Quelles solutions pour les harragas ?

LE PHÉNOMÈNE PREND DE L’AMPLEUR

Quelles solutions pour les harragas ?

Par : Djilali B., Liberté, 10 août 2009

Interception, course-poursuite, arrestation et présentation devant le parquet. C’est à cela que se résume la politique du gouvernement pour gérer le phénomène des harragas, mettant face à face les garde-côtes et les téméraires candidats à l’aventure maritime pour rejoindre les côtes sud-européennes.

Depuis la conférence nationale de la jeunesse, en 2007, et le discours du président Bouteflika appelant les jeunes à rester au pays, parallèlement à l’instruction du gouvernement d’apporter des réponses aux préoccupations des jeunes, la gestion du phénomène s’est limitée aux aspects sécuritaire et judiciaire, alors que la harga s’est amplifiée malgré les sanctions pénales prononcées à l’encontre des harragas.
“Je préfère être mangé par les poissons que de rester ici”, avait déclaré un harraga rescapé, il y a deux ans. Aujourd’hui, cette volonté s’est accentuée avec le dernier incident lorsqu’une embarcation de clandestins est entrée en collision avec la vedette des garde-côtes.
“Out of the limit”, passé ce cap suicidaire, le gouvernement et la classe politique ne semblent pas avoir pris la mesure de la gravité de la situation. À ce “point de non-retour”, le gouvernement répond par le silence et l’actionnement de la machine judiciaire qui distribue, dans la majorité des cas, des peines de prison avec sursis.
Est-ce la seule réponse à une jeunesse qui ne trouve d’issue à sa malvie que dans la fuite du pays par tous les moyens au risque de sa vie ou dans la prison ? N’y a-t-il aucune idée de solution au sein du gouvernement ?
Car quand bien même quelques recettes du “techghil echabab” seraient proposées aux jeunes, concrètement, elles ne sont ni attrayantes ni séduisantes, tant elles soumettent les candidats à l’épreuve de la bureaucratie et de la corruption avant même la naissance de leurs projets. Le Président avait prévenu en 2005 que la corruption représente une sérieuse menace pour la société. Ce constat n’a pas été suivi d’effet ou d’action à même de juguler cette pratique qui gangrène la société.
Et depuis quand la distribution massive de lignes de transport a-t-elle réglé le problème du chômage ? Quelle est la place des nouveaux diplômés et des universitaires porteurs de projets dans les différents dispositifs d’emploi et de création d’entreprises ?
Les choses n’ayant pas changé depuis la fameuse conférence nationale, le phénomène a muté en maladie contagieuse qui n’épargne aucune catégorie sociale. Des universitaires, des pères de famille, des chômeurs, jeunes et moins jeunes, des femmes sont tentés par la harga, ce gros risque pour une vie meilleure, ce slogan qui reste collé au PAP (Programme anti-pénurie) de l’époque de l’ouverture de Chadli Bendjedid. Que faire ? Un gouvernement sans aucune vision, et qui gère un phénomène dramatique comme on gère un dossier Ansej qui propose des formules généralistes consistant à accorder des crédits bonifiés, formules reprises d’ailleurs par le ministre aux mille promesses Djamel Ould Abbès.
À la position du gouvernement qui est assimilée à de l’indifférence, le phénomène s’est établi comme une alternative viable pour les jeunes défiant ainsi les lois de la nature et celles du pays. Les cas de récidive en sont une preuve supplémentaire. D’ailleurs, à peine sortis des tribunaux, la plupart des harragas déclarent avoir décidé de retenter l’aventure jusqu’à aboutir ou périr. Parce que le gouvernement est incapable de vision et d’imagination pour trouver une solution et mettre fin au phénomène et se contente de constats, d’analyses superficielles ; certains responsables politiques sont allés jusqu’à traiter les harragas d’antipatriotes franchissant un nouveau pas dans le mépris envers le peuple, cette attitude qui est à l’origine du fossé entre gouvernants et gouvernés et de leur méfiance mutuelle.

Djilali B.

 


Alors que les parents des victimes accusent les garde-côtes

“Nous les avons tous repêchés”

