L’élection de l’Assemblée constituante reportée en Libye

Problèmes logistiques, conflits tribaux et montée des djihadistes

L’élection de l’Assemblée constituante reportée en Libye

El Watan, 10 juin 2012

Cet ajournement est justifié officiellement par des membres de la commission électorale par des raisons logistiques. Le report du scrutin aurait été ainsi décidé notamment pour donner le temps aux candidatures rejetées de faire appel.

Le Conseil libyen de transition (CNT) ne pourra finalement pas tenir sa promesse d’organiser le premier scrutin libre de Libye à la fin du mois. Les élections d’une Assemblée constituante prévues pour le 19 juin vont être, en effet, reportées au mois de juillet, voire au-delà. Dans l’air depuis plusieurs semaines, cet ajournement est justifié officiellement par des membres de la commission électorale par des raisons logistiques. Le report du scrutin aurait été ainsi décidé notamment pour donner le temps aux candidatures rejetées de faire appel. Néanmoins le premier obstacle auquel bute le projet de Moustapha Abdeljalil, le président du CNT, est surtout d’ordre sécuritaire. Depuis la chute du régime de Mouammar El Gueddafi, au mois d’août dernier, les nouvelles autorités libyennes peinent toujours à imposer leur autorité. Les anciens rebelles continuent à dicter leur loi dans de nombreuses régions du pays.

La prise de contrôle cette semaine de l’aéroport de Tripoli par des ex-rebelles pour protester contre la disparition de leur chef témoigne de l’impuissance du CNT devant ces milices qui n’hésitent pas à utiliser les armes pour se faire entendre. Les rivalités entre les régions et la lutte effrénée pour le pouvoir que se livrent les tribus ont, par ailleurs, contribué à plonger la Libye dans une instabilité chronique. Pas loin qu’hier, des affrontements ont éclaté entre la tribu des Toubous et des forces liées à l’armée libyenne à Koufra, dans le sud-est de la Libye. Un chef de la tribu des Toubous, Issa Abdelmajid, a indiqué que le quartier de sa tribu avait été bombardé par la brigade Bouclier de la Libye, une force d’ex-rebelles sous commandement de l’armée libyenne. Ce chef de tribu a précisé que les combats avaient fait au moins cinq morts et dix blessés, et que plusieurs maisons du quartier Toubou avaient été incendiées. Le commandant de la brigade Bouclier de la Libye, Wissam Ben Hmid, a confirmé les combats, affirmant que ses hommes avaient «réagi à une attaque des Toubous contre un point de contrôle» tenu par sa brigade.

Le Sud libyen hors de contrôle

En février, des combats entre les deux grandes tribus de la ville, les Toubous et les Zwei, avaient fait, rappelle-t-on, plus d’une centaine de morts des deux côtés en une douzaine de jours à Koufra, ville frontalière du Tchad, du Soudan et de l’Egypte. Les autorités avaient alors envoyé la brigade Bouclier de la Libye, une force d’ex-rebelles, depuis Benghazi (est) pour s’interposer entre les deux parties. Mais en avril, plus d’une dizaine de personnes avaient été tuées dans des combats entre les Toubous et cette brigade, considérée par les Toubous comme une milice «hors la loi».

Le défi sécuritaire auquel est confrontée la Libye est aujourd’hui d’autant plus grand que les djihadistes et les gueddafistes ne désespèrent pas de pouvoir parvenir, un jour, à renverser la situation. Les attaques menées ces derniers jours contre une mission de l’ambassade américaine, des locaux de la Croix-Rouge et un convoi de l’ONU à Benghazi font ainsi craindre une montée en puissance des islamistes radicaux, dont ceux d’Al Qaîda. L’attaque mardi contre la mission américaine, qui a été revendiquée par un groupe islamiste, selon des sources au sein des services de sécurité libyens, a été perpétrée au lendemain de la mort du numéro deux d’Al Qaîda, le Libyen Abou Yahya Al Libi.

A signaler qu’avant la décision de reporter cette élection qui est présentée comme cruciale pour l’avenir de la Libye, l’Union européenne (UE) avait prévu de dépêcher sur place une mission d’évaluation. Cette équipe composée de 21 experts allait être déployée «à l’invitation de la Commission électorale libyenne», et rester dans le pays jusqu’à la fin du processus électoral. Plus de 2,7 millions d’électeurs s’étaient enregistrés sur les listes pour ce scrutin. Les 200 membres de l’Assemblée qui sera élue devront, rappelle-t-on, nommer un comité d’experts chargés de rédiger un projet de Constitution qui sera ensuite soumis à référendum. Des dizaines de partis parmi lesquels des formations islamistes ont vu le jour ces derniers mois dans la perspective de cette élection.

Zine Cherfaoui