux sont au rouge. Il y a bien avis de tempêtes sociales dans l’ensemble des pays du nord de l’Afrique.