Par : B. Badis et A. Allia

Les familles des 46 harragas arrêtés durant le week-end passé contestent la manière forte dont auraient fait usage cette fois les forces navales pour mettre en échec la tentative massive d’émigration clandestine de leurs enfants. Deux au moins des parents en question, que nous avons pu rencontrer hier, dénoncent les garde-côtes qui auraient préféré couler deux des embarcations des jeunes clandestins plutôt que de les voir leur échapper. Ces graves accusations qu’aucun élément ne vient conforter sont fondées sur des témoignages concordants apportés par les membres de l’expédition aventureuse eux-mêmes, affirment les deux pères de famille. Ceux-ci demandent l’ouverture d’une enquête pour jeter la lumière sur ce qui s’est réellement passé durant cette nuit dramatique du jeudi au vendredi.
Le premier responsable de la station maritime principale des garde-côtes de Annaba maintient, pour sa part, la version donnée officiellement aux médias juste après l’intervention du GTGC. Il est revenu, hier, lui aussi sur les circonstances dans lesquelles s’est déroulée l’arrestation ou le sauvetage, c’est selon, des 46 harragas qui se trouvaient à bord des deux embarcations artisanales entrées volontairement en collision avec les unités semi-rigides des garde-côtes de Annaba, selon lui.
À ce propos, le chef de la station maritime précise que “les éléments des garde- côtes, qui ont entrepris la course-poursuite après lesdites embarcations dont les 46 passagers ont refusé d’obtempérer à leurs sommations, n’ont jamais utilisé la force contre eux et encore moins provoqué délibérément la collision qui a endommagé leurs embarcations. Au contraire, ce sont les manœuvres des jeunes candidats à l’immigration clandestine qui sont à l’origine des chocs dévastateurs avec nos deux unités. Ce qui n’a finalement fait que porter atteinte à leur intégrité physique”, soutient M. Zaidi Abdelaziz. Et de déplorer à son tour ce qui est advenu ensuite : “Nous les avons repêchés et récupérés tous comme ils étaient, avant de les prendre convenablement en charge. Malheureusement, il y a eu 18 blessés et plus grave encore un décès que nous regrettons du fond du cœur. J’espère sincèrement que pareils incidents ne se reproduiront plus jamais à l’avenir”. Hier, le tribunal d’Annaba n’a pas désempli.
Il a été assiégé depuis l’après-midi d’avant-hier par des centaines de membres de familles des 46 jeunes harragas dont l’âge varie entre 15 et 41 ans. L’opération de contrôle d’identité des “brûleurs” des frontières ordonnée par le procureur près le même tribunal avait duré jusque tard dans l’après-midi d’avant-hier. Elle s’est poursuivie hier avant les présentations devant le magistrat. Un à un, ils ont défilé devant ce dernier et raconté chacun sa version détaillée des circonstances de l’opération depuis le moment où ils ont été repérés par les patrouilles des garde-côtes jusqu’au moment où le pire est
arrivé.

B. Badis et A. Allia


La situation empire d’avantag

Urgence signalée

Par : Salim Koudil

Le phénomène dure depuis des années déjà sans qu’une solution ne vienne mettre le holà. Presque quotidiennement, des tentatives de harga font la une de la presse algérienne depuis près de quatre ans, mais au bout rien n’a changé. Une banalisation dont les graves conséquences s’accumulent avec le temps. La mort d’un jeune harraga vendredi passé à Annaba en est la meilleure illustration, et d’aucuns estiment que la situation ne pourra qu’empirer avec le temps. Même si, pour certains, le fait de revenir aux “origines” du phénomène ressemblera à du déjà-vu ou du déjà-entendu, il n’en reste pas moins qu’en parler pourrait faire bouger les choses ou du moins réveiller les “endormis”.
