L’Algérie, de pays de transit à terre d’accueil

DEMANDES D’ASILE, DÉPLACEMENTS DE RÉFUGIÉS ET FLUX MIGRATOIRES

L’Algérie, de pays de transit à terre d’accueil

Le Soir d’Algérie, 8 septembre 2012

Il n’y a pas longtemps, l’Algérie était considérée comme un pays de transit, notamment pour les nombreux Africains voulant rejoindre l’Europe fuyant la misère et la guerre, mais aujourd’hui, elle change de statut par la force des choses, devenant une terre d’accueil.
Certes n’offrant pas le confort ou les opportunités d’emploi mais assure un minimum en termes de paix et de solidarité. Les conflits se multipliant ces derniers temps au Niger, au Mali, comme en Syrie, des vagues de réfugiés trouvent asile en Algérie avec une certaine facilité d’accès même si la législation qui protège les populations étrangères en détresse fait défaut, si bien que leur prise en charge est quasiment inexistante. Ces réfugiés se retrouvent souvent livrés à eux-mêmes. La crise économique frappe l’Europe de plein fouet, les immigrants subsahariens sont constamment refoulés vers l’Algérie qui leur sert de pont avec le Vieux Continent. Confrontés aux mesures drastiques imposées par les pays de la rive nord, ces voyageurs clandestins, impuissants et manquant de ressources, sont coincés dans le corridor algérien. Il arrive qu’ils tentent leur chance comme les nombreux haraga, mais rares sont ceux qui atteignent l’autre côté de la mer. S’ils ne sont pas accostés par les gardes-côtes, les risques de périr dans les flots sont inévitables. Bon nombre de Subsahariens se résignent à rester en Algérie en espérant des jours meilleurs. Un rapport récent du Réseau euro-méditerranéen des droits de l’homme ainsi que les dernières statistiques des autorités officielles confirment cette tendance. C’est ainsi qu’en l’espace de quelques mois, l’Algérie a dû mettre en place des centres d’accueil et des camps de refugiés pour les déplacements massifs de civils fuyant la guerre. Le nombre de ces réfugiés et demandeurs d’asile est appelé à augmenter, vu la proximité géographique de l’Algérie avec les pays qui vivent des conflits, à l’origine d’une véritable catastrophe humanitaire, notamment pour ce qui est des Maliens et des Nigérians. Au nord du Mali, la situation des populations à Tombouctou, Kidal et Gao est extrêmement compliquée. Ces villes contrôlées par les groupes terroristes ne sont pas près de connaître un épilogue eu égard à l’instabilité sécuritaire et l’absence d’un ordre institutionnel. En outre, les pays du champ s’apprêtent à engager leurs troupes pour déloger les groupes terroristes islamistes, une tâche qui semble de prime abord extrêmement ardue. Autant dire que l’Algérie, partie prenante dans cette mission, devra faire face à un flux migratoire, pour venir en aide aux sinistrés de la guerre.

Le HCR impuissant

Selon une étude sur la migration et l’asile dans le Maghreb élaborée par le Réseau euro-méditerranéen des droits de l’homme, il y aurait 90 000 immigrés en Algérie dont 10 000 en situation irrégulière, 138 réfugiés et 192 demandeurs d’asile. La population étrangère est estimée à 242 000 au 1er janvier 2012. Cette population est dominée par les réfugiés dont 150 000 personnes originaires du Sahara et 4 000 Palestiniens. Bien entendu, ces statistiques sont approximatives car il y aurait d’autres migrants qui n’ont pas été recensés. On ignore, par exemple, le nombre d’Irakiens. Quant à la communauté syrienne résidant en Algérie, elle compte 8 000 ressortissants qui reçoivent régulièrement leurs familles et qui se déplacent aussi en Syrie. Mais avec le conflit persistant, la majorité d’entre eux ont pris des billets sans retour et le chiffre de 12 000 donné par le ministère de l’Intérieur, bien qu’il donne l’impression a priori exagéré, peut très bien correspondre à la réalité. D’ailleurs, ce n’est pas fortuit si Air Algérie a décidé de diminuer de trois à deux par semaine ses vols Damas-Alger. Cependant, en dépit du nombre croissant de refugiés, rares sont ceux qui bénéficient d’une couverture du Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR), à cause du vide juridique et du manque de documents administratifs. Seul avantage qu’ils ont, l’accès aux soins dans les hôpitaux publics. Le nombre de réfugiés qui sont sous la protection du HCR s’élève à 160 personnes et plus de 500 demandes d’asile sont en cours d’étude. A ce nombre, il faut ajouter les 86 supplémentaires émanant d’opposants politiques syriens. Ces derniers mois, il y a eu une tendance à la hausse des réfugiés notamment ceux provenant du nord du Mali après la rébellion des Touaregs et le coup d’Etat par les bérets verts contre le président Amadou Toumani Touré (ATT), au mois de mars dernier. Cette situation inextricable aux allures de bourbier afghan risque de perdurer et de gonfler le nombre de réfugiés en présageant d’une catastrophe humanitaire aux portes de nos frontières sud. Selon le ministère de l’Intérieur, plus de 30 000 Maliens se seraient réfugiés dans le sud de l’Algérie.

