Interview de Amadou Toumani Toure, Président du Mali

Amadou Toumani Toure. Président du Mali

« Nous refusons de jouer le rôle de passeur d’argent»

El Watan, 25 avril 2009

C’est un homme très inquiet, non seulement de la présence des terroristes du GSPC sur son territoire, mais aussi des risques que cette présence peut entraîner sur les relations de son pays avec l’Algérie. Dans l’entretien qu’il a bien voulu nous accorder dans sa résidence de Bamako, Amadou Toumani Touré, président du Mali, affirme que son pays refuse de jouer le rôle de passeur d’argent dans les prises d’otages. Il rejette également les accusations portées à son encontre selon lesquelles son pays aurait accordé l’hospitalité aux terroristes d’Al Qaïda, notamment au nord du Mali.

– La région du nord du Mali connaît une activité inquiétante des groupes terroristes, notamment avec les enlèvements de touristes suivis de demandes de rançons. Que fait le Mali face à cette nouvelle menace ?

– Aujourd’hui le plus important dans cette région est la paix entre les différentes communautés. Mais il ne faut pas se tromper. Ce n’est pas l’ensemble de la communauté targuie qui était en rébellion, mais une partie seulement. Grâce à l’accord d’Alger, aux efforts maliens et surtout à notre disposition en faveur d’un règlement, nous sommes aujourd’hui tous dans une logique de paix. Pratiquement, tous les combattants ont rejoint nos forces et ont déposé les armes. Nous sommes en train de dégager la voie pour la réinsertion des jeunes rebelles….

– Pensez-vous que toutes les armes ont été déposées ?

– Je dis que le dépôt des armes est beaucoup plus symbolique parce qu’il repose sur une volonté politique et morale de mettre fin à un évènement. De ce fait, je pense que personne ne peut avoir l’illusion que toutes les armes ont été déposées. D’abord, nous n’avons pas l’inventaire de toutes les armes et nous pensons que même si quelques unes restent entre les mains de certains, cela ne remettra pas en cause la volonté de mettre fin à la violence. Il faut aussi savoir que le peuple malien est un peuple de guerriers. De ce fait, si certains gardent leurs armes c’est uniquement pour leur sécurité. Le plus important est que les armes déposées constituent un lot considérable, y compris en munitions. C’est un geste fort qui mérite d’être soutenu. Nous sommes en période de consolidation de la paix par la mise en œuvre des projets relatifs au développement local.

– Vous êtes sur le point de tourner la page de la rébellion au Nord, mais que comptez-vous faire pour lutter contre les réseaux d’Al Qaïda au nord ?

– Nous sommes conscients de ces menaces et dangers, mais à un moment nous étions plus partagés ou plutôt préoccupés par la situation très grave de la rébellion qui menaçait l’unité nationale. C’était le problème des touareg, et pendant des années nous avions les deux évènements en parallèle. Aujourd’hui, grâce à Dieu, nous avons pu ramener la paix. Mais en ce qui concerne le problème des salafistes, je pense qu’il est plus juste de dire qu’ils sont dans la bande sahélo-sahélienne et non pas uniquement au nord du Mali. Ils voyagent beaucoup, ils se déplacent tout le temps et sont dans cette région depuis longtemps. Nous avons senti toutes les menaces qui pèsent sur cette région, à savoir le trafic de cigarettes, d’armes, de munitions et de drogue, les passeurs de clandestins et la présence des salafistes. Toutes ces menaces sont transfrontalières et aucun des pays ne peut trouver, seul, la solution pour y faire face. Raison pour laquelle le Mali a proposé l’organisation d’une conférence, à Bamako, sur la paix et le développement. Toutes les dispositions ont été prises et nous espérons qu’elle ait lieu le plus tôt possible, puisque les travaux préparatoires ont été terminés et les textes de base élaborés par les experts de chaque pays participant et leurs ministres des Affaires étrangères, à savoir le Tchad, la Libye, l’Algérie, le Niger, le Mali, le Burkina Faso et la Mauritanie. Nous attendons la réunion des chefs d’Etat pour apporter leur caution politique et dégager un plan commun pour gérer ensemble cette bande sahélo-sahélienne qui, à l’heure actuelle, nous échappe à tous.

– Comment expliquez-vous que le Mali se retrouve, après chaque enlèvement, le pays où les terroristes négocient la libération des otages en réclamant des rançons ?

– Vraiment je ne sais pas pourquoi. Vous avez peut-être remarqué qu’aucune prise d’otages n’a eu lieu au Mali, mais dans les autres pays situés au Nord à l’Est et à l’Ouest. Maintenant la question que moi je me pose est de savoir pourquoi les otages ont été enlevés là-bas et pour quelles raisons les terroristes ont-ils fait autant de distance pour les ramener au nord du Mali ? Nous avons fait des investigations très profondes et nous nous sommes rendu compte que c’était un peu exagéré. Ils sont dans la bande sahélo-sahélienne et non pas uniquement au Mali. Ils bougent beaucoup et s’arrêtent rarement dans un endroit. En 24 ou en 48 heures, ils traversent les frontières d’un pays à un autre. Donc, dire qu’ils sont au nord du Mali est pour moi vraiment réducteur. Raison pour laquelle je dis qu’il faut conjuguer nos moyens pour lutter ensemble contre ces menaces. Il faut arrêter de nous renvoyer la balle et de coordonner plutôt nos efforts pour pacifier cette région.

