Bouteflika et le verrouillage scientifique du FLN

Bouteflika et le verrouillage scientifique du FLN

Le Quotidien d’Oran, 3 février 2005

Quarante-huit heures après la fin du 8ème congrès du FLN, on en comprend mieux l’enjeu: le président de la République a définitivement pris le contrôle du parti.

Il y a quelques années, personne n’aurait parié un kopeck sur l’avenir de Belkhadem au sein du FLN et encore moins à sa tête. Vieil habitué de la maison et pur produit de la culture du «front», le nouveau chef était un pestiféré, un «barbéfèlene» et un réconciliateur. Entre 1992 et 1998, il était même accusé de travailler en sous-main pour les islamistes de l’ex-FIS et de militer pour le contrat de Rome en 1995. S’il passe aujourd’hui pour un grand républicain et pour le réformateur du parti, c’est que sa revanche sur le passé tient du miracle.

Cependant, Belkhadem n’est pas le seul à jouir de ce bonheur extraordinaire. Au-dessus de lui, il y a son maître en politique, Abdelaziz Bouteflika ! Le président a lui aussi, et plus que d’autres, subi le jeu des influences au sein du parti et du pouvoir. Pendant très longtemps, il a été victime d’ostracisme et de bannissement par ses camarades et ses pairs. Or, aujourd’hui, il est non seulement le sauveur du parti – on retiendra que c’est lui qui l’a ressuscité en 1999 et qui a pu lui donner une audience dans le jeu des appareils politiques -, mais il est aussi le patron incontesté après avoir accepté le poste de président honorifique.

Derrière ce geste en apparence peu engageant, il y a tout l’enjeu du 8ème congrès. Il ne s’agissait pas seulement de rendre hommage à l’histoire du parti et à la symbolique nationale qui en découle. Il ne s’agissait pas non plus de faire honneur aux militants qui ont arraché le parti des mains de Ali Benflis, incarnation type de l’égaré dans la culture du FLN. Mais d’une action politique à double détente. La première est qu’il fallait d’abord s’assurer que le nouveau secrétaire général soit Belkhadem. Ce n’est pas seulement l’homme de confiance du président et son fidèle collaborateur. Il est surtout le chef de file des redresseurs, celui qui a neutralisé Ali Benflis, mais en donnant à cette opération un contenu sophistiqué qui a réussi à faire oublier que des locaux du parti avaient été attaqués à l’aide de dobermans et de gourdins.

La seconde réside dans le caractère même du fameux poste de président honorifique. Dans l’absolu, cette charge n’implique rien. Son caractère symbolique est rassurant. Mais ce caractère symbolique et honorifique, c’est le président qui l’a voulu, et il sert de discours à destination des autres partis. Au FLN, en revanche, il signifie que M. Bouteflika n’a pas besoin du parti mais que le parti a besoin de M. Bouteflika. Toute la lettre du président au congrès tenait à marquer ce double message. Mais concrètement, les statuts adoptés par le congrès n’ont pas été changés. Ils ne parlent pas d’un président du parti ayant une fonction symbolique, mais d’un président disposant du pouvoir de convoquer le conseil national. Rester dans le statut du parrain symbolique relève du choix du président.

Mais d’un point de vue statutaire, le changement apporté rend impossible la situation où Ali Benflis avait pu verrouiller l’appareil. On peut parier que le président n’aura pas à faire usage de ce pouvoir organique que confèrent les nouveaux statuts au «président du parti». La possibilité d’une crise semblable à celle vécue sous Benflis devient pratiquement impossible du fait de l’existence de ce pouvoir du président. Mais dans l’hypothèse où cette crise apparaîtrait, le statut de président du parti donne non seulement un poids moral, mais aussi un pouvoir juridique opérationnel. La fonction honorifique selon le président peut devenir concrète en cas de crise.

Le scénario est extrême mais imaginons un instant que la complicité qui existe aujourd’hui entre le président et son ministre des Affaires étrangères s’estompe. Comme elle s’était estompée avec Benflis. Dans ce cas, M.Bouteflika pourra, s’il le désire, facilement le contrer. Les nouveaux statuts assurent en définitive une mainmise solide sur le parti. Ses partisans le contrôlent, mais le verrou est mis en cas d’évolution «benflisienne». Le statut de dauphin n’existe plus, même de manière virtuelle. Ce poste honorifique, qui peut devenir opérationnel au regard des statuts, lui assure un contrôle total. Les jeux d’appareils sont neutralisés. Au cas où il envisagerait de briguer un troisième mandat – et pour tous les autres projets -, son choix sera celui du FLN.

Il y a quelques années, on parlait de complot scientifique. Aujourd’hui, il vaut mieux sans doute parler de verrouillage scientifique.

Noureddine Azzouz