Paris et Rome envoient des experts militaires en Libye

Paris et Rome envoient des experts militaires en Libye

par Yazid Alilat, Le Quotidien d’Oran, 21 avril 2011

Nouvelle escalade dans le conflit en Libye.La France a en effet franchi hier un pas de plus dans son ingérence directe dans le conflit libyen, en annonçant l’envoi d’experts militaires pour épauler les insurgés.

Après la Grande-Bretagne et la France, Rome a également décidé de franchir le pas en sortant encore plus du mandat des Nations unies, et notamment de la résolution 1973. Paris, qui a toujours refusé d’envoyer des soldats au sol, tout comme d’ailleurs les autres pays de la coalition, fait un peu plus sur le plan militaire que ne le demande la résolution 1973 de l’ONU: faire partir, par tous les moyens, le colonel Mouammar Kadhafi du pouvoir. En envoyant notamment ses «barbouzes» auprès de la rébellion. Une décision politique de la France qui a un goût de déjà vu en Afrique.

Des agents français à Benghazi

«Comme le font les Anglais, il y a des éléments militaires qui sont avec notre représentant diplomatique auprès du CNT» à Benghazi a déclaré le président français Nicolas Sarkozy après avoir reçu à Paris le président du Conseil national libyen de Transition (CNT), Mustapha Abdeljalil. Plus concrètement, une dizaine d’officiers instructeurs, officiellement, sont auprès des insurgés pour les entraîner au maniement des armes et au combat, et les conseiller. Cette assistance n’a cependant «absolument rien à voir avec l’envoi de troupes» au sol, a insisté le chef d’Etat français. L’Italie a également annoncé mercredi l’envoi de dix instructeurs militaires à Benghazi, à l’instar de Londres mardi. «L’Italie et l’Angleterre s’accordent sur le fait qu’il faut entraîner les (insurgés)», a précisé le ministre italien de la Défense, Ignazio La Russa. Le président du Conseil national de transition a indiqué avoir invité M. Sarkozy à se rendre à Benghazi pour soutenir les insurgés libyens, et a promis d’établir dans son pays un «Etat démocratique». Il a demandé une «intensification» des frappes sur les forces de Mouammar Kadhafi, notamment à Misrata, «où la situation est très grave». Pour autant, le ministre français des Affaires étrangères, Alain Juppé, s’est toutefois déclaré «tout à fait hostile» à l’éventualité d’une intervention au sol et selon l’Elysée, le CNT «n’a pas du tout de revendications sur des troupes au sol». Mais, côté régime, le ministre libyen des Affaires étrangères, Abdelati Laabidi, avait déploré mardi l’envoi de conseillers militaires, affirmant sur la BBC qu’une telle initiative «prolongerait» le conflit. «Nous estimons que toute présence militaire représente un pas en arrière et sommes sûrs que si les bombardements (de la coalition) s’arrêtaient, avec un vrai cessez-le-feu, nous pourrions avoir un dialogue de tous les Libyens sur ce qu’ils veulent: démocratie, réformes politiques, Constitution, élections», a-t-il dit. La presse britannique s’est pour sa part largement fait l’écho mercredi des craintes de voir le Royaume-Uni pris dans un engrenage en Libye et de s’enliser dans un «nouveau Vietnam». Depuis la mi-février, le conflit a fait quelque 10.000 morts et 55.000 blessés, selon le ministre italien des Affaires étrangères Frattini, citant le CNT.

La rébellion veut des troupes au sol

Par ailleurs, pour la première fois depuis la crise libyenne, les insurgés ont demandé mercredi l’intervention de troupes occidentales au sol pour les secourir dans la ville assiégée de Misrata. Nouri Abdallah Abdoullati, l’un des chefs insurgés dans cette ville à 200 km à l’est de Tripoli, a indiqué mardi soir à la presse que les insurgés demandaient l’envoi de soldats français et britanniques sur la base de principes «humanitaires». «Auparavant, nous demandions qu’il n’y ait aucune interférence étrangère, mais c’était avant que Kadhafi utilise des roquettes Grad et des avions». «Désormais, il s’agit d’une situation de vie ou de mort», a-t-il déclaré. La ville assiégée a encore été le théâtre d’intenses combats dans la nuit de mardi à mercredi, après une contre-attaque dans la journée des loyalistes, qui ont pris des ambulances pour cible, selon l’AFP. La ville a été pilonnée par les forces kadhafistes et des combats à la périphérie sud-est de la ville ont fait un mort chez les insurgés, selon un opposant qui a évoqué un possible bilan d’une centaine de morts dans les rangs des pro-Kadhafi. «Kadhafi a envoyé des soldats dans une trentaine de voitures civiles dans le sud-est. Il y a eu des combats très durs. Cent soldats de Kadhafi, peut-être, sont morts», a déclaré cette source, Amin Mashahaat, affirmant que les insurgés avaient eu de la «chance» et pu prendre les troupes régulières par surprise.

Mais, pour le camp des Kadhafi, la victoire est ‘’à portée de main ». Seif al-Islam, un des fils de Mouammar Kadhafi, s’est dit mardi soir «très optimiste» et sûr que le régime allait l’emporter. «Nous allons vaincre», a-t-il déclaré lors d’une émission télévisée sur sa chaîne Allibya, assurant que «la situation évolue chaque jour en (notre) faveur».

L’ombre de la monarchie

Sur un tout autre tableau, le prince hériter de Libye en exil, Mohammed el-Senoussi, a promis mercredi de «tout faire» pour aider à la création d’un Etat démocratique dans le pays, plaidant pour un retour au moins transitoire à la monarchie constitutionnelle. «C’est au peuple libyen de décider s’il veut s’engager sur la voie d’une monarchie constitutionnelle ou d’une République», a-t-il déclaré lors d’une audition au Parlement européen à Bruxelles. La Constitution libyenne de 1951, amendée en 1963, qui établissait une monarchie constitutionnelle et désignait comme roi le grand oncle de M. el-Senoussi, Mohammed Idris al Mahdi el-Senoussi, et à ses héritiers, «pourrait, être modernisée de manière adéquate, constituer la base d’une nouvelle Libye», a-t-il estimé. Même si elle n’a pas été en vigueur depuis 42 ans, «il n’y a pas de fondement plus solide que la Constitution disponible pour la transition politique en Libye, pas plus qu’il n’est vraisemblable que toute autre puisse être décidée à court terme», a-t-il jugé. «Mon rôle est clair. Que le peuple veuille ou non une monarchie constitutionnelle, je vais faire tout mon possible pour aider à la création d’un Etat démocratique pour les Libyens, fondé sur un parlement représentatif choisi lors d’élections libres et équitables», a-t-il précisé.