L’UGTT, ou le rôle politique de l’unique centrale syndicale de Tunisie

L’UGTT, ou le rôle politique de l’unique centrale syndicale de Tunisie

Le Soir d’Algérie, 16 janvier 2011

Bien que syndicat unique, l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT) a toujours joué un rôle capital dans les mouvements sociaux. Si sa direction nationale a souvent été proche du pouvoir, ses unions régionales et ses cadres locaux ont de tout temps soutenu et accompagné les mouvements de protestation. L’implication de sa structure régionale dans les événements qui ont secoué Sidi Bouzid en constitue la meilleure preuve. L’UGTT a réussi là où les partis politiques ont échoué.

Abder Bettache – Alger (Le Soir) – Les commentateurs avisés qui suivent avec beaucoup d’attention les développements de la crise sociale en Tunisie oublient, trop souvent, de parler du rôle central que joue l’UGTT (Union générale des travailleurs tunisiens) dans l’épreuve de force ouverte et dont nul, aujourd’hui, ne peut prédire l’issue. Pourtant, la place qu’occupe et que va occuper l’UGTT sera sans doute l’élément déterminant pour la survie ou l’effondrement total du régime de Ben Ali, L’implication directe de la structure régionale de l’UGTT dans les événements de Sidi Bouzid a créé un effet de feedback, obligeant sa direction nationale à rejoindre les mouvements sociaux. L’UGTT a joué pleinement son rôle dans les semaines qui ont suivi les événements de Sidi Bouzid. Pour preuve, dans son dernier communiqué, l’UGTT a été ferme dans sa position en plaçant ses revendications à un niveau clairement politique. Elle exige, ainsi, des réformes politiques dans le sens de la démocratie et le renforcement des libertés. Le comité administratif, soit l’équivalent de la commission exécutive nationale (CEN) de l’UGTA, a dénoncé la situation de déséquilibre régional dans la politique de développement et demandé sa révision face à l’échec des investissements privés dans ces régions, malgré les privilèges fiscaux financiers et sociaux dont ils ont bénéficiés. L’UGTT a revendiqué le droit d’être représentée au sein des conseils régionaux et d’accorder à ses représentations le droit de siéger. Elle a, en outre, exigé la libération de tous les détenus arrêtés suite à ces événements et réparation aux victimes, tout en dénonçant le siège imposé par la police aux maisons de ses représentations dans les régions et les agressions subies par les syndicalistes devant ses locaux. C’est à partir de cet instant que la centrale syndicale tunisienne est rentrée de plain-pied dans la contestation politico- sociale. Mais la principale question que se pose l’opinion publique internationale est celle relative à la capacité de mobilisation de l’UGTT et également à son ancrage au sein du monde du travail. Ainsi, en l’absence de partis politiques pouvant jouer un rôle de contre-pouvoir, c’est l’UGTT qui fut appelée à jouer ce rôle. Déjà au milieu des années 80 et au début des années 90, un grand nombre d’intellectuels ont commencé à s’orienter vers l’UGTT. Fondée en 1946 par Farhat Hached, «pour que les travailleurs sur leur propre plan participent à la lutte anticolonialiste », l’UGTT mena le combat pour l’indépendance nationale pendant ces années sombres où la violence coloniale se «déchaînait contre le peuple et les militants». Elle est l’organisation qui a osé tenir tête à Bourguiba pour défendre les intérêts des travailleurs et qui le paya plusieurs fois par l’arrestation et l’exil de ses dirigeants. Vingt-cinq ans après, ils rééditent le coup. Ses animateurs, qui sont recrutés dans leur totalité parmi les militants de la gauche (trotskyste), viennent de remporter une manche importante dans leur lutte pour l’instauration d’une démocratie durable en Tunisie.
A. B.