L’autre tragédie africaine

ÉMIGRATION CLANDESTINE

L’autre tragédie africaine

L’Expression, 26 août 2006

Des milliers d’Africains disparaissent, chaque année, dans la mer ou dans le désert.

Quelque 300.000 Africains entrent chaque année, clandestinement, dans l´Union européenne et 80% d´entre eux ont recours aux services d´organisations de trafiquants, dont les revenus sont estimés à 300 millions de dollars, par an. C’est ce qu’a révélé un rapport de l´Organisation des Nations unies contre la drogue et le crime (Onudc), rendu public, hier, par le quotidien français Le Figaro.
Une véritable tragédie se cache derrière ces chiffres et dont les héros malheureux ne sont autres que des milliers d’Africains disparaissant, chaque année, dans la mer ou dans le désert, dans le sillage de leurs tentatives de rejoindre le présumé eldorado européen.
Les drames humains se rapportant à l’immigration clandestine ne cessent de défrayer la chronique et d’alimenter l’actualité internationale.
Les dépêches des agences de presse n’arrêtent pas de communiquer des chiffres concernant le nombre de cadavres retrouvés ou disparus suite aux naufrages si fréquents d’embarcations de fortune, transportant des boat peoples africains.
Des naufrages qui se produisent, le plus souvent, au large italien ou espagnol, si ce n’est pas à quelques encablures des côtes africaines: au Maroc, en Mauritanie, en Libye ou en Guinée-Bissau.

Un drame gigantesque

Des sinistrés où il n’est pas rare de trouver des enfants, des femmes et mêmes des personnes âgées.
Le plus récent de ces drames, devenus récurrents, remonte à la semaine écoulée où une dizaine de cadavres ont été repêchés en mer par les autorités italiennes, alors que moins d´un mois plus tôt, treize personnes étaient mortes de faim et de soif après avoir dérivé pendant 20 jours entre la Libye et l´Italie. «Nous sommes en face d´un drame aux dimensions gigantesques. Les traversées sont de plus en plus dangereuses et deviennent de véritables parties de roulette russe», a déclaré, suite à ces drames, Laura Boldrini, la porte-parole du Haut commissariat de l´ONU aux réfugiés.
L’aspect humain de la question a été, durant longtemps, ignoré par les politiques de lutte contre ce phénomène. Des politiques qui prêchent en faveur d’un règlement sécuritaire de cette problématique.
La création d’une force européenne d’intervention commune. La coordination des patrouilles entre les gardes-côtes espagnols avec leurs homologues marocains, mauritaniens et sénégalais pour empêcher l´afflux de clandestins vers l´archipel des Canaries.
Le renforcement du contrôle des frontières maritimes entre la Libye et l’Italie au niveau de l’île de Lampedusa et le resserrement de l’étau sur les trafiquants d’immigrants dans plusieurs pays d’Afrique.
Sont les procédés, entre autres choix sécuritaires, ayant été appliqués et qui ont montré leur limite, puisque le nombre de clandestins et d’ embarcations interceptés ou submergés par les flots n’a pas cessé d’augmenter.
Les guerres civiles, les famines, les violations des droits de l’homme, l’ignorance et les épidémies, qui font des ravages en Afrique, sont là les facteurs qui devraient être combattus. Car la dissuasion sécuritaire, quelle que soit sa nature et sa performance, ne peut se comparer aux motivations de ces aventuriers prêts à risquer leur peau au prix d’un maigre espoir de rejoindre le vieux continent. Les réseaux de trafiquants d’immigrés qui prospèrent chaque jour davantage, et qui sont l’objet d’une campagne médiatique des plus acharnées, ne font, en réalité, que profiter des conditions inhumaines dans lesquelles vivait la majeure partie des candidats à l’immigration clandestine pour ne pas dire l’ensemble des populations africaines. Le phénomène n’épargne aucun pays africain. Les Etats du Maghreb, réputés pour être des passerelles pour les ressortissants de l’Afrique subsaharienne, sont également touchés par l’immigration clandestine.

Le Maghreb à son tour…

Des Algériens, des Marocains et des Tunisiens tombent à l’instar de leurs confrères subsahariens dans les filets des trafiquants qui leur proposent des solutions d’accession en Europe, en contrepartie d’une somme d’argent variant entre 300 et 3000 euros, suivant le point de départ et la fiabilité du moyen de locomotion. Les pays du Maghreb connaissent l’un des mouvements transfrontaliers clandestins, les plus dynamiques, en raison de l’immigration clandestine.
Les pays européens, en leur qualité d’anciens colonisateurs, sont, en grande partie, responsables de cette situation dramatique, d’autant qu’ils continuent d’épuiser les richesses du continent noir et d’alimenter les conflits fratricides au sein de ses Etats.
La situation qui prévaut actuellement dans la République démocratique du Congo, en est la meilleure illustration de cette réalité.
Il suffit de constater, par ailleurs, que quinze des vingt pays les plus développés au monde se trouvent en Europe, tandis que les vingt pays les moins développés se situent en Afrique, pour rendre compréhensible la détermination des ressortissants africains à gagner, coûte que coûte, le continent européen. Il est tout à fait évident que les moyens les plus efficaces pour combattre ce fléau ne peuvent être autres que la lutte contre la pauvreté et l’instauration d’un nouveau ordre mondial, garantissant une répartition équitable des richesses planétaires.

Farouk DJOUADI