– Même si les enlèvements ont eu lieu dans d’autres pays, vous ne pouvez contester le fait que les otages ont été transférés vers le nord du Mali, où les négociations pour leur libération sont en cours ?

– Non, ils ne sont pas au nord du Mali. Je voudrais être clair ; le Mali ne veut pas entrer dans une polémique sur le fait qu’ils soient sur son territoire ou pas. Je dis qu’ils ne sont pas seulement au Mali, mais sur toute la bande sahélo-sahélienne. Nous savons qu’ils bougent et qu’ils vont d’un pays à un autre dans un espace de temps réduit. Pour nous, cela a peu d’importance. Effectivement, le Mali a eu à nouer le dialogue et à chercher dans quelles mesures il pouvait aider. Maintenant, dès qu’il y a une prise d’otages, on dit que les auteurs sont au Mali, c’est vraiment exagéré. Il est vrai que le Mali s’est impliqué dans le dénouement de la prise d’otages qui a eu lieu en Algérie en 2004, puis dans celle qui a ciblé des Autrichiens en Tunisie. Aujourd’hui aussi, le Mali essaye de s’investir pour voir quelles solutions il faudra trouver pour libérer les otages dont vous parlez. Mon pays est dans une situation très embarrassante et la plus gênante. On dit qu’ils sont au Mali et tout le monde vient au Mali pour nous demander de l’aide dans le cadre du dénouement de l’affaire. Nous disons seulement que nous ne sommes pas responsables de ces prises d’otages. Aucun des otages n’a été enlevé au Mali. Raison pour laquelle nous avons dit qu’au lieu de continuer à chercher qui est responsable, il faut plutôt penser ce que nous devons faire pour empêcher ces enlèvements et pacifier cette zone dont la sécurité concerne tout le monde.

– Ne pensez-vous pas que le paiement d’une rançon pour la libération des touristes allemands en 2004 a été pour beaucoup dans la multiplication des enlèvements suivis de demandes de rançon ?

– Je pense surtout que ces prises d’otages risquent de porter préjudice à tous les pays de la région. Regardez ce qui se passe dans le golfe d’Aden, avec les actes de piraterie et tous les navires militaires dépêchés dans la zone par de nombreuses puissances. C’est le monde entier qui se sent concerné par ce phénomène de rançon. Je sais qu’il y a un dilemme extrêmement important : payer pour libérer les otages et, de ce fait, prendre le risque de voir cet argent utilisé contre nous-mêmes, ou ne pas payer et laisser les otages en détention le plus longtemps possible. Maintenant, je dis, cessons de nous accuser mutuellement et parlons entre nous de cette menace qui pèse sur la bande sahélo-sahélienne. Je dis aussi qu’il ne faut pas se voiler la face et cherchons une solution ensemble. Les rançons ne sont pas le monopole de la bande sahélo-sahélienne. Nous avons vu ça ailleurs et à plusieurs échelles. Il est maintenant important de savoir comment la communauté internationale fait face à de telles demandes et quelles sont les solutions les plus appropriées à prendre.

– Vous avez déclaré publiquement lors des dernières prises d’otages : « Trop c’est trop !!! ». C’est trop par rapport à quoi ? Les prises d’otages, les rançons ou le fait que le Mali soit utilisé comme terre de négociations par les terroristes ?

– D’abord, les otages ne sont pas Maliens. Les auteurs de l’enlèvement non plus et l’endroit du rapt est hors de nos frontières. A la limite, de quoi nous mêlons-nous ? Nous nous retrouvons dans des situations ambiguës : c’est-à-dire d’une part, face à une situation humanitaire où il faut vite aider, et d’autre part, face à une autre situation, cette fois-ci sécuritaire, qu’il ne faut pas encourager. Nous sommes fatigués d’être face à ces dilemmes, fatigués de gérer des situations aussi ambiguës et aussi gênantes. Nous aurions pu adopter la position de certains en disant que ce problème ne nous regarde pas, dès lors qu’ils estiment que la bande sahélo-sahélienne est le nord du Mali. Il faut que nous sortions de ce cercle vicieux et que nous nous regardions en face, que nous parlions ensemble au lieu de chercher qui a fait quoi. Ce qui est certain, c’est que ces salafistes ne sont pas Maliens. Ils viennent de quelque part non ? Des Maliens sont parmi eux… Nous, nous n’avons pas de preuves que des Maliens font partie de cette bande de salafistes, mais je ne l’exclus pas. C’est là aussi qu’il faut prendre en compte la dimension de ce groupe qui prône le nationalisme et entraîne toute la bande sahélo-sahélienne, en profitant de nos faiblesses, avec toutes les conséquences que cela peut engendrer.

– En 2004, le nombre de salafistes évoluant dans la bande sahélienne ne dépassait pas la soixantaine, alors qu’aujourd’hui, ils ne sont pas moins de 250. Vous ne pensez pas qu’ils ont trouvé un terrain propice dans cette région pour l’installation d’une base arrière qui pourrait menacer le Mali ?

