Le Mali dans l’incertitude

Après la démission forcée du premier ministre

Le Mali dans l’incertitude

El Watan, 12 décembre 2012

Prévisible, la destitution par les militaires du Premier ministre malien, Cheick Modibo Diarra, n’a pas été une surprise. En quelques mois seulement, il a réussi à faire l’unanimité contre sa personne. Son limogeage suscite le report, encore une fois, des concertations devant aboutir à une sortie de crise.

Même les putschistes, qui ont appuyé sa candidature pour mener à terme la période de transition, ont fini par le lâcher et de manière brutale, lui qui était un farouche défenseur de l’option militaire dans la résolution du problème du Nord occupé par les rebelles touareg et les terroristes. Il a été arrêté, lundi soir, à l’aéroport de Bamako, alors qu’il était sur le point de s’envoler vers Paris. Quelques heures plus tard, il est destitué de son poste et apparaît (tôt dans la matinée d’hier) sur la chaîne de la télévision publique pour annoncer brièvement sa démission et celle de son gouvernement. Les réactions ne se font pas attendre. La France, qui se dit «préoccupée», condamne les «circonstances» de cette «démission», demande la formation rapide d’un «nouveau gouvernement représentatif», alors que la chef de la diplomatie européenne, Catherine Ashton, a appelé l’armée de ne pas interférer dans la vie politique, tout en exprimant son souhait de voir un Premier ministre «consensuel» rapidement nommé.

Des événements qui interviennent au lendemain de la décision de l’Union européenne de mettre en place sa mission de 400 militaires, dont 250 formateurs, devant être dépêchée à Bamako, dès le 1er trimestre de 2013, officiellement pour soutenir l’armée malienne et, officieusement, l’aider à reconquérir le nord du pays. Une reconquête qui avait suscité de profondes divergences entre les partisans du dialogue et ceux de l’intervention militaire étrangère. Une intervention qui a fait l’objet d’une demande officielle du Mali et de la Cédéao auprès de l’ONU d’autoriser rapidement le déploiement d’une force internationale de 3300 hommes dans le Nord. Le Conseil de sécurité a jugé le concept de cette force, tel que présenté par la Cédéao, incomplet et l’a renvoyé pour une meilleure définition de ses prérogatives, de ses moyens et surtout de ses cibles.

A ce titre, il est important de préciser que le Premier ministre Diarra, avait plusieurs fois exprimé son vœu de voir l’opération militaire étrangère rapidement exécutée, alors que chez les militaires, c’est l’option du dialogue national à travers les concertations, notamment, qui est privilégiée avec, en parallèle, une action militaire confiée à l’armée malienne à laquelle la communauté internationale apporterait aide et soutien logistique. Est-ce ces divergences qui ont poussé les putschistes à écarter Diarra ? Probablement. En tout état de cause, ce coup de force plonge encore une fois le Mali dans l’incertitude et montre la fragilité assez inquiétante de ses institutions.

Si le porte-parole du Comité national de redressement de la démocratie et de la restauration de l’Etat (CNRDE), représentant les putschistes se déclare serein (voir entretien) et annonce que les concertations auront lieu, pour permettre d’aller rapidement vers une sortie de crise, ses détracteurs voient en cette démission forcée un autre coup d’Etat qui démontre la mainmise des militaires dans la gestion du pays. Des divergences qui, malheureusement, empêchent tout espoir de voir la crise politique résorbée, pour passer à la libération du Nord…

Salima Tlemçani

Bokary Mariko. Porte-parole du CNRDRE
«L’agenda du Premier ministre était contre les intérêts du Mali»

Porte-parole du Comité national de redressement de la démocratie et de la restauration de l’Etat (CNRDRE), l’instance présidée par le capitaine Sanogo, le chef
de la junte militaire au pouvoir à Bamako, Bokary Mariko, explique dans cet entretien les raisons qui ont poussé à la destitution du Premier ministre Cheikh Modibo Diarra.

– Quelles sont les raisons qui ont poussé le chef du CNRDRE à destituer le Premier ministre Cheikh Modibo Diarra de son poste, à la veille de la tenue des concertations nationales ?