L’urgence d’une législation adéquate

Le directeur des programmes au sein de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH), Abdelmoumène Khellil, nous explique que «notre pays a ratifié par décret 1963-274 les conditions d’application de la convention de Genève sur les statuts des réfugiés ainsi que le protocole de1967. L’Algérie a également ratifié en 1974 la convention de l’OUA de 1969 régissant les aspects propres aux réfugiés en Afrique. Cependant, notre pays ne dispose pas d’un cadre national adéquat ou formel garantissant la protection des réfugiés ni la reconnaissance de leur statut. C’est actuellement le HCR qui est responsable de l’examen des demandes d’asile. Dans les faits, les réfugiés reconnus par le HCR ne bénéficient d’aucune protection réelle de la part des autorités algériennes. Ils n’ont pas accès aux documents administratifs ni au marché de l’emploi et ne bénéficient donc d’aucun statut particulier et peuvent être aisément victimes de détention ou d’expulsion. En l’absence d’un cadre juridique effectif en matière d’asile, les réfugiés et les demandeurs d’asile sont formellement considérés comme des migrants irréguliers en Algérie». «Il est nécessaire, ajoute-t-il, d’amender la loi relative aux conditions d’entrée, de séjour et de circulation des étrangers en Algérie ainsi que de la mise en place d’un cadre juridique spécifique afin qu’ils soient conformes aux principes du droit international en matière de protection des droits de l’homme ainsi que du droit humanitaire de nature à garantir les droits des réfugiés». Notre interlocuteur soutient qu’«une demande d’asile est soumise à une enquête minutieuse qui peut prendre des mois voire des années et en attendant les demandeurs d’asile sont en butte à beaucoup de difficultés. Quant aux migrants subsahariens qui fuient et la misère dans leur pays et les groupes islamistes extrémistes, ils se retrouvent souvent dans la rue et leurs enfants sans aucune protection». «Il est temps, conclut-il, de se pencher sérieusement sur la question car cette situation peut créer un désordre social grave qui peut échapper au contrôle. Il faut également donner plus de prérogatives et de moyens au HCR, trouver des mécanismes d’aide efficients pour intégrer ces refugiés dans le monde du travail afin qu’ils puissent avoir un minimum de vie décente».
Fatma Haouari


RENCONTRE SUR LA THÉMATIQUE DES MIGRANTS

Comment allier sécurité et protection des réfugiés et des migrants

La thématique des migrants a été au centre d’un atelier qui s’est déroulé à l’hôtel de ville d’Oran, ce jeudi, avec comme problématique «la protection des mineurs et groupes vulnérables».
En fait, cet atelier, qui a regroupé de très nombreux participants, des universitaires, des juristes algériens et italiens, des représentants d’associations et d’ONG internationales ainsi que les représentants des institutions nationales algériennes, s’inscrit dans le cadre d’un projet cofinancé par l’UE et le gouvernement italien. L’intitulé du projet : «Algérie : renforcer la protection des migrants et les capacités de gestion des flux migratoires mixtes», va être élaboré dans un délai de 18 mois, en partenariat avec, du côté algérien, la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’homme (CNCPPDH) et le Conseil italien pour les réfugiés (CIR) avec la participation d’autres organismes à l’image du Haut-commissariat aux réfugiés des Nations unies (UNHCR), de l’Union des juristes italiens pour les droits de l’homme. Plusieurs communications ont été données durant la matinée, axées sur les différents instruments internationaux relatifs aux droits des réfugiés particulièrement les textes ratifiés par l’Algérie comme la convention de Genève, la convention de New York de 1989 sur le droit des enfants. Les mécanismes de protection des enfants mineurs non accompagnés ont été mis en relief avec l’obligation pour le pays hôte d’assurer la protection de ces enfants demandeurs d’asile, leur permettre l’accès à une scolarisation, aux soins, un accueil dans des centres d’hébergement adaptés aux enfants, aux familles ou aux femmes. Faisant un point de la situation en Algérie, les représentants du bureau du HCR parlent de 119 réfugiés reconnus par leurs soins et pas moins de 1 331 demandes d’asile. Pour ce qui est des enfants mineurs réfugiés, la représentante du HCR signalera que ce n’est que ces jours derniers que le ministère de l’Education nationale a donné son accord pour la scolarisation des enfants. «Jusqu’à présent, il n’y avait pas de décision de ce type et nous étions obligés de scolariser les enfants dans des établissements publics», ajoutant qu’il n’existe pas en Algérie de politique d’accueil et d’hébergement que ce soit pour les réfugiés ou les migrants. A noter la précision du SG de la CNCPPDH qui dira que cette autorisation de scolarisation concernait aussi bien les réfugiés que les Subsahariens, ce qui est nouveau dans notre pays. L’aspect plus politique de cette rencontre autour des réfugiés et des migrants est nettement apparu lors des allocutions d’ouverture notamment, lorsque Rezag Bara en sa qualité de conseiller du président interviendra pour évoquer l’évolution de la situation aux frontières sud et est de l’Algérie. En effet, ce dernier ne manquera pas de marquer la différence entre la position algérienne par rapport à ses partenaires de l’UE du CIR, sur ces questions de gestion des flux migratoires mixtes. Assurant et réaffirmant que les réfugiés et les migrants ont droit à la protection notamment les plus faibles. L’intervenant réitèrera la position inchangée de l’Algérie défendant son concept de frontière, «une frontière ce n’est pas de dresser des barrières, des fermetures mais cela doit être des zones d’échange et de solidarité». Sur ce, Rezag Bara ira encore plus loin en expliquant qu’il ne s’agit pas dans le cadre du projet de partenariat et de coopération «d’appliquer les mesures et les textes de fermeture des portes de l’Europe ou servir de bouclier à l’Europe, mais de trouver des solutions pour faire respecter les droits de l’homme, des aides humanitaires et aider au retour volontaire une fois qu’il y a la stabilité », excluant encore toute création de centre de rétention ou d’isolement mais sans pour autant sacrifier les mesures de vigilance sécuritaires, insistera-t-il. Au terme des ateliers des travaux, des recommandations devraient être rendues publiques, avons-nous appris auprès des organisateurs.
Fayçal M.