– Le danger est d’abord pour l’Algérie. Parce que c’est elle qui se bat depuis des années contre cette force terroriste. Ce n’est pas le cas du Mali. A ce jour, le Mali n’a jamais été la cible des salafistes. Mais tout ce qui arrive à l’Algérie nous touche vraiment. Ce qui me surprend, c’est plutôt la passivité des uns et des autres.

– Vous voulez dire les pays frontaliers ?

– Tous les pays de la bande sahélo-sahélienne nous disent, vous devez faire ça, mais alors pourquoi eux ne l’ont-ils pas fait ? Nous avons dit que l’ère des rançons est internationale et toutes les menaces auxquelles nous faisons face ont une dimension internationale. Les réponses ne peuvent être qu’internationales. Réunissons-nous et discutons ensemble pour empêcher les prises d’otages et sécuriser la bande sahélo-sahélienne. Raison pour laquelle, d’ailleurs, le Mali attend cette conférence des chefs d’Etat qui, selon nous, est la meilleure tribune pour prendre en charge ces menaces.

– Tout le monde sait que la libération des deux otages autrichiens enlevés en Tunisie a été faite en contrepartie d’une rançon négociée par certains notables maliens, alors qu’officiellement vous dites n’avoir joué aucun rôle dans cette affaire. Qu’en est-il alors ?

– Maintenant, je vais vous parler en tant que président du Mali et ami de l’Algérie. S’il y a eu rançon, je ne le sais pas, parce que rappelez-vous, les otages sont restés neuf mois entre les mains des terroristes. Le Mali s’est limité à établir des contacts humanitaires. Nous avons accepté d’aider nos amis autrichiens qui sont aussi les amis de l’Algérie. Je le dis, en tant qu’officier d’honneur, et je regarde l’Algérie, tout en le disant, que personnellement je ne sais pas s’il y a eu une rançon. Et s’il y en a eu une, je ne sais même pas quel a été le montant et s’il a été versé. Ce dont je peux vous assurer, c’est que ni le Mali, ni son président, ni ses responsables officiels n’ont été impliqués dans une telle transaction, si tel était le cas. Vous savez que nous n’avions pas de contacts directs avec les ravisseurs, mais nous passions par des intermédiaires qui, eux, passaient aussi par d’autres intermédiaires. C’est vrai qu’il y a eu une demande de rançon, mais j’ai été catégorique, en disant que je n’accepterai pas de servir pour son paiement. Notre rôle se limitait aux contacts humanitaires seulement. Nous avons refusé d’entrer dans ce jeu parce nous savons que cela allait se retourner contre nos amis, alliés et voisins, mais aussi contre nous.

– Un commandant a été dépêché par vos services pour négocier avec les ravisseurs la libération des Autrichiens. Il a été tué en cours de route et les accusations ont été portées contre certains de vos militaires qui auraient changé le cours des négociations pour arracher le paiement d’une rançon. Qu’en pensez-vous ?

– Le commandant Mbarka a été tué à la sortie de Kidal et jusqu’à ce jour l’enquête n’a pas déterminé pourquoi et par qui. Où Mbarka partait ? Je ne le sais pas.

– Certains disent que c’est vous qui l’aviez désigné en tant que négociateur, il aurait été détenteur d’un ordre de mission signé par vous…

– Non, pas du tout.

– Qu’en est-il des otages actuellement détenus par des salafistes au nord de votre pays ?

– Nous sommes en train de tout faire, dans un cadre humanitaire pour que l’ensemble de ces otages soient libérés sains et saufs. A tort ou à raison, nous avons maintenant une réputation de négociateurs. Une mission qui ne nous plaît guère. Que faudrait-il faire ? Croiser les bras et attendre ? Nous sommes vraiment coincés entre les hésitations, raison pour laquelle nous voulons que le sommet des chefs d’Etat ait lieu le plus rapidement possible pour que nous puissions parler. Les gens disent, ils sont au nord du Mali, et le Mali est un pays souverain qui n’a qu’à s’ouvrir. Pour nous, la faute ne nous incombe pas. Nous sommes très mal à l’aise. C’est toujours à nous qu’on demande de l’aide et cela nous gêne. Mais il y a une responsabilité que chaque pays doit prendre. Revenez un peu en arrière. Il y a eu une première prise d’otages en 2004, puis une autre, suivie de deux autres et nous continuons à nous renvoyer la balle. Jusque-là, nous n’avons rien fait. Nous ne faisons qu’attendre une autre prise d’otages pour commencer à nous accuser mutuellement. Le sommet sahélo-sahélien est important. Il nous permet de parler entre nous sur la situation. Aucun pays, seul, ne peut faire face à la menace.

– Les preneurs d’otages exigent une rançon et vous, vous refusez d’accepter de jouer ce rôle d’intermédiaire pour le paiement. Comment comptez-vous agir pour faire libérer les otages mais aussi éviter de tels actes ?

– Soyez sûre d’une chose. Le Mali n’acceptera jamais de servir dans une quelconque transaction financière entre les ravisseurs et les pays d’origine des otages. Nous acceptons de passer par des intermédiaires pour avoir des nouvelles et de nous investir dans le domaine policier pour voir ce qu’il faut faire. Mais il est important aussi de savoir que ces gens n’ont pas besoin du Mali pour négocier une rançon. Le désert est grand et les contacts sont multiples. Ils n’ont donc pas besoin de nous. De notre côté, nous avons clairement dit à qui veut l’entendre que le Mali ne jouera pas le rôle de passeur d’argent…

– Même dans l’affaire des otages autrichiens ?