Le Premier ministre était sur le point de fuir en France, lorsque les militaires l’ont intercepté à l’aéroport. Selon ses dires, il devait aller faire un bilan de santé, mais lorsque les militaires ont fouillé ses bagages, ils ont découvert de nombreux enregistrements dans lesquels il appelle la population à manifester contre l’armée et à protester contre les concertations qu’il n’avait pas l’intention de tenir. Il a été arrêté et emmené à la caserne de Kati et destitué de son poste parce que son agenda politique était en contradiction avec les intérêts du Mali. Il voulait se maintenir au pouvoir en repoussant le plus loin possible les concertations. Il est actuellement chez lui, en résidence surveillée et un autre gouvernement sera nommé dans les prochaines heures, ou au plus tard dans les tout prochains jours.

– Qu’en est-il alors des concertations ? Vont-elles avoir lieu ?

Bien qu’elles auront lieu normalement, elles sont repoussées d’une journée seulement. C’est-à-dire que les travaux devront s’ouvrir demain (aujourd’hui ndlr) après-midi.

– Sans le Premier ministre auquel l’organisation a été confiée…

Peut-être avec son successeur, ou sans. L’essentiel c’est que cette rencontre ne soit pas bloquée.

– Quel est le sort du président sachant que ce dernier semble quasiment absent de la scène politique ?

Justement, l’une des raisons de cette destitution est ce bicéphalisme dans le pouvoir. Le Premier ministre avait les pleins pouvoirs, au point où le président ne pouvait rien faire. Toutes ses décisions étaient bloquées. Maintenant, il a les coudées franches. Il formera le gouvernement d’union nationale qui agira dans l’intérêt du peuple malien et rien d’autre. Sa priorité sera surtout d’organiser rapidement les concertations en faisant en sorte qu’elles soient les plus représentatives possibles.

– Comment une armée a-t-elle pu être chassée des deux tiers du territoire en quelques jours ?

Notre armée n’a pas déserté le terrain. Elle s’est retirée pour éviter des carnages, après avoir été totalement abandonnée par son commandement. Nos effectifs étaient très réduits dans ces régions. A Kidal par exemple, nous avions à peine une centaine d’hommes sous-équipés et à court de munitions rendant toute riposte dérisoire Les milices arabes et touareg étaient impuissantes. Tessalit n’aurait jamais dû tomber avec les garnisons qui y étaient positionnées. Mais celles-ci avaient été encerclées durant des jours, coupées de toute aide, qu’elle soit militaire ou tout simplement logistique, notamment l’eau et les vivres. Personne n’a répondu aux appels de détresse que les soldats lançaient. C’est un avion militaire qui leur a largué les vivres pour ne pas mourir de soif. La chaîne de commandement s’est rompue. Le Nord était carrément coupé du Sud et aucune nouvelle ne parvenait aux familles.

– Est-ce pour cette raison que le coup d’Etat a eu lieu ?

En fait, le coup d’Etat a eu lieu par la force des choses. En sortant dans la rue, en cette nuit du 22 mars, le capitaine Sanogo n’avait aucunement l’idée de renverser le président ATT (Amadou Toumani Touré). Rappelez-vous ce qui s’est passé avant. Les militaires avaient le moral au plus bas. Les corps de leurs camarades tués au Nord étaient enterrés clandestinement. Des centaines de nos soldats se sont faits prisonniers, alors que 118 d’entre eux ont été massacrés à Aguelhoc, sans que le commandement ne daigne bouger le petit doigt. Pendant ce temps, ATT s’occupait de la préparation des élections régionales. Les épouses et veuves des militaires ont été les premières à manifester dans la rue pour l’interpeller. Il les a reçues en promettant d’envoyer des renforts et de l’armement dans les plus brefs délais. Mais ce n’était que des promesses. Lorsque le ministre de l’administration locale et celui de la Défense sont venus à la caserne de Kati, les militaires pensaient qu’ils allaient leur donner les nouvelles du Nord, mais eux, ils ne faisaient que parler des élections.

