Fekhar évoque la prison et la situation à Ghardaïa

Fekhar évoque la prison et la situation à Ghardaïa

“Le pouvoir détruit ce qu’il ne contrôle pas”

Liberté, 19 novembre 2017

Plus de deux ans dans les geôles, ça laisse forcément des traces. Encore plus lorsque le dossier d’accusation s’appuie sur des arguments assez vagues comme “semer la discorde”, “sécessionnisme” ou encore “agents de l’étranger”. Hier, au siège du MDS, à Alger, le Dr Kamel Eddine Fekhar qui a retrouvé sa liberté en juillet dernier, au terme de près de 23 mois de prison, est longuement revenu sur ses conditions carcérales, mais également sur les événements qui ont secoué la vallée du M’zab durant plusieurs années et auxquels, comme nombre de ses concitoyens, ne trouve toujours pas de réponse à cette lancinante question qu’il répétera à satiété : “Que se passe-t-il à Ghardaïa ?”. “J’ai passé presqu’une année dans l’isolement le plus total, c’est l’arbitraire total. Dans une prison où s’entassent 45 personnes sur 25 m2. J’étais poursuivi pour dix-huit chefs d’inculpation dont cinq passibles de la peine capitale”, dit-il.
C’est parce qu’il était convaincu de son innocence qu’il pensait qu’il allait retrouver la liberté au lendemain des déclarations d’Amar Saâdani accusant l’ex-patron des services de renseignements d’avoir fomenté les événements de Ghardaïa. “On a versé la déclaration au dossier, mais personne n’a bougé. Pourtant, on nous répète que les citoyens sont égaux devant la loi.” Kamel Eddine Fekhar raconte comment des citoyens, pour avoir assisté à des conférences au siège de la Ligue des droits de l’Homme, ont été embarqués ou comment des maisons dont les propriétaires étaient absents ont été brûlées. “Tous les élus du FFS et du RCD sont poursuivis, arrêtés ou poussés à quitter la région. On veut éliminer tous ceux qui sont affiliés à l’opposition”, soutient-il. S’il a pu retrouver la liberté, c’est, selon lui, essentiellement grâce à la solidarité et aux pressions étrangères sur le gouvernement algérien. Comme pour illustrer la parodie de justice, il raconte cette anecdote : “Me Mokrane Aït Larbi m’avait dit une fois : ‘N’ait pas peur, ce sont les mêmes accusations qu’on nous avait collées à nous en 1985 !’ (Me Aït Larbi faisait partie des membres qui avaient créé la première Ligue des droits de l’Homme en compagnie notamment de Me Ali Yahia et Saïd Sadi, entre autres.” Pour Kamel Eddine Fekhar, dont l’arrestation était intervenue le lendemain de la lettre, “Un cri de détresse devant le silence du pouvoir face au massacre des Mozabites”, dit-il, qu’il avait adressée à Ban Ki-moon, “le pouvoir détruit tout ce qu’il ne peut pas contrôler”. Pour sa part, son avocat, Me Dabouz, a évoqué un cas unique dans les annales de la justice : spécification dans le dossier des détenus à travers l’inscription “ibadite” ou “partisan de Fekhar”.

Karim Kebir