– Je ne sais pas s’il y a eu une rançon, ni qui l’a versée. Le Mali a refusé de s’impliquer dans une telle transaction.

– Mais il l’a fait lors de l’enlèvement des touristes allemands en 2004…

– Ces Allemands ont été enlevés en Algérie… Puis, ils ont été emmenés au nord du Mali pour négocier une rançon, obtenue par l’intermédiaire des Maliens… Il faut quand même se poser la question sur l’endroit où ils ont été enlevés. Nous nous sommes toujours demandés pourquoi les otages sont enlevés ailleurs et dirigés chez nous. La première responsabilité c’est là où les otages ont été enlevés. Cette responsabilité ne doit pas être occultée. Pourquoi des pays qui ont plus de moyens que le Mali n’ont pu les empêcher de traverser la frontière ? Ce n’est pas un reproche, parce que nous savons comment les choses se passent. Par contre, nous aussi, nous ne pouvons accepter d’être accusés sans avoir la possibilité de nous défendre. Qu’on aide le Mali à trouver des solutions. Vous savez que ses moyens sont limités. Il est pris entre l’étau de deux situations difficiles. Accepter de servir de passeurs d’argent au profit des terroristes, cela se retourne contre nous. Rester les bras croisés, cela aussi se retourne contre nous. Que pouvons-nous faire ? Pourtant, ce n’est pas notre problème. Des partenaires des pays de l’Europe, les Nations unies, le secrétaire général de l’ONU, nous interpellent et nous disent qu’il faut que le Mali s’implique. Que faut-il faire ? Rester les bras croisés ?

– Tous ces pays vous demandent de servir d’intermédiaire ?

– Non…mais dans tous les cas, personne ne peut nous obliger à jouer ce rôle. Nous jugeons la situation en fonction de notre conscience, et nous nous abstenons de jouer le rôle de passeur d’argent. Vous êtes-vous demandé pourquoi les otages autrichiens sont restés neuf mois entre les mains de leurs ravisseurs. J’ai dit clairement que s’il y a transaction, elle se fera sans mon pays.

– Est-ce la raison de cette longue détention ?

– Je ne sais pas. Mais ce que je sais c’est qu’à chaque fois qu’il y a une prise d’otage, le Mali est désigné comme négociateur. Je voudrais préciser aussi que le Mali n’a pas vu un sou et ne s’est jamais impliqué en tant que passeur d’argent. Sur un plan moral et humanitaire, nous avons reçu des équipes chez nous et tenu qu’elles soient là, à leur apporter notre aide et assistance afin qu’elles soient plus près des événements. Nous l’avons fait par amitié à ces pays, à nos partenaires au secrétaire général des Nations unies, qui nous a appelés pour nous demander de nous investir. Je pense que ces otages ne concernent pas seulement le Mali, mais aussi le système des Nations unies auquel, nous tous, nous participons. Le diplomate onusien est venu dans nos pays pour une mission de paix et il a été enlevé. Nous sommes tous sommés de nous impliquer pour sauver sa mission, pas parce qu’il est Canadien, un pays qui a de fortes relations avec les Etats de la région, mais aussi parce que c’est un cadre des Nations unies. Je pense que la responsabilité est partagée par tous les pays de la région.

– Pensez-vous que leur détention ne sera pas longue comme celle des deux Autrichiens ?

– Vraiment, je ne sais dans quel état sont les otages. Mais je souhaite qu’ils soient tous libérés le plus tôt possible. D’abord vis-à-vis des Nations unies, parce qu’enlever un cadre de cette institution donne une très mauvaise image du continent en général et de la bande sahélo-sahélienne en particulier. Le Mali seul ne peut rien faire. Si nous nous engageons dans ces affaires d’enlèvement, c’est uniquement dans un but humanitaire et non pas comme passeur d’argent. Nous savons à quoi sert cet argent et le préjudice que ces fonds vont causer à des pays frères et amis comme l’Algérie.

– Nous ne comprenons pas comment les terroristes trouvent l’hospitalité auprès de la population du nord du Mali, alors que dans d’autres régions pourtant similaires comme le nord du Niger, de la Mauritanie et du Tchad, ils sont pourchassés.

– Mais d’où sont-ils venus ?

– Ils ont fui le sud de l’Algérie parce qu’ils n’étaient pas en sécurité, qu’ils semblent avoir trouvée au nord du Mali…

– Non, non…avec toute l’amitié et l’estime que j’ai pour votre pays, il va falloir que je parle franchement avec vous. C’est facile de dire pourquoi le Mali n’a pas fait ou aurait dû faire. Les questions que je me pose sont : pour quelles raisons sont-ils venus au Mali ? Comment ont-ils fait pour y arriver ? Quelle voie ont-ils empruntée ? Qu’ont fait les autres pour les empêcher de franchir les frontières ? Je pense que l’important n’est pas de dire qu’ils sont au nord du Mali ou du Niger. Réfléchissons un peu : pour se sentir un peu libre, il est plus judicieux de choisir l’extrême nord du Mali, qui est à proximité de l’Algérie, la Mauritanie. Le nord du Niger n’est pas rentable, parce qu’il n’y a que l’Algérie et le Niger. De plus, la rébellion qu’a connue le nord a rendu la région totalement hostile aux personnes qui viennent se promener. Une situation aggravée par les affrontements fratricides entre quelques groupes de touareg. Donc, en tant que soldat, si je dois aller chercher un refuge quelque part, j’irais certainement dans cette région. Ils n’ont ni visa ni passeport, y a-t-il plus propice pour eux qu’un terrain où l’insécurité est totale ?