Pris de colère, l’un des militaires s’est approché d’un des ministres suscitant la réaction violente de son garde du corps, lequel a usé de son arme. Là, les soldats se sont déchaînés et ont pris en otages les officiels, avant de vider l’armurerie. En furie, ils sont sortis dans la rue pour exprimer leur révolte. Arrivés à hauteur du siège de la Télévision, un groupe y est entré et un autre s’est dirigé vers le palais présidentiel de Koulouba. Le ministre de la Santé informe par téléphone le capitaine Sanogo de la fuite de ATT avec l’aide de quelques Bérets verts et non pas, comme cela a été affirmé, des Bérets rouges, sa garde présidentielle. Le capitaine Sanogo s’est retrouvé seul au palais présidentiel. Du coup, il est devenu maître des lieux. En fait, nous savons maintenant que ATT ne voulait pas quitter le pouvoir. Il avait fait exprès de laisser pourrir la situation au Nord pour renvoyer aux calendes grecques l’élection présidentielle. Celles-ci ne pouvaient se tenir dans le délai de deux mois. Le fichier électoral n’était même pas prêt. Tous les scrutins qu’il avait organisés auparavant étaient trichés et la corruption a atteint un seuil intolérable. Le rapport du vérificateur général fait état de 500 milliards de francs CFA détournés en l’espace de six ans.
Certains expliquent cette situation par l’impuissance de l’armée face aux contingents armés venus de Libye après la chute d’El Gueddafi…
Les mêmes contingents n’ont pu s’installer ni au Niger, ni en Algérie, ni au Tchad. Pourquoi ont-ils réussi au Mali, si ce n’est grâce au laxisme du régime de ATT. Il fallait être un président comme lui pour accepter l’inacceptable. Il a dépêché une délégation de six ministres pour les accueillir sur un tapis rouge et leur remettre des enveloppes financières, alors qu’ailleurs, chez nos voisins, ils ont été traduits devant la justice. Il y avait une complicité avérée entre ces contingents et ATT qui assume l’entière responsabilité de cette situation. Notre armée a été jetée dans la gueule du loup. Aujourd’hui, nous voulons que les concertations se tiennent le plus rapidement possible. Nous ne pouvons plus continuer à subir un président inactif et un Premier ministre qui passe son temps à tergiverser. Nos soldats sont prêts à assumer leur responsabilité, mais les politiques semblent occupés par d’autres considérations.

– Pensez-vous qu’une intervention militaire internationale est la solution idoine pour récupérer le nord du pays ?

Certains pensent que notre armée est incapable. Moi je dis, il faut lui donner les moyens et l’opportunité pour qu’elle puisse réinvestir le terrain. Pourquoi la communauté internationale donne-t-elle la somme d’un million de dollars à des troupes en attente, alors qu’elle aurait pu les dépenser dans les projets de développement destinés à la population ? L’intervention étrangère n’a jamais été une solution pour régler les crises. Les exemples de la République démocratique du Congo, de la Côte d’Ivoire, de l’Afghanistan, de l’Irak et tant d’autres sont là pour le prouver. Il faut revenir aux causes qui ont été à l’origine de cette crise. En dix années, 1500 milliards de francs CFA ont été dépensés au Nord, alors que sur le terrain il n’y a rien. Seule une minorité a profité de cette manne avec la complicité du régime. Il est légitime qu’une nouvelle génération veuille un changement, mais ce n’est certainement pas le MNLA, un groupe soutenu par la France, et dont les responsables sont reçus en grande pompe au Quai d’Orsay. Nous savons que Sarkozy a fait un deal avec les divisions touareg de Libye. Il leur a promis un Etat de l’Azawad au nord du Mali, en contrepartie de leur défection de l’armée libyenne. Lorsqu’ils sont rentrés au pays puissamment armés et ont bénéficié d’un accueil de héros, de nombreux officiers touareg, qui étaient dans l’armée malienne, les ont rejoints. La confiance entre le régime et l’armée était rompue. La paix ne peut se construire sans un Etat fort. La solution de la crise commence par la stabilisation des institutions et la prise de décisions difficiles que seul un pouvoir fort peut mettre à exécution. Les concertations ont pour objectif de trouver les solutions idoines. Mais la Cédéao veut d’abord faire la guerre et après se concerter. Supposons que les soldats africains viennent à Bamako. Nous savons que cette opération sera financée par l’ONU, et de ce fait, tous les militaires qui viendront auront un salaire, de loin plus important que celui des soldats maliens, auxquels, dit-on, le commandement des opérations leur sera confié. Ca sera la pire des insultes que notre armée aura à subir. Le Mali a besoin d’actions consensuelles globales, une réponse plus rapide, une stratégie à long terme qui stabiliseront le nord du pays de manière pérenne. Si le Mali avait joué pleinement son rôle au sein du Commandement des états-majors militaires opérationnels (Cemoc) basée à Tamanrasset, jamais il n’aurait vécu de tels évènements. Nous aurions fait face à la menace avec l’aide de nos voisins, notamment l’Algérie. Nous devons tirer les leçons de ces erreurs.

