Mohamed Morsi prête serment à la place Tahrir : «Révolutionnaires libres, nous continuons le combat»

Mohamed Morsi prête serment à la place Tahrir : «Révolutionnaires libres, nous continuons le combat»

El Watan, 30 juin 2012

L’emblématique place Tahrir du Caire a vécu, hier, un autre moment historique. Le nouveau président égyptien, Mohamed Morsi, s’est rendu à ce haut lieu de la révolution égyptienne, d’où il a adressé un discours à la nation.

Le Caire (Egypte).
De notre envoyé spécial

Une prestation de serment officielle avant celle d’aujourd’hui. Il était attendu par des dizaines de milliers de personnes massées depuis la matinée, explosant de joie à l’arrivée de Mohamed Morsi sur les lieux. «Je n’en crois pas mes yeux, un président de la République qui vient à la place Tahrir pour parler directement à son peuple. Ça c’est une révolution», lâche avec émotion un manifestant. Sous un tonnerre d’applaudissements, le nouveau Président monte sur la tribune érigée en la circonstance sur laquelle est accrochée une banderole «Non à la déclaration constitutionnelle complémentaire», pour s’adresser au peuple. Saluant de ses mains les manifestants, Mohamed Morsi entonne avec les milliers d’Egyptiens massés sur la place Tahrir le célèbre slogan «Thouwar ahrah n’waslou el michwar» (révolutionnaires libres, nous continuons le combat), repris en chœur par la foule. L’instant est historique.

Le Président descend à la place Tahrir, cœur battant de l’insurrection du 25 janvier, pour rencontrer son peuple. «Je suis venu vers vous parce que vous êtes la source du pouvoir et de la légitimité qui sont au-dessus de tout le monde. Pas de place à personne, à aucune institution voulant être au-dessus de cette légitimité. Aux hommes de la police, de l’armée, je dis : pas de pouvoir au-dessus de ce pouvoir (le peuple). Vous êtes la source du pouvoir et de la volonté», a-t-il lancé en direction des manifestants. Un message clair en direction des militaires, leur signifiant qu’il ne va pas abdiquer devant leurs pressions. M. Morsi enflamme la foule, lorsque il retire sa veste. «Je suis venu vers vous sans gilet pare-balles parce que vous êtes ma protection.» La place Tahrir est en transe. Après un long discours rendant hommage à la révolution et aux révolutionnaires, le nouveau Président issu de la confrérie des Frères musulmans fait sa prestation de serment : «Je suis devant vous avant aucune autre institution pour m’adresser à tous les Egyptiens debout dans les places de la libération.

Je jure devant vous que je préserverai le système républicain et je respecterai la Constitution et la lo,i et je défendrai l’indépendance de la patrie et l’intégrité du territoire.» Il s’est engagé à respecter tous les Egyptiens, «ceux qui ont voté pour moi comme ceux qui se sont opposés à moi et continueront à l’être». M. Morsi, entouré d’une dizaine de gardes du corps, a réaffirmé son attachement à l’Etat «moderne, national constitutionnel». En grand tribun, Mohamed Morsi s’est engagé également à réaliser les objectifs de la révolution qui sont «la liberté, la justice sociale et éliminer toute forme de ségrégation et d’injustice». En s’adressant aux pays étrangers, Mohamed Morsi a déclaré qu’il est «venu avec un message de paix, et que nous sommes libres et révolutionnaires. Nous n’agressons personne et avec votre soutien nous empêchons toute agression contre nous». En grand tribun, le nouveau président de la seconde République d’Egypte rappelle l’attachement de son pays à «sa profondeur africaine, arabe et islamique». Le président «Frère» s’est engagé à bâtir, «avec tout le monde, un système politique dont le principe est le respect de la volonté populaire qui sera le moteur essentiel dans nos relations extérieures».

Dans une envolée lyrique et porté par l’enthousiasme de la foule, Mohamed Morsi a assuré son peuple de rester à ses côtés. «Je serai toujours à vos côtés et avec votre volonté, il est hors de question d’ôter le pouvoir au peuple ou à ses délégués. Je ne céderai aucune des prérogatives du président de la République», a-t-il lancé en direction d’une masse compacte, mais le message était encore une fois destiné au Conseil suprême des forces armées, qui s’est attribué de larges pouvoirs à la faveur du réaménagement de la déclaration constitutionnelle. Brisant tous les protocoles qu’impose la fonction présidentielle, Mohamed Morsi s’est posé en président de la révolution. «Je travaillerai avec vous à chaque instant pour la réalisation des objectifs de la révolution et je ne faillirai pas à mon devoir, celui du sang des martyrs de la révolution. Le châtiment des coupables est une dette pour moi», s’est-il engagé. Mohamed Morsi, visiblement interpellé par les slogans en face de lui, a pris l’engagement de libérer tous les prisonniers politiques arrêtés durant la révolution.

«Aux prisonniers civils qui étaient condamnés par des tribunaux militaires, dès demain, je ne ménagerai aucun effort pour les faire libérer», a-t-il promis. Prenant goût à cet exercice, Mohamed Morsi ne voulait pas quitter la scène. «Je ne veux pas partir, je vous aime», lance-t-il en direction de la foule qui lui répond : «Nous t’aimons !» Avant de finir son discours, qui va sans doute rester dans les annales de l’histoire politique du pays, M. Morsi a mis en garde contre toute «atteinte à la dignité du peuple» et souhaite que «ces voix et cette volonté continuent de déclarer que nous sommes des révolutionnaires et nous poursuivrons le parcours».
Le Président quitte la place Tahrir et les dizaines de milliers de ses partisans scandent «Y Mouchir, koul Morsi raissek wala la » (oh, le Maréchal dit, Morsi est président ou pas ?» Ainsi, Le Caire et l’Egypte tout entière ont vécu un autre vendredi mythique et l’emblématique place Tahrir n’en finit pas de surprendre. Le pays au fleuve éternel vient d’entrer de plain-pied dans une nouvelle ère. Celle de la liberté de la dignité et de la justice sociale.

Hacen Ouali