– Le diplomate onusien a été enlevé par des contrebandiers et remis aux terroristes. Ne pensez-vous pas que cette transaction démontre la corrélation dangereuse entre les terroristes et les trafiquants en tous genres dans la région ?

– Absolument. C’est pour cette raison qu’il faut que nous parlions entre nous, en tant que chefs d’État, de ces menaces. Chacun de nous est resté chez lui en se disant que cela ne le concernait pas. En définitive, aujourd’hui tout le monde accuse la bande sahélo-sahélienne, qui est en réalité, nous tous, le Mali, le Niger, la Mauritanie… Dieu seul sait les efforts que l’Algérie fait vis-à-vis de ce phénomène et combien son peuple a souffert. Il lui a fallu beaucoup d’héroïsme et d’engagement pour lutter contre ce fléau. Comment après tous ces efforts, toutes les propositions faites par le président Bouteflika pour faire revenir la paix, nous nous retrouvons incapables de réagir contre cette situation. Je pense effectivement qu’il y a une constante qui réunit différents types de trafic très rentables : la vente de cigarettes, d’armes et de munitions, les passeurs qui acheminent les clandestins vers l’Europe dans des conditions inhumaines, et qui souvent les laissent mourir dans le désert, et le trafic de drogue, la reine des menaces, le danger le plus insidieux. La drogue vient de la Colombie par le golfe de Guinée et traverse la bande sahélo-sahélienne pour être dirigée contre notre jeunesse, notre avenir, contre l’Europe et contre tout le monde.

– Tout comme le trafic d’armes …

– Le trafic de drogue est beaucoup plus dangereux, parce que la drogue rapporte d’énormes fonds qui permettent d’acheter beaucoup d’armes et de complicités. C’est un trafic extrêmement juteux.

– Est-ce que la porosité de la frontière peut-elle s’expliquer par cette complicité achetée ?

– La responsabilité est commune. Je pense que pendant très longtemps, certains éléments de la rébellion touareg ont beaucoup combattu pour pouvoir marquer cet état de fait qu’est la revendication politique. Elle a été analysée et acceptée dans le cadre d’un accord que nous avons signé et mis en application. Mais certains ont continué. Leur revendication était quoi ? Ils nous demandent de quitter Tinzaouatine qui est un point de passage obligé de la limite territoriale. Il faut se poser la question pourquoi cette revendication. Je ne dirais pas plus, mais seulement il faut savoir qu’il y avait parmi les rebelles quelques éléments déterminants.

– Pensez-vous que les revendications politiques cachaient en fait leur complicité avec les salafistes ?

– Certaines de leurs revendications étaient justes. Raison pour laquelle, nous les avons acceptées. Comprenons-nous, certains qui ont plus de 50 ans, 60 ans et 70 ans, munis d’un armement et des véhicules tout-terrains, renouvelés constamment, tiennent deux ans et trois ans contre une armée. Ils parcourent des milliers de kilomètres, changent les pneus, s’approvisionnent en carburant. Comment est-ce possible ? C’est pour vous dire que quelque part, il y a une nébuleuse qui sert et qui soutient ces groupes avec des moyens financiers…

– ça peut être des États ?

– Je ne le pense pas. Je suis même convaincu que les Etats ne sont pas impliqués. Ces activités sont toutes dirigées contre les Etats. Il faut quand même préciser qu’au plan politique, les Etats nous ont beaucoup aidés. Nous avons une relation exceptionnelle avec l’Algérie, le Niger et les autres pays frontaliers. Personne ne pourra me faire croire que les Etats ont eu un rôle à jouer. Ce ne sont pas eux qui vendent la cigarette et les armes ou qui font le trafic de drogue et d’armes et vous ne pouvez pas imaginer les tonnes d’armes, de drogue et de cigarettes que nous avons interceptées dans le Nord et à proximité de certains pays frontaliers. Le désert est tellement grand, et lorsque nous avons autant d’argent nous pouvons acheter autant de complicités. Je ne peux faire ce raccourci et accuser les Etats, les armées et nos services de sécurité de complicité. Je ne dirais pas aussi que tout le monde est honnête, mais je suis convaincu qu’il y a une volonté chez les pouvoirs politiques et aussi chez les opérationnels pour combattre ces menaces qui déstabilisent notre région.

– Après le sommet des chefs d’État de la région prévu à Bamako, que compte faire concrètement le Mali pour lutter contre le terrorisme ?

– Le Mali fait toujours face aux menaces. Nous les combattons quotidiennement. Les quantités d’armes, de munitions et de drogue que nous interceptons régulièrement sont la preuve de nos engagements sur le terrain. Les bandes frontalières du Mali sont immenses au nord : 1200 km de frontière avec l’Algérie, 2000 km avec la Mauritanie et 900 km avec le Niger. Est-ce facile de maîtriser tous ces espaces avec le peu de moyens que nous avons ? Raison pour laquelle, je dis que la solution ne peut être que collective.