Si sur la côte ouest, la harga remonte à plusieurs années, Annaba est devenue carrément l’eldorado de l’émigration clandestine depuis la fameuse soirée du 31 décembre 2006. Cette nuit-là, plusieurs embarcations (on a parlé de plusieurs dizaines) avaient quitté la côte bônoise pour accoster en Italie. C’était le début de la déferlante avec des départs sans interruption des jeunes Annabis vers le “paradis” européen. Pendant plusieurs mois, des embarcations de fortune faisaient des allers et retours au vu et au su de tout le monde. Au début, il n’était plus question d’aventures et d’anecdotes croustillantes qui faisaient le tour de la région. La meilleure était peut-être celle du jeune qui avait rejoint l’Italie juste pour fêter le réveillon de “l’autre côté”. Après avoir “bien” festoyé et n’ayant aucun moyen pour rester, ou pour rentrer, il n’a pas trouvé mieux que de… gifler un policier pour être expulsé illico presto. Plus proche de la légende que de la réalité, cette histoire n’est même plus évoquée.
Au côté simpliste et naïf du début, la harga a pris rendez-vous avec la mort, le malheur et l’injustice de la justice. Plusieurs corps inanimés ont été retrouvés en haute mer, et la plupart étaient dans un état de décomposition avancé. Issus de différentes catégories sociales, ces harragas emportés par les vagues et l’insouciance étaient, et sont toujours, l’illustration même de l’échec des politiques. Tous en parlent mais personne ne propose de solutions palpables.
Pis encore, quand ils s’immiscent, c’est pour culpabiliser les jeunes sans rien remettre en cause. Depuis l’été 2008, les migrants clandestins risquent des condamnations à des peines allant jusqu’à six mois de prison. Les déclarations du professeur Mohand Issad sur nos colonnes (édition du 16 février 2009) sont édifiantes quant aux arrière-pensées de cette loi : “Pourquoi criminaliser ? Comment différencier un harraga d’un voyageur ordinaire ? On ne peut pas le deviner. Sur le fond, je prends une barque avec un, deux, trois, même cinq copains, je vais vous dire que je me promène et si les eaux territoriales sont dépassées, personne n’a le droit d’intervenir, car il s’agit des eaux internationales. La loi qui criminalise les harragas est (…) une loi scélérate.”
Mais il y a aussi les cas tragiques des disparus. Une “catégorie” qui a touché tellement de familles que l’“association des familles des harragas disparus” a été créée depuis près de deux ans. Son infatigable président, Kamel Belabed, en compagnie de son acolyte Boubekeur Sabouni, ne cesse de frapper à toutes les portes pour retrouver les traces de son fils et les autres jeunes qui n’ont donné aucun signe de vie depuis la nuit de leur harga. Malheureusement, ses efforts n’ont donné aucun résultat tangible. Contacté par nos soins hier, Belabed s’est dit consterné par les nouvelles vagues de harragas interceptés : “Ça continue de plus en plus et personne ne veut rien faire pour arrêter ça.” Question chiffres, il dira : “À mon niveau, et avec mes simples moyens, je peux vous affirmer que j’ai pu recenser 300 disparus. Le nombre peut atteindre facilement les 10 000, cependant ce n’est pas à moi de les comptabiliser.” Avant de lancer un appel : “Depuis des mois, je demande de l’aide aux autorités mais on me ferme tout le temps les portes. En même temps, la situation s’aggrave et tout le monde détourne son regard de la très dure réalité qui est derrière le nombre incessant des harragas.”
En décembre dernier, Liberté avait publié un sondage aux résultats révélateurs, dont le plus significatif était que “près de 50% des Algériens affirment être des futurs harragas”. Ni avant ni après, aucun engagement palpable des responsables n’a été signalé pour essayer d’éviter la “déferlante” annoncée. En attendant, la mort prend rendez-vous presque quotidiennement avec la mer.

