Salam Kawakibi : «Les Syriens veulent en finir avec l’état d’urgence et les lois d’exception»

Salam Kawakibi : «Les Syriens veulent en finir avec l’état d’urgence et les lois d’exception»

El Watan, 20 mars 2011

Tout comme les autres peuples arabes, les Syriens se soulèvent contre la tyrannie. Pour Salam Kawakibi, chercheur à Arab Reform Initiative, un centre de recherche basé à Paris, «une ligne vient d’être franchie» en Syrie. Même s’il reste prudent quant à l’accélération des événements dans son pays, il estime que le peuple de Syrie est «mature et il est temps pour lui d’en finir avec l’état d’urgence et les lois exceptionnelles». Il a jugé nécessaire d’en finir avec «l’approche sécuritaire» dans le traitement des revendications politiques auxquelles fait face le régime de Bachar Al Assad. «La gestion sécuritaire doit cesser dans ce pays qui a les ressources politiques suffisantes pour entamer un dialogue et éviter des scénarios violents», a-t-il préconisé.

– La Syrie est-elle gagnée par la contagion des révoltes populaires qui secouent le monde arabe ?

Il est prématuré de se prononcer sur une éventuelle imitation et pas une contagion, car la démocratie n’est pas un virus, de la révolte arabe en Syrie. Par ailleurs, les manifestations spontanées des jeunes prouvent que la peur n’est plus monnaie courante dans leur attitude. Une ligne a été franchie. Les slogans que nous avons pu entendre représentent la première phase d’un processus qui doit être compris par toutes les parties concernées. La liberté était mise en valeur dans toutes les manifestations ainsi que la guerre contre la corruption. Les espoirs qui perdurent depuis des années sur les réformes politiques commencent à s’essouffler. C’était un message à bon entendeur, car la Syrie possède encore les moyens sociétaux et gouvernementaux pour trouver d’autres issues, s’il y a une volonté du pouvoir politique. Cependant, il est très important d’être vigilant sur toutes les tentatives de récupération des vieux symboles de la corruption et la répression, comme l’ancien vice-président Khaddam qui se présente comme étant l’instigateur ou l’inspirateur de ces revendications.

– Quel commentaire faites-vous sur la réaction du pouvoir de Bachar Al Assad ?

Les réactions des autorités ont été violentes, donnant la mort à plusieurs jeunes manifestants et blessant des dizaines avec nombreuses arrestations. Cette attitude déplorable pourra paradoxalement réveiller les esprits politiques chez les dirigeants pour faire reculer la vision sécuritaire dominante sur tous les dossiers, même les plus anodins. Avant les manifestations de vendredi, un rassemblement des familles des prisonniers politiques a essayé de déposer un recours auprès du ministère de l’Intérieur afin de demander la libération de leurs proches. La réaction des autorités était très brutale avec l’arrestation de 34 participants, dont un intellectuel syrien de renommée arabe et internationale. Tayeb Tizini a été violenté et humilié avant d’être remis en liberté quelques heures plus tard. La gestion sécuritaire doit cesser dans ce pays, qui a les ressources politiques suffisantes pour entamer un dialogue et éviter des scénarios violents que personne ne souhaite.

– Comment voyez-vous l’évolution de la situation dans le pays ? Les événements vont-ils s’accélérer ?

Cela dépendra du degré de conscience et de l’habileté politique. Il est encore temps pour renouer le dialogue national et reconnaître la présence de la pluralité des idées et des visions sur l’avenir du système politique.
Combattre la corruption ne peut pas rester dans le registre des discours et quelques opérations esthétiques qui ne touchent pas l’essentiel. La liberté d’expression n’est pas un don quelconque, c’est un droit. Les Syriens sont aptes à vivre en paix dans leurs différences ethniques et confessionnelles. Ils sont matures et il est temps pour eux d’en finir avec l’état d’urgence et les lois exceptionnelles.

– L’actuel Président est-il sérieusement contesté par de larges franges de la société syrienne ?

En l’absence de possibilité de réaliser des sondages d’opinion crédibles, il m’est difficile de répondre à cette question dans l’absolu. Cependant, les années 2000 ont connu une euphorie populaire relativement avantageuse pour le Président avec un sentiment national renforcé suite à la pression politique extérieure. Les réussites diplomatiques de la Syrie ont occulté, pour un moment, la nécessité d’entamer de réelles réformes politiques et économiques sur la scène intérieure.
Dans cette atmosphère, des formations de l’opposition syrienne désorganisée ainsi que des intellectuels indépendants ont essayé de tendre la main et de proposer l’ouverture d’une plateforme nationale afin de débattre sur tous les dossiers essentiels qui touchent à la vie des Syriens.
Leur requête a été rejetée et certains parmi eux ont été emprisonnés. La société syrienne a des revendications «réalisables ; elles nécessitent un engagement politique et patriotique en neutralisant la gestion sécuritaire. Elle est consciente de la situation géopolitique et des dossiers extérieurs épineux et elle l’a démontré à plusieurs reprises en réitérant ses revendications. Elle considère qu’il est temps de la prendre au sérieux, de reconnaître sa maturité et de répondre efficacement à ses besoins réels et urgents.

Hacen Ouali