Un carnage et des répliques

UN CARNAGE ET DES REPLIQUES

par M. Saadoune, Le Quotidien d’Oran, 17 août 2013

Deux jours après le carnage des deux places du Caire, le roi d’Arabie Saoudite a commis un discours accusateur contre les pro-Morsi et a exprimé son soutien aux militaires égyptiens. Au «nom de la stabilité», les victimes sont qualifiées de «fautives» et de «terroristes».

C’est le commentaire le plus affligeant commis après l’incroyable carnage de la «dispersion» des sit-in du Caire par un responsable étranger. Et pourtant, on le voit de Washington à l’Europe, on continue à faire des contorsions pour condamner sans aller trop loin. L’armée égyptienne étant un allié de longue durée, on continue de la considérer comme le meilleur garant de la stabilité de «l’ordre» actuel au Moyen-Orient. Le prisme de l’intérêt d’Israël continue d’être au cœur des prises de positions. La répression des manifestations de la place Taksim en Turquie a suscité, chez eux, des réactions plus véhémentes que le carnage du Caire. Le chef de la diplomatie norvégienne est celui qui est allé le plus loin en déclarant que l’Egypte présente «toutes les caractéristiques d’un coup d’Etat militaire». Ce qui est encore une manière de dire sans le dire.

Le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan n’a pas manqué de dénoncer «l’hypocrisie» des Occidentaux. «Vous n’avez rien dit et vous ne dites rien en Egypte. Comment alors pourrez-vous parler à ce stade de la démocratie, de la liberté et des droits de l’homme», a-t-il lancé. Hypocrisie ? Ce n’est pas une nouveauté. Mais contrairement au roi saoudien qui se permet d’insulter les faits, ils savent achalander leurs marchandises. John Kerry, avant le carnage, avait pris le risque de dire publiquement que «l’armée égyptienne rétablissait la démocratie». Il ne le répètera pas. Obama s’est livré à un exercice censé être subtil où il annule des manœuvres militaires prévues avec l’armée égyptienne mais sans aller très loin dans la critique. Mais entre la grossièreté royale saoudienne et les contorsions américaines, il existe bien une ligne commune : la démocratisation de l’Egypte – et partant du monde arabe – est fondamentalement perçue comme une déstabilisation, une menace.

Le roi saoudien a fait son choix dès le début en donnant de l’argent aux militaires. Il préfère une dictature militaire «présumée laïque» à un processus de démocratisation où les islamistes peuvent l’emporter. Au demeurant, dans ces contrées absolutistes, on n’aime pas les FM, qui sont un mouvement contemporain né du choc avec l’Occident, on préfère les salafistes décrétant la démocratie kofr et l’obéissance aveugle érigée en premier commandement. Pour les Occidentaux, une démocratisation qui donne des résultats indésirables pour leurs intérêts cesse d’être une démocratie. Dans le cas égyptien et même si les Frères musulmans ont tenté de composer, une démocratisation réussie aurait conduit inexorablement à remettre en cause, à terme, l’ordre géopolitique injuste qui est imposé dans la région.

LA «NUANCE» DES AMERICAINS PAR RAPPORT A LA POSITION GROSSIERE DU ROI SAOUDIEN EST QU’ILS PERÇOIVENT CLAIREMENT QUE L’EXTREME VIOLENCE AVEC LAQUELLE LES MILITAIRES ONT TRAITE LES CONTESTATAIRES RISQUE DE CREER UNE DYNAMIQUE D’INSTABILITE DURABLE. HIER, MALGRE LES CARNAGES, DES MILLIERS D’EGYPTIENS SONT SORTIS DANS LA RUE. BEAUCOUP SONT MORTS. LA «STABILITE» DONT SE GARGARISE LE ROI SAOUDIEN A REÇU UN COUP TERRIBLE, DANS LE SANG, A RABAA AL-ADAWIYA ET NAHDA. SES REPLIQUES DURERONT LONGTEMPS. LE TRAIN FOU A ETE LANCE, IL EMPORTE TOUT SUR SON PASSAGE.