Salim Koudil


Les facteurs sociaux et économiques ne suffisent plus pour expliquer le phénomène

Les jeunes d’aujourd’hui ne sont pas comme ceux des années 70

Par : Nacer djabi

Annaba va mal comme tant de villes algériennes. Comment pourrait-elle se porter mieux, sachant que sa base industrielle, composée essentiellement du secteur public, a été détruite, sans que l’investissement privé devienne une véritable alternative ?

L’agriculture n’a pas réussi, non plus, à attirer la main-d’œuvre au chômage se trouvant sur un marché du travail qui grossit de jour en jour. La crise du logement, notamment dans la vieille ville et les bidonvilles, a aggravé la situation. Le tourisme, qui aurait pu constituer une solution dans cette belle région, n’a pas réussi à devenir une activité principale, comme ce fut le cas dans la proche Tunisie. Le bel hôtel Mountazah de Seraïdi continue à se plaindre du manque de touristes durant les mois de juillet et août. Le pire, c’est que lorsque vous entrez à El-Kala, en provenance de Tabarka, vous avez l’impression d’entrer dans une ville qui vient de subir une attaque militaire. Les touristes sont absents, et aucune activité culturelle, aucun loisir ne sont visibles. Même les sardines sont absentes des restaurants du port où la saleté règne et où l’on vous propose du poulet, rien que du poulet, en plein été, sur les bords de la Méditerranée amoureuse de la vie, comme les habitants de la ville d’El- Kala et ses jeunes. Et si vous avez un besoin urgent, on vous suggère de vous diriger vers l’ancienne belle église, en face du port, dont une partie a été transformée par les commerçants en toilettes, contre 10 dinars pour chaque personne !
La mer Méditerranée, qui aurait pu être un espace de travail et de vie, a été, au contraire, transformée par les jeunes Algériens en un espace de mort et d’aventure, notamment pendant cette saison, fuyant leur dure réalité sociale et économique, caractérisée par un fort taux de chômage, une crise de logement aiguë, une absence de loisirs, mais pis encore, une absence de perspectives.
L’Algérie, dans cette situation, paye le prix de sa démographie politique.
Malgré cela, expliquer le phénomène de la harga qui a pris des proportions alarmantes, ces derniers temps, par les seuls arguments économiques ne suffit pas, malgré l’importance des facteurs économique et social. En effet, on a découvert des harragas qualifiés et diplômés, des employés et gens mariés et certaines personnes âgées des deux sexes.
Durant les années 70, et même les années 80, les jeunes, qui n’avaient pas besoin de visa pour aller en Europe, n’émigraient pas. Une bonne partie d’étudiants y retournaient après la fin de leur cursus. Que s’est-il passé, alors, en Algérie, pour qu’un grand nombre de nos jeunes décide d’émigrer à ce point si proche du suicide ?
La situation économique et sociale des jeunes y est pour beaucoup, mais ne constitue pas la seule explication. Les mentalités des jeunes ont changé, ainsi que la vision de l’autre et de la vie. De nouvelles revendications ont vu le jour que les jeunes n’ont pu exprimer, mais qui constituent une explication au phénomène de la harga. Le jeune du nouveau millénaire n’accepte plus ce qu’acceptaient les jeunes des années 70 qui étaient beaucoup plus intégrés dans des projets économiques, intellectuels et politiques collectifs, proches du pouvoir ou de l’opposition. En fait, le jeune des années 70 ne voyait pas de contradiction entre ses projets individuels et ceux proposés à titre collectif.
Les jeunes harragas insistent, dans leurs discours et arguments, sur ce qui est en mesure d’être négociable socialement et ce qui est acceptable socialement, tels que la question du chômage, mais ils ne citent pas les questions liées aux loisirs et à la qualité de la vie qu’ils veulent. Il se peut que ce jeune soit un salafiste ou un religieux assidu, comme cela a été le cas à plusieurs reprises, et qu’il rêve de vivre dans le pays de la guerre sur le modèle des gens du pays de la guerre qu’il voudrait atteindre par les embarcations de la mort, en quittant la maison de l’Islam par tous les moyens.
Le jeune harraga n’insiste pas dans son discours, sur la crise sexuelle aiguë qu’il vit, ni sur sa vision de la liberté sexuelle qui l’attend en Italie et en Espagne avec les belles de ces pays dont il est en contact permanent via Internet des nuits durant à partir des cybercafés du quartier au point où l’on peut le considérer comme un polygame virtuel.
Le jeune harraga évite d’évoquer son refus d’intégrer les projets des institutions politiques et sociales en place et son refus du jeu politique, ses élites et ses institutions activant au sein du pouvoir ou de l’opposition, et comment ces institutions ont cessé d’être convaincantes à ses yeux au point où il ne veut ni s’y opposer, encore moins les changer. Il veut seulement quitter le pays et laisser le pays à ses propriétaires, comme il dit. Ce pays qui le fait pleurer lorsqu’il entend de ses nouvelles et de celles de ses proches, mais qu’il veut quitter même de façon folle.
La harga, qui s’est transformée en projet collectif non seulement au niveau des enfants du quartier, mais auquel participent aussi le frère et la sœur en contribuant à son financement. Ce financement bénéficie aux bandes qui y ont trouvé une manne inestimable, d’autant plus qu’il ne concerne plus les jeunes des villes côtières, mais s’est étendu aux villes de l’intérieur, et son ampleur s’est accentuée durant la période estivale, en dépit de la promulgation de lois criminalisant cette activité.
Le harraga que l’on n’a pas assez entendu lorsqu’il parle librement pourrait dire qu’il n’est plus en mesure d’imaginer ses projets individuels et son avenir dans un cadre plus grand, national et collectif. Le travail qu’on lui propose, si vraiment il l’obtient, n’arrive pas à subvenir à ses besoins et à sa vision de la vie qu’il voit à la télévision, qu’il a entendue de la bouche des émigrés, qu’il a lue dans les revues et les journaux ou les sites internet. C’est un travail qui le marginalise, au lieu de l’intégrer. Un travail qui ne répond pas au seuil minimum de ses désirs. Son seul projet reste l’émigration, même sous sa forme suicidaire… Et le plus grand groupe avec lequel il pourrait s’entendre et coordonner son projet individuel reste le nombre réduit de voyageurs qui prendront le large avec lui sur les embarcations de la mort.

N. D.

Traduit de l’arabe par
Azzedine Bensouiah


Une autre tentative d’émigration clandestine déjouée

7 harragas arrêtés à Mostaganem

Par : M. O. T.

Sept jeunes prétendants à l’émigration clandestine ont été arrêtés dans la journée d’hier par les garde-côtes stationnés au port de commerce de Mostaganem.
Tous originaires de la wilaya de Chlef, le groupe de jeunes, dont le cadet était âgé d’à peine 18 ans et l’aîné n’excédait pas les 30 ans, avait embarqué à partir de la rive d’Ouled Boughalem, la commune extrême-orientale de Mostaganem et limitrophe de la wilaya de Chlef. “Ils venaient vraisemblablement d’appareiller quand ils furent surpris, à 3h 40mn du matin, par une brigade des garde-côtes qui patrouillait au large de cap Kramis”, a expliqué l’officier responsable de ce corps de sécurité sur les ondes de Radio Mostaganem qui avait rapporté l’information.

M. O. T.