– A travers le sommet auquel vous avez appelé, vous voulez impliquer politiquement et matériellement les États de la région dans une lutte commune contre ces menaces…

– Je crois qu’il est nécessaire que nous partagions une vision, un plan d’action, une volonté politique participative au lieu d’accuser l’autre de ce qu’il a fait ou n’a pas pu faire. Autant nous mettre ensemble pour décider de ce qu’il faut faire ou ne pas faire. Aucun pays seul ne pourra trouver la réponse à cette situation. La solution ne peut être que transfrontalière.

*Lire la suite de notre interview avec Son Excellence le président du Mali dans notre édition de demain

Par Salima Tlemçani


Amadou Toumani Touré. Président du Mali

« Nous refusons de jouer le rôle de passeur d’argent»

El Watan, 26 avril 2009

– Ne pensez-vous pas que certaines puissances étrangères qui exploitent les richesses des pays de la région font tout pour maintenir ces derniers en situation de faiblesse ?

– Je ne le crois pas. Dans toutes nos analyses politiques et militaires, aucune information de ce genre ne nous a été présentée. A ma connaissance, il n’y a jamais eu d’Etat impliqué dans ces menaces. Si tel était le cas, c’est que nous avons un déficit en informations. Si d’autres le savent, il faudra qu’ils nous le disent. Il faut que nous le sachions pour prendre les mesures qu’il faut. Mais je ne pense pas que cela soit le cas. Par contre, si nous n’arrivons pas à résoudre nos problèmes nous-mêmes, d’autres viendront le faire à notre place. Je l’ai répété à plusieurs reprises, et ce, depuis le premier enlèvement des touristes allemands. Depuis, combien de prises d’otages y a-t-il eu ? Et nous n’avons, encore une fois, rien fait. Nous sommes là, coincés à attendre qu’un autre enlèvement ait lieu pour commencer à chercher ce qu’il faut faire. Les autres ont leur opinion publique tellement attentive à la vie d’une personne que très souvent ils nous mettent vraiment mal à l’aise parce qu’ils ne prennent même pas en compte notre sécurité. Il n’y a que la vie des otages qui les intéresse. J’avoue que c’est de très bonne guerre.

– Vous avez aujourd’hui deux affaires sur les bras. Quatre otages détenus par un groupe et deux autres par un autre groupe de terroristes. Que comptez-vous faire concrètement pour les dénouer ?

– J’avoue que je n’ai rien concrètement. Ce que je fais est d’ordre moral et humanitaire… Les services de renseignement des pays concernés sont à Bamako et leurs gouvernements vous sollicitent et font pression sur vous pour les aider… Personne ne fait pression sur nous. C’est vrai, ils sont là. Ils attendent, ils cherchent des contacts, etc. Ils sont très proches des lieux et je pense qu’il y a plus de poids sur eux que sur nous. Ils ont une manière de voir qui est peut-être différente de la nôtre. Nous aussi nous tenons à la vie des autres. Mais le Mali n’a rien à voir avec tout cela. Ni les ravisseurs, ni les otages, ni l’endroit de l’enlèvement ne sont maliens. C’est vrai, les gens sont venus nous demander de les aider pour tenter de pister les auteurs et j’ai tenu à leur dire que ces derniers ne sont pas seulement au Mali.

– Vous voulez dire que les otages ne sont pas au Mali ?

– Je dis que les auteurs sont dans la bande sahélo-sahélienne, pas uniquement au Mali. Eux, ils rendent compte à leurs pays, à leurs gouvernements et à leurs Parlements. Nous les comprenons. Une fois de plus, je dis que le Mali aurait pu adopter une autre position. Mais il a clairement affirmé qu’il ne rentrera jamais dans une quelconque transaction financière. Maintenant que faut-il faire ? Laisser que les autres viennent faire ce qu’il faut faire à notre place et après aller chercher des accusations contre le Mali ? Il faut nous aider et non nous laisser gérer ces affaires en nous disant débrouillez-vous, vous êtes un pays souverain. J’avoue que le problème est beaucoup plus moral. Il y a de très bonnes coopérations avec certains pays. D’autres qui ne nous ont jamais sollicités viennent nous demander notre assistance pour des raisons humanitaires et nous leur exprimons notre disposition à les assister. Par contre, ce que nous ne pouvons pas faire, c’est de prendre l’argent et les remettre aux ravisseurs pour qu’il soit utilisé demain contre nos voisins. Moralement, nous ne pouvons le faire.

– Vous avez déclaré publiquement que vous suiviez ces affaires personnellement et de très près. Quelles sont les revendications réelles des ravisseurs ?

– Je ne sais pas exactement ce qu’ils demandent. Ils en ont exprimé certaines sur leur site internet et je n’en sais pas plus que ce qu’il y a sur ce document. Je pense que le problème le plus important n’est pas ce qui a été porté sur internet. Parce que les groupes sont tellement différents et leurs positions sont tellement diffuses. Je ne pourrais pas en dire plus sur cette affaire puisque les enquêtes sont en cours…

– Pensez-vous que le dénouement risque de prendre beaucoup de temps ?

