Comment détourner le fleuve démocratique

Repère : Comment détourner le fleuve démocratique

El Watan, 20 janvier 2011

Cela faisait plaisir à entendre, hier : les dictateurs arabes encore en exercice faire part de leur panique de ce que le parfum de la Révolution du jasmin puisse chatouiller les narines de leurs compatriotes. Elle est tellement inédite cette peur sortie de la bouche tremblotante de ces despotes qui pensaient être irrémédiablement indétrônables. «Le développement économique et social est une question qui concerne notre avenir, notre continuité, et constitue une exigence pour la sécurité nationale.» Tiens, tiens ! Moubarak découvre, en 2011, que le bien-être de ses compatriotes est finalement vital et qu’il était même décisif pour sa propre survie politique et celle de son clan. Le propos prêterait presque à rire n’était le fait que le geste de désespoir de ces jeunes qui s’immolent devant les Parlements et sur les places publiques au Caire, à Tébessa, à Nouakchott, à Sanaâ, relève de la tragédie humaine. Il aura donc fallu un massacre de 100 jeunes en Tunisie par le bras armé du monarque Ben Ali pour que, soudain, les maîtres du monde arabe découvrent les vertus du dialogue social, du développement économique, de la justice, de la légalité.

En somme, toutes ces valeurs sur lesquelles ils auraient dû asseoir leurs régimes pour être en phase avec leurs peuples conformément aux préceptes islamiques dont ils se gargarisent. Mais la volonté populaire a-t-elle était un jour le souci premier de nos roitelets, présidents à vie et raïs absolus ? C’est à ce niveau que se situe le problème. La majorité des régimes arabes souffre terriblement d’un manque ou à tout le moins d’un déficit de légitimité populaire. A coups de simulacres d’élections et de successions souvent familiales et claniques, ces potentats se maintiennent au pouvoir par la force de la baïonnette. Et, désormais, par la force de la loi en vertu de laquelle ils s’offrent des Constitutions sur mesure et des pouvoirs quasi incontrôlables.

Le fait est que les «souverains» arabes ne se sentent pas dans l’obligation de rendre de comptes à leurs peuples pour la simple raison qu’ils n’ont pas reçu leur mandat. Ce sont assez souvent des formes d’Etat qui se rapprochent des régimes chinois, nord-coréen, voire biélorusse, avec néanmoins la compétence au moins et l’argent en plus. C’est pourquoi la petite formule teintée d’inquiétude de Moubarak, hier, devant le sommet économique de la Ligue arabe, à Charm El Cheikh, traduit moins le souci de prendre en charge les préoccupations des peuples qu’une peur de ne pas survivre à la furia juvénile en tant que régime oligarchique.

Le conclave des Moubarak, Bouteflika, El Gueddafi, Ali Abdellah Salah, Mohammed VI et, à un degré moindre, les monarques du Golfe, visait surtout à tirer la sonnette d’alarme et affiner la riposte pour endiguer un fleuve démocratique qui rase tout sur son passage en Tunisie. Oubliées donc les frictions entre dictateurs et les lutte factices pour le leadership arabe. Hier à Charm El Cheikh, la question centrale était celle-ci : comment détourner le fleuve démocratique qui a dévasté le régime de Ben Ali ? Eh oui, çà n’arrive pas qu’aux autres devaient-ils se dire. Moubarak et ses invités savent désormais qu’ils devront s’adapter, sinon disparaître !

Hassan Moali