– Selon vous, est-ce par laxisme ou par complicité que le Mali n’a pas joué son rôle au sein du Cemoc ?

C’est plutôt par complicité que le régime de ATT n’a pas voulu faire le ménage au nord du pays. Il tirait profit des rançons payées par les pays occidentaux pour la libération des otages, enlevés par les terroristes et profitait du trafic de drogue et de la criminalité transnationale. Pourquoi, selon vous, les terroristes dirigeaient à chaque fois leurs otages au nord du Mali, et arrivaient dans tous les cas à entrer en contact avec nos dirigeants pour négocier les rançons ? Tout simplement parce qu’ils bénéficiaient de facilités sur le terrain, qui leur permettaient de circuler en toute quiétude pour peu qu’ils partagent la manne financière avec le régime et ses alliés. Aujourd’hui, il y a une nécessité d’aider le Mali à renforcer sa sécurité. La menace terroriste n’a pas de frontière et les pays du champ sont les premiers concernés. Le Mali seul ne peut rien faire. L’Algérie est un pays fort qui a une armée professionnelle. Elle est la plus indiquée pour nous aider, d’autant qu’elle partage la plus grande frontière avec notre territoire et connaît assez bien le terrain et la menace. Avec les pays de la Cédéao, cela n’est pas le cas. Il faut donc se donner la main pour chasser les terroristes et prendre en charge les problèmes de développement vécus par les populations du Nord.

– Certains politiques maliens accusent pourtant l’Algérie de ne rien faire pour le Mali…

Depuis le coup d’Etat et même bien avant, l’Algérie a beaucoup donné pour le Mali, notamment à l’armée malienne. D’excellentes relations lient notre armée à l’Algérie. Les aides sont nombreuses et variées. Cela va de la formation, qui ne s’est jamais arrêtée, au soutien logistique, jusqu’aux convois humanitaires. S’il y a un pays dans la région qui a le plus donné au Mali, c’est bien l’Algérie. Son tort, c’est de ne pas en parler. Aujourd’hui, elle est l’un des rares Etats à avoir adopté une position qui préserve l’intérêt de notre pays et à l’avoir défendu d’une manière inlassable, contre celles et ceux qui sous-traitent l’action militaire.

– Est-il possible d’arriver à de telles solutions, sachant que de nombreux accords signés à l’issue des précédentes rebellions n’ont pas connu de suite sur le terrain ?

Cet échec incombe au régime de ATT. D’importants fonds ont été dégagés pour sécuriser ces régions par l’implication de la population locale à travers des unités armées mixtes, mais ils ont été détournés avec la complicité d’une minorité de chefs touareg ayant été par la suite injectés dans les rouages des institutions de l’Etat. Il faut apporter des solutions réelles aux problèmes du développement et se dire que tant qu’il y aura des no man’s land, il y aura toujours de l’insécurité. La nature a horreur du vide.

– Pourquoi, selon vous, ces concertations sont-elles à chaque fois reportées ?

Nous voulons que ces concertations soient souveraines pour que ses décisions soient les plus consensuelles possibles, mais le Premier ministre ne faisait que tergiverser. Il voulait les vider de leurs prérogatives. Le Mali a besoin de décisions immédiates. Nous sommes à quatre mois de la fin du délai de la transition. Je reste convaincu que seul un dialogue serein et sincère pourra résoudre la crise. Mais cela ne semble pas constituer la priorité de la direction politique actuelle. Peut-on croire un président intérimaire comme Dioncounda ?

– Certains affirment que c’est l’armée qui a demandé le report des concertations. Est-ce vrai ?

En fait, c’est cheikh Osmane Cherif Haidara, président d’Ançar Eddine, qui a demandé au capitaine Sanogo, à Kati, d’intercéder auprès du président Dioncounda pour reporter ces assises en raison de la contestation de certains partis, dont le FDR, qui se plaignaient de leur exclusion. Tout le monde était d’accord sur la nécessité d’une participation la plus large possible pour réussir de telles assises.

Salima Tlemçani