– Franchement, je ne sais pas. Ce que je sais, c’est que j’ai hâte que le Mali en soit débarrassé le plus vite possible. Il est quand même désolant de voir que dans cette affaire, tous les pays de la région sont tranquilles, sauf le Mali parce que tout le monde estime que c’est le Mali qui doit trouver une solution. Nous sommes fatigués de jouer ce rôle. Nous ne savons plus quoi faire. Il faut bien que nous parlions entre nous. Nous ne pouvons pas comprendre les hésitations des uns et des autres. Tout compte fait, nous avons besoin aussi d’être entendus. Nous ne reculerons pas devant certaines questions, mais en même temps il est important que tout le monde s’implique dans la lutte contre toutes les menaces qui pèsent sur la région. Le Mali d’aujourd’hui souhaite sortir de cette situation le plus tôt possible. Par contre, il est important de relever qu’il y a eu des enlèvements par procuration. Nous pouvons en parler parce que nous avons arrêté deux ou trois éléments sur les six ou sept ayant fait partie du groupe auteur de l’enlèvement du diplomate onusien au Niger. Ils ont donné des détails sur cette opération…

– Ce sont des Maliens ou des Nigériens ?

– Un peu de tout. Ils ne reconnaissent ni frontière ni nationalité. Les prises d’otages sont devenues un fonds de commerce. Il y a le grossiste et le détaillant. Cela nous a permis de comprendre qui sont les auteurs de l’enlèvement et à qui les otages ont été remis. Ces informations nous ont aidés à dégager des pistes de recherche assez importantes qui vont nous aider à traquer le reste du groupe et à les arrêter le plus rapidement possible.

– Vous confirmez que l’enlèvement du diplomate onusien était une commande des terroristes ?

– Non, je ne le pense pas.

– Mais vous venez de dire que les auteurs ont agi avec une procuration…

– J’ai dit par procuration parce que nous nous sommes rendus compte que ce ne sont pas les salafistes qui sont venus chercher les gens au Niger. Ce sont des intermédiaires que j’appelle par procuration. Peut-être que le mot ne convient pas, mais c’est la réalité.

– Les auteurs ont-ils remis l’otage aux terroristes parce qu’ils n’avaient pas la logistique pour le garder longtemps ou tout simplement parce qu’il s’agissait d’une prestation de service payante ?

– Je pense qu’au stade actuel de l’enquête, dont les résultats seront certainement partagés avec les pays concernés, la seule certitude est que les terroristes ne se sont pas déplacés au Niger pour enlever M. Fowler. Il fallait trouver des gens réguliers qui peuvent se promener facilement au Mali et au Niger et un peu partout dans la région. Parce que tout compte fait, il y a mille chemins pour rejoindre le Mali. Maintenant, est-ce qu’il y a eu une commande ou non, je ne sais pas ?, mais il s’agit bel et bien d’une mission bien organisée. Ils ne sont pas tombés sur M. Fowler par hasard. Ils l’ont suivi et pisté et trouvé le moyen de le prendre à des lieux où ils ont décidé de le prendre. Ils n’ont même pas pris ses affaires. Ils n’ont pris que la personne, pratiquement sans rien. C’est pour dire que l’opération a été bien préparée. Ils sont partis dans une zone qui n’est contrôlée ni par le Mali ni par le Niger. C’est une réalité. Ils connaissent et savent choisir les endroits qui les arrangent. Ce n’était pas un hasard. L’opération a été bien planifiée.

– Ne craignez-vous pas que cette alliance entre les terroristes et les trafiquants en tout genre ne constitue une grave menace sur la stabilité de la région ?

– Justement, pourquoi la région est-elle ciblée ? Parce que nous sommes tous là à nous regarder et à nous renvoyer mutuellement la responsabilité sans prendre la peine d’agir. La question n’est pas de savoir pourquoi les salafistes sont au Mali, mais plutôt comment ils sont arrivés au Mali ? Il ne peut pas y avoir des choses que le Mali et l’Algérie ne peuvent se dire. Nos deux pays sont liés par des relations ancestrales et historiques. Lorsque j’ai vu le président Bouteflika, il m’a parlé d’un Mali que je ne connaissais pas. Il savait plus de choses sur mon pays que moi-même. Il a travaillé avec mon père lors de la guerre de libération. C’est pour cela que je dis que sur le plan politique, nous avons des relations exceptionnelles.

– Vous voulez dire que c’est sur le plan opérationnel qu’il y a un problème ?

– Il y a objectivement quelque chose qui bloque sur le terrain. Pourquoi tout ce temps à ne rien faire ? Pour quelle raison nous n’avons mis aucun dispositif ou système d’alerte qui puisse nous permettre de communiquer entre nous sur des menaces aussi graves ? Le Mali, c’est une superficie de plus d’un million de kilomètres carrés. La frontière entre l’Algérie et le Mali est de 1200 km, et avec la Mauritanie, 900 km.

– N’était-il pas question de créer ces patrouilles mixtes algéro-maliennes pour assurer le contrôle de la zone ?

– Je pense que le Mali et l’Algérie sont en voie de voir comment travailler ensemble. Mais j’avoue que nous sommes beaucoup plus au stade théorique que pratique. Il faut que nous descendions un peu sur le terrain, parce que c’est là que le problème se pose réellement.

– Lorsque vous avez lancé l’idée de l’organisation d’un sommet des chefs d’État, vous avez invité quatre pays, alors qu’aujourd’hui vous l’avez élargi à sept. Pourquoi ?

– Au début, nous avons invité quatre pays, l’Algérie, le Niger, la Libye et le Burkina-Faso. Les événements en Mauritanie ont fait que nous avons estimé qu’il est important d’attendre que la situation se décante dans ce pays, dont la participation au sommet est très importante. Mais rien n’exclut l’élargissement à d’autres pays qui se sentent concernés par la bande sahélo-sahélienne qui est devenue le théâtre de tous les trafics. Regardons ce qui se passe dans le golfe d’Aden. Ce sont les flottes du monde entier qui sont arrimées là-bas et qui n’arrivent pas à trouver une solution. Les actes de piraterie se poursuivent. Alors, que dirions-nous, nous qui sommes issus de cette région, démunis de tous les moyens de lutte contre ces menaces. Je le précise, l’Algérie et le Mali ont beaucoup réfléchi et il faut maintenant trouver un terrain d’entente pour passer aux actions et prendre le problème à bras-le-corps.

Nous sommes face à un phénomène qui ne connaît pas de frontières. Lors de la rébellion au Mali et au Niger, les rebelles allaient jusqu’au Tchad pour s’approvisionner en mines antipersonnel. Vous voyez bien que les mines ne venaient ni du Mali ni du Niger. Ce qui prouve que ces gens n’attendent pas de visas pour passer d’une frontière à une autre. Mais je me suis dit qu’au lieu de se demander qui a fait quoi, il valait mieux s’asseoir autour d’une table pour trouver ce qu’il faut faire le plus tôt possible. Ceux qui sont en Europe ne peuvent pas se dire eux aussi qu’ils sont loin et donc épargnés. La preuve, les otages sont tous des Occidentaux. Personne ne peut être à l’abri et nous ne pouvons pas continuer à nous accuser mutuellement. Dans notre région, il faut accepter que chacun de nous ait une part de responsabilité. C’est pour cela que nous soutenons la politique d’ouverture qui nous a permis de résoudre en partie la rébellion touareg.

– Ne croyez-vous pas que la paix reste compromise si des mesures socio-économiques ne suivent pas l’accord d’Alger sur le terrain ?

– Quand je parle du nord du Mali, c’est comme si je parlais de l’Algérie. Gao, Thésalit et Kidal sont pour moi la dernière wilaya de votre pays. Ce sont des régions très pauvres. Il n’y a pas de routes, de centres de santé, d’écoles, de puits, de structures de base pour la vie quotidienne. En fait, il n’y a rien. Un jeune de cette région n’a aucune chance de pouvoir se marier ou réussir sa vie, sauf peut-être de voler une voiture ou de rejoindre les contrebandiers. Alors, donnons-leur une chance pour qu’ils ne prennent pas les armes. Je n’ai pas manqué de dire à mes amis algériens de ne pas oublier que cette région est une wilaya de votre pays vu les relations étroites qui lient nos deux populations. Il faut qu’il y ait une vaste coopération dans le domaine du développement, qui reste la seule parade contre toutes les menaces.

Les routes que nous ferons, la plâtrerie de Thésalite que nous avons installée pour avoir de l’emploi, le carburant qui va coûter moins cher dans cette zone constituent un ensemble de projets de développement que l’Algérie a promis et c’est là qu’il faut aller très vite, car il s’agit de la seule arme à même de combattre le fléau. Nous pouvons avoir la plus grande armée au monde, mais nous ne pourrons jamais venir à bout de ces menaces sans un développement durable. Regardez toute cette flotte militaire qui est au golfe d’Aden et pourtant elle n’a pas réussi à stopper les pirateries. Cette jeunesse qui n’a rien à faire tout au long de l’année devient corvéable et malléable par tout le monde et tant qu’il y a des désœuvrés bien armés et bien riches, les effectifs des salafistes se multiplieront et la menace devient plus forte. Le message que je veux transmettre lors de ce sommet, est celui-ci : il est temps maintenant de prendre le problème ensemble. C’est facile de continuer à dire qu’ils sont au nord du Mali, et que le Mali répond en affirmant qu’ils sont ailleurs et qu’entre temps, la bande vient commettre une autre prise d’otages. La pauvreté est le terreau de toutes les menaces.

C’est pour cela que nous avons appelé ce sommet « Réunion pour la paix et le développement ». J’avoue que nous avons voulu attendre après l’élection présidentielle en Algérie et nous espérons que ce sommet ait lieu le plus tôt possible. Tout est prêt, nous n’attendons que la réponse du président Bouteflika dont la présence à ce sommet est capitale tout autant que celle du président libyen, Mouaâmar Al Gueddafi. Pour gérer ces menaces, il faut que l’Algérie sache qu’elle a une wilaya de plus qui est Kidal. L’histoire de votre pays est liée à cette région. Le Mali a soutenu la révolution algérienne. Des membres de l’ALN étaient hébergés dans la région de Gao et de Tombouctou. Bouteflika avait même le surnom de Abdelkader El Mali. Il est très connu dans ces villes. Je pense que c’est une chance pour nous qu’il soit président parce qu’il connaît très bien nos problèmes et nos préoccupations.

Par